Qui n’a pas vibré en entendant les paroles de ce poème où Dieu se présente comme un berger connaissant chacune de ses brebis et comme un hôte généreux? Toutefois, il nous appartient d’aller plus profondément que le sentiment – voire le sentimentalisme – pour dégager le sens théologique du psaume, source d’une spiritualité profondément enracinée dans la tradition biblique.
1 Psaume. De David.
Le Seigneur est mon berger : je ne manque de rien.
2 Sur des prés d’herbe fraîche, il me fait reposer.
Il me mène vers les eaux tranquilles 3 et me fait revivre;
il me conduit par le juste chemin pour l’honneur de son nom.
4 Si je traverse les ravins de la mort, je ne crains aucun mal,
car tu es avec moi : ton bâton me guide et me rassure.
5 Tu prépares la table pour moi devant mes ennemis;
tu répands le parfum sur ma tête, ma coupe est débordante.
6 Grâce et bonheur m’accompagnent tous les jours de ma vie;
j’habiterai la maison du Seigneur pour la durée de mes jours.
(Traduction liturgique)
Bien que l’existence de ce genre littéraire ait été contestée, on classe généralement le Ps 23 parmi les « psaumes de confiance » (Ps 3; 4; 11; 16; 23; 27; 62; 90; 121; 131). Le psalmiste y chante sa sécurité dans la paix et dans la joie, son intimité avec Dieu souvent associée au temple. On divise généralement le psaume en deux parties : 1- Le Seigneur berger (v. 1-4); 2- Le Seigneur hôte (v. 5-6), les subdivisions étant moins claires.
Le v. 1 résume tout le psaume en indiquant dès la début la métaphore : non seulement Dieu est comme un berger, plus encore, il est « mon » berger. Le nom divin, le tétragramme sacré YHWH, est employé ici et au dernier verset seulement dans tout le poème (v. 6b), comme pour l’encadrer. Les v. 2-3 étendent la métaphore en expliquant comment le berger guide et nourrit sa brebis (au singulier). Les « prés d’herbe fraîche » du v. 2 doivent se comprendre dans le contexte du pays de la Bible où les pâturages verts sont rares, perdus qu’ils sont au milieu de steppes dénudées et de collines rocailleuses. Dans un pays aussi chaud, on ne peut rien demander de mieux que de l’eau et de l’herbe verte. Le berger, lui, connaît les sentiers secrets qui conduisent à ces rares bons endroits. On fait une halte dans un lieu calme qui porte au repos et à la confiance, puis, revigoré et renforcé, on reprend la route. C’est ce qu’exprime le v. 3, littéralement « il fait revenir mon âme ». Les « sentiers de justice » sont les bons sentiers. Le berger connaît les chemins qui mènent aux lieux de pâture, évitant ainsi à son troupeau tout détour inutile, fatigant ou dangereux. Évidemment le bon chemin est aussi la route menant au salut. La sollicitude de Dieu envers ses brebis témoigne de sa présence agissante et de la gratuité de son aide.
Passant de l’impersonnelle troisième personne (« il »), à la deuxième, plus personnelle (« tu »), la brebis parle à son berger à partir du v. 4. Aux plaines verdoyantes succèdent maintenant les ravins sombres où la brebis risque sa vie. On pense aux « oueds », mot arabe désignant ces torrents coulant par intermittence lorsque les pluies accumulées dans les montagnes descendent soudainement et violemment dans la vallée, emportant tout sur leur passage. C’est évidemment une référence aux épreuves et aux périls qui menacent le chemin du croyant. « L’ombre de la mort » est une lecture des scribes d’un mot hébreu signifiant sans doute « ténèbres épaisses » (cf. Ps 44,20; 107,10.14; Jb 3,5; Is 9,1; Jr 2,6).
Malgré la simplification de la traduction liturgique, citée ci-dessus, le texte hébreu parle bien de deux bâtons, l’un servant à la marche, sans doute aussi à ouvrir le chemin dans les ronces, l’autre servant à défendre le troupeau, comme une espèce de gourdin (1 S 17,34-35.43). C’est donc que le bon berger sait défendre ses brebis qui, à leur tour, sont rassurées par le berger qui est là, qui les guide et les défend.
Au v. 5 on assiste à un changement de scène : le berger devient un hôte qui traite son invité avec délicatesse et générosité. Dans sa marche, le troupeau est arrivé à une halte hospitalière où on étend une natte, la table des bédouins. Là, on oublie la peur et l’obscurité de la nuit précédente, rappelées par la mention des ennemis. Il y a un repas préparé avec la cordialité de l’hospitalité orientale (Gn 18,1-8). L’ « onction sur la tête » était une coutume orientale des jours de fête (Ps 92,11; 133,2; Qo 9,8; Mt 6,17; 26,7; Mc 14,3). Quant à la coupe débordante, elle signifie que la soif est complètement étanchée, ce qui n’est pas rien dans le désert.
Au v. 6 c’est le retour au style indirect (troisième personne) des v. 1-3. La certitude de la déclaration finale est marquée par un « oui » au début du verset, que la traduction liturgique – encore une fois! – ne rend pas. La « grâce » et le « bonheur » accordées par Dieu conduisent à la maison du Seigneur et prennent en quelque sorte la relève du berger pour guider le troupeau jusqu’au temple, où il sera nourri, abreuvé et trouvera le repos pour toujours, ce repos qui est un don fait au peuple de l’alliance (Ps 95,11; Hé 3,11.18). « Habiter la maison du Seigneur » en effet, signifie lui rendre un culte au temple (Ps 27,4).
On peut affirmer sans se tromper que le sens du psaume tient de l’évidence. Le psalmiste se sert du métier humain de berger, si fréquent dans l’Orient ancien, pour évoquer, à un niveau supérieur, la relation entre Dieu et ses fidèles. Mais il y a plus. En Mésopotamie et en Égypte, comme en Israël, les rois se donnaient volontiers le titre de « berger » (2 S 5,2; 7,7; Ps 78,70-72; Mi 5,4; Jr 23,1-4; Éz 34,1-6). L’infidélité des rois a donc amené Dieu à prendre lui-même la relève dans des textes célèbres de l’Ancien Testament (Gn 48,15; Is 40,11; 49,9-10; Jr 23,2-3; Éz 34,7-31; Ps 28,9; 74,1; 77,21; 78,52; 79,13; 80,2; 95,7; 100,3). Le Nouveau Testament aussi témoigne de l’application de la métaphore du berger, non seulement à Dieu et au Christ Jésus, mais aussi aux pasteurs de la communauté (Lc 12,32; Jn 10; Hé 13,20; 1 P 2,25; 5,2-4; Ap 7,17). Dans la liturgie, ce psaume est traditionnellement appliqué aux sacrements de l’initiation chrétienne (« l’eau et l’huile ») et de l’eucharistie (« le festin »).
fr. Hervé Tremblay o.p.
Collège universitaire dominicain
Ottawa, ON