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Le psalmiste,

Responsable de la chronique : Michel Gourgues, o.p.
Le psalmiste

Psaume 120 (119) : « Prière pour la paix par les migrants dans l’adversité »

Imprimer Par Christian Eeckhout, o.p.

1 Cantique des montées.
Vers Yahvé, quand l’angoisse me prend,
je crie, il me répond.
2 Yahvé, délivre-moi des lèvres fausses,
de la langue perfide !
3 Que va-t-il te donner, et quoi encore,
langue perfide ?
4 Les flèches du batailleur, qu’on aiguise
à la braise des genêts.
5 Malheur à moi de vivre en Méshek,
d’habiter les tentes de Qédar !
6 Mon âme a trop vécu parmi des gens
qui haïssent la paix.
7 Moi, si je parle de paix,
eux sont pour la guerre.
Traduit par © La Bible de Jérusalem, Éditions du Cerf, Paris 1998

Présentation

Le psaume 120 (119) est un écrit oriental biblique qui appartient à la collection des quinze chants de pèlerinages ou « des montées » (v.1) par des chemins pénibles vers Jérusalem (Ps 120 (119) à 134 (133)). Ils sont assez brefs – sauf 132 (131) qui est destiné à l’anniversaire de la translation de l’arche d’alliance à Sion – et étaient notamment chantés par les pèlerins juifs montant les quinze marches ou degrés d’accès à l’esplanade du Temple à Jérusalem. Ils font suite à la collection des « Psaumes du Hallêl égyptien » (113 à 118) célébrant dans la louange la joie de servir le Seigneur Dieu dans la liberté retrouvée après l’exil à Babylone. Ils présentent un « rythme graduel » où les mêmes mots sont répétés, en écho, en deux vers consécutifs. Ici, par exemple, « langue perfide » aux vv. 2-3, « vivre/vécu » aux vv.5-6 et « paix » aux vv. 6-7.

Il s’agit d’une rude montée vers la ville sainte, et le Psalmiste évoque le souvenir de lieux éloignés d’elle, qui personnifient symboliquement l’ennemi du Psalmiste : aux vv.5 et 6 on lit : « Meshek » (5a) qui peut dire une région d’Asie mineure connue d’Ezéchiel (Ez 27,13; 32,26; 38,2), celle d’une peuplade du Caucase où le psalmiste a émigré ou bien fut exilé et rappelle le nom d’un fils de Japhet, petit-fils de Noé (Gn 10,2); « Qédar » (5b) et ses « tentes » peut dire une région de nomades des steppes d’Arabie du nord, connue d’Isaïe (Is 21,16) ainsi que d’Ezéchiel (Ez 27,21); c’est aussi le nom d’un fils d’Ismaël (Gn 25,13). En ne lisant pas « trop » mais « Rabbat » au v.6a, on peut ajouter le lieu de Philadelphie, l’actuelle capitale du royaume de Jordanie, Amman, à l’est de la rivière du Jourdain. On comprend que le Psalmiste ne veut plus vivre parmi les « barbares ».
On peut relever deux autres caractéristiques : celle de nommer Dieu et l’être humain. Car chacun de ces quinze psaumes exprime d’une part le nom divin « Yahvé » dont une seule fois ses « oreilles » (130,2b) et note d’autre part très concrètement plusieurs parties du corps humain. Nous comptons ainsi une vingtaine de parties, allant de la tête aux pieds. En hébreu, notre psaume dit en premier lieu napͤšî = « ma gorge », qui peut également être traduit par « mon âme » ou « ma vie » ou encore par « moi » pour dire le siège du souffle vital et le symbole anthropologique de la vie (Ps 120,2a.6b; 121,7b; 123,4a; 124,4b.5a.7a; 130,5b.6a; 131,2b.2d); puis « les lèvres de mensonge » (120,2a) pour signifier la fausseté ou au contraire les chansons (126,2b); « la langue perfide » de tromperie (120,2c.3c) qui existe déjà au Ps 52(51),4.6 : « comme un rasoir affuté », « une parole qui détruit »; ou à l’inverse celle emplie de rire (126,2b).

