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Responsable de la chronique : Jacques Marcotte, o.p.
Éditorial

Ces enfants oubliés

Imprimer Par Anne Saulnier & Jacques Marcotte

 

Après le scandale des pensionnats autochtones des années 1900 au Canada, la Commission Vérité et Réconciliation nous dévoile un autre drame : celui des enfants des Premières Nations placés en famille d’accueil. Après des années de silence, des femmes autochtones prennent la parole pour dénoncer les abus d’un système qui leur a volé ce qu’elles avaient de plus précieux au monde, leurs enfants.

L’histoire de ces femmes se ressemble : pauvreté, abus de toutes sortes, rejet, drogues, alcool, bref toutes les formes de violence trop souvent présentes dans les communautés autochtones. La société, ayant statué qu’elles ont un jour failli à leur devoir de mère, leur a retiré leur enfant pour le placer en famille d’accueil.

Jusqu’à présent, on peut comprendre, mais là où le bât blesse, c’est lorsqu’on apprend que les mères qui réussissent à s’en sortir et à répondre aux critères imposés par la Protection de l’Enfance, n’arrivent plus à reprendre la garde de leurs enfants. Ces derniers, placés dans des familles d’accueil de race blanche, peinent à s’intégrer dans leur nouveau milieu qui est souvent situé très loin de leur lieu d’origine. Avec le temps, les plus jeunes créent des liens avec leur nouvelle famille et perdent peu à peu leur culture et leur langue. Les plus âgés, eux, se retrouvent déchirés entre deux mondes, et beaucoup n’arrivent jamais à s’adapter. Il en résulte des problèmes de comportement qui sont le plus souvent traités avec l’ajout d’une médication. Fait encore plus grave, beaucoup de mères qui ont déjà un enfant dans le système sont jugées inaptes à long terme à assumer leur rôle de mère et dès qu’une nouvelle naissance survient, le bébé leur est automatiquement retiré.

Le témoignage de ces femmes est bouleversant d’authenticité et cache une souffrance qu’aucune mère n’ose imaginer. Dans un pays comme le Canada, c’est une honte et on aurait pu souhaiter qu’après le scandale des pensionnats autochtones et celui des enfants des Premières Nations arrachés à leur famille dans les années soixante, ces choses-là n’arriveraient plus. Les faits sont accablants et prouvent qu’au contraire, le système actuel perpétue en quelque sorte l’horreur des pensionnats. Comment se fait-il que les autochtones soient systématiquement ciblés et qu’ils n’aient pas les mêmes chances que les blancs ? Comment expliquer que l’histoire perdure et que notre société n’ait pas appris des erreurs du passé ?

 

 

Parce que les faits sont là : au Canada, plus de la moitié des enfants en famille d’accueil sont autochtones, alors que ces enfants ne représentent que 7 % de la population infantile. Les pourcentages varient selon les provinces, mais des études montrent que le Manitoba et la Saskatchewan sont les provinces qui détiennent le triste record. Au Manitoba par exemple, un enfant autochtone sur six est arraché à sa mère pour des raisons de pauvreté ou de difficultés familiales. Dès lors faut-il se surprendre que les Premières Nations parlent de racisme et qu’elles demandent que leurs droits soient respectés ?

Les membres des Premières Nations revendiquent une pleine juridiction sur la protection de leurs enfants. Cela implique que si la situation l’exige, l’enfant pourrait être retiré de sa famille, mais le Conseil de Bande privilégierait la famille élargie de l’enfant pour qu’il puisse rester dans sa communauté. Si cela n’est pas possible, il choisirait une famille qui ferait tout pour que l’enfant puisse garder des liens avec sa communauté d’origine et garder vivante sa culture. Bien sûr, cela demande une volonté politique de changer les choses. Comme.  la protection des enfants est de juridiction provinciale, c’est à chacune des provinces de se mobiliser et de poser des gestes concrets.

Au Québec, les Attikameks ont négocié une entente avec le gouvernement provincial pour garder la pleine juridiction sur les enfants de leur communauté. Cette prise de pouvoir est un grand pas en avant pour mettre fin au cauchemar que vivent les familles, mais elle ne règle pas tout. Le problème est complexe et la solution doit être d’ordre systémique. Par exemple, il faut augmenter les ressources d’aide et ces ressources devraient être autochtones de préférence pour respecter la culture des Première Nations. Avant de penser à retirer les enfants de leur milieu de vie, il faut penser à outiller les mères et les familles. Il faut aussi contrer la pauvreté, bâtir des logements, identifier les familles de la communauté capables d’accueillir les enfants en urgence et surtout, surtout, réévaluer constamment la pertinence des placements. Enfin, la contribution financière accordée à la famille d’accueil doit être repensée, car dans le système actuel, plus un enfant a de diagnostics et plus l’agence de placement reçoit de subventions. Il est alors facile et tentant de perdre de vue le bien de l’enfant et de considérer celui-ci plutôt comme une source de revenus.

Tout un travail! n’est-ce pas? Mais aussi quels beaux défis à surmonter! Et quels beaux exemples de résilience nous montrent ces communautés dont nous avons tant à apprendre ! La Commission Vérité et Réconciliation marque un grand pas en avant pour notre pays. C’est une avancée sur un chemin aride, qui va dans la bonne direction. Nous pouvons en attendre une amélioration considérable du sort réservé aux populations longtemps malmenées des premiers occupants de notre pays. Quelque chose comme une belle montée pascale, peut-être?

En collaboration
Anne Saulnier et Jacques Marcotte, OP
Québec

 

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