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Nous deux,

Responsable de la chronique : Caroline Pinet
Nous deux

Le temps et rien d’autre

Imprimer Par Caroline Pinet

 

Le temps et rien d’autre
Le temps, le temps, le temps et rien d’autre ; le tien, le mien, celui qu’on veut nôtre.
Le temps passé, celui qui va naître. Le temps d’aimer et de disparaître, le temps…
-Aznavour

C’est l’histoire de Paulette. Elle avait un cœur d’or, Paulette ! Elle mettait tout son cœur à la tâche ! Voici donc le récit de sa vie :

Paulette est née dans les années trente dans une famille de treize enfants. Un papa alcoolique. La misère à la maison. Des frères aînés qui partent travailler pour envoyer de l’argent à la famille afin qu’elle puisse manger, afin que les plus petits puissent faire des études et avoir un métier. Cela a dû la marquer, Paulette, qui a pu, grâce au sacrifice de ses frères, devenir infirmière.

Paulette a donc décidé de faire honneur à la chance qui lui a été faite de pouvoir gagner sa vie dignement. Elle s’est donné corps et âme à son métier, mais aussi aux possibilités de mettre de côté de l’argent, par sécurité en cas de jours difficiles. Ou pour aider ses proches en mauvaise posture.

Entre-temps, elle s’est mariée. Elle a eu deux fils. Deux fils qu’elle chérissait plus que tout ! Un bon mari également, qui a assuré à la maison. Il travaillait à la manufacture et rentrait du travail plus tôt que Paulette. Paulette, elle, ne ratait jamais une journée de boulot. C’est tout à son honneur. Et elle était toujours de remplacement par peur de manquer l’occasion de faire un peu de rentrée d’argent…Et on dépensait peu à la maison, car on avait peur de manquer aussi.

Paulette n’a pas manqué d’argent. Elle y a peu touché. Mais elle a été toute sa vie généreuse envers les autres. Si un de ses frères ou une de ses sœurs « manquait », elle y pourvoyait ! Donc, je ne dresse pas le portrait d’une personne sombre à travers ces lignes…Il s’agit bien plutôt d’une personne bonne, avec un cœur à la bonne place.

Pourtant Paulette qui n’a pas manqué d’argent, a manqué bien autre chose… Elle a manqué presque tous les Noël en famille, presque tous les anniversaires de ses proches… Elle a sacrifié beaucoup de fin de semaine et bien des soirées…

Ce n’est pas moi qui la juge ! C’est elle qui me l’a dit, un jour à l’hôpital, alors que je lui rendais visite. Car Paulette a pensé toute sa vie qu’un jour elle profiterait de la vie à sa retraite. Mais sitôt à sa retraite, elle est tombée bien malade. Elle m’a dit, lors de ma visite : « Tu vois, j’aime tellement l’hôpital que j’y retourne aussitôt sortie ! » Elle ne manquait pas d’humour, ma tante !

Elle avait à côté d’elle le nouveau Testament aux éditions TOB à la couverture rouge en carton souple. Et elle revenait sans cesse sur un passage, celui de Luc 12,16-21 :

« Et il leur dit cette parabole : « Il y avait un homme riche, dont le domaine avait bien rapporté. Il se demandait : “Que vais-je faire ? Car je n’ai pas de place pour mettre ma récolte.” Puis il se dit : “Voici ce que je vais faire : je vais démolir mes greniers, j’en construirai de plus grands et j’y mettrai tout mon blé et tous mes biens. Alors je me dirai à moi-même : Te voilà donc avec de nombreux biens à ta disposition, pour de nombreuses années. Repose-toi, mange, bois, jouis de l’existence.” Mais Dieu lui dit : “Tu es fou : cette nuit même, on va te redemander ta vie. Et ce que tu auras accumulé, qui l’aura ?” Voilà ce qui arrive à celui qui amasse pour lui-même, au lieu d’être riche en vue de Dieu. »

– Mais voyons, tante Paulette, me récriais-je, toi, tu n’es pas du tout comme cet homme riche. Tu n’as pas amassé par avidité ! Tu l’as fait, parce que tu voulais vous protéger. Et tu as tellement aidé de monde autour de toi…Et tu t’es occupée avec amour de tant de malades !

– Vois-tu, Caroline, me dit-elle, je ne regrette aucune aide que j’ai pu apporter autour de moi. Cela sera mon visa d’entrée de l’autre côté : je sais que je n’ai pas mal utilisé cet argent. Mais j’ai fait pire ! J’avais le plus grand trésor, ma vie, et je l’ai passée à viser autre chose que l’essentiel… Il y a bien des fois où j’aurais pu dire non et passer du temps à la maison. Mais à cause de mes peurs, je n’arrivais pas à lâcher prise…Des fois, j’avais envie de pleurer au travail en pensant aux miens qui fêtaient Noël à la maison : j’aurais voulu être là ! Bien sûr, c’était bien que des fois, ce soit moi qui prenne les Noëls, ça dégageait les autres. Mais de tous les prendre, ou presque, a été une folie ! J’ai aimé mon métier, là n’est pas la question… Mais, je n’ai pas équilibré ma vie. J’ai tellement pensé que je me rattraperais dans mes vieux jours… Je n’ai pas manqué d’argent, mais j’ai passé ma vie à manquer de temps. Et tu sais… quand on arrive au bout de nos jours, ce qu’on regrette le plus, c’est le temps où on n’a pas été avec nos proches…J’ai eu un bon mari ! Je l’ai bien négligé… J’ai eu deux trésors d’amour que je n’ai pas vu grandir… Toi, ne fais pas comme moi…Occupe-toi de l’essentiel : l’amour… »

Tante Paulette est partie peu après cette rencontre. J’étais encore une jeune fille. J’ai bien écouté son message. Je n’ai pas manqué de temps. Je peux dire que grâce à elle, j’ai été à l’essentiel… Mais, la vie étant en soi condamnée à être imparfaite, je n’ai rien amassé. Du regret ? Non ! Malgré tout, je n’ai que de la reconnaissance et beaucoup de gratitude : merci tante Paulette…

 

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