Il y a « la tête » (132;17; 133,2a) ou « la face » (132; 10b), avec « la barbe » (133,2b.2c); « la bouche » (126,2a) et « la voix » (130,2a), « les yeux » (121,1a; 123,1a.2a-c-e; 131,1b; 132,4a) et ses « paupières » (132,4b), « le regard » (131,1b) et « les larmes » (126,5a avec les pleurs (126,6a); « le nez » en colère des ennemis (124,3b) avec « leurs dents » (124,6c) ; « les mains » (121,5c, 123,2b; 125,3, 127,4a; 134,2a) et « les paumes » (128,2a); « le cœur » (125,4; 131,1a); « le ventre ou les entrailles » (127,3b); « le dos » (129,3a); et « les pieds » (121,3,122,2a; 132,7b). Du genre littéraire prière de supplication individuelle avec la forme habituelle du serment d’imprécation (v.3// 1 S 3,17; 14,44; 20,13; 25,22; Rt 1,17), l’accent de ce psaume met en avant la recherche de l’idéal du juste. Il utilise le thème prophétique du feu (v.4) et celui de la parole (avec le cri du psalmiste et la réponse de Dieu; les lèvres et la langue). Les mots-clés sont ceux du salut par rapport à l’angoisse et de la paix par rapport à la guerre. Remarquons encore que les métaphores utilisées traduisent des réalités ambivalentes : ainsi les « flèches » peuvent être soit guerrières et meurtrières comme ici (120,5a), durcies grâce aux braises du feu des genêts qui se consume lentement (cf. Is 5,28). Comme on dirait des phrases incendiaires formulées par des langues aiguisées comme une épée. D’autres flèches sont plutôt des trophées du carquois, comme sont les fils du brave homme dans sa jeunesse (Ps 127,4a). Et il existe des langues capables de cri de joie (Ps 126,2b). Les « tentes » des tribus du désert oriental (120,5b) signifient par ailleurs le lieu de repos (Ps 122, 6b) ou aussi la maison, la famille (Ps 132,3a).

La « paix » est un thème récurrent dans les psaumes des montées : il y a des gens de paix (120,7a) et d’autres qui la haïssent (120,6b // Ps 35,20 car « ils n’ont jamais un mot de paix »); il y a ceux qui souhaitent la « paix sur Israël » (Ps 122, 6a.7a.8c), c’est-à-dire pour le groupe des croyants pauvres (‘anawim), ce que reprennent tel quel les Ps 125,5b et 128,6b. Ici le psalmiste, désolé de ne pouvoir vivre en paix, cherche au terme de son pèlerinage cette paix en Dieu. Et il se tourne vers Yahvé pour l’implorer la délivrance dans l’adversité.

Réception chrétienne

Dans son angoisse, Jésus a prié à Gethsémani et a même crié en croix vers son Père, car Il est venu en homme de paix et ses opposants lui ont fait la guerre ! Jusqu’au bout de sa Passion, Jésus fera preuve de la plus belle persévérance, avec l’endurance que relèvera saint Paul (2 Co 6,4) en ce temps favorable du salut de l’humanité ! Même si Jésus a repoussé ses calomniateurs sans ménagement (cf. Lc 19,39-40, Mt 3,7-10), Il dépassera de loin les serments et propos vengeurs du psalmiste selon la loi du talion (vv.3-4) en offrant sa paix aux disciples lors de ses apparitions, ressuscité (Jn 20,19.21). Les chrétiens en église, au milieu des souffrances, n’hésitent pas à demander que les migrants et les morts soient bénéficiaires de cette Paix du Christ. En entrant chez quelqu’un, Jésus invite à dire : « Paix à cette maison » (Lc 10,15) et à être un être de paix (cf. Rm 12,18) C’est un des fruits de l’Esprit ! (Ga 5,22).

Dans la liturgie des heures

Dans l’actuelle liturgie de l’église catholique, le Psaume 120 (119) n’est chanté qu’à l’office du milieu du jour du IVe lundi. Il est mis en rapport avec Lc 18,31 où Jésus fait part de sa montée à Jérusalem avec les Douze. Il sait aussi combien il y sera moqué par des mensonges de langues médisantes et des faux serments ! Certes, mais Il est sauvé et nous sauve avec Lui.

Dans la littérature

Notre psaume peut bien se comprendre comme l’expérience de Marie-Noël Rouget dans l’épreuve de la perte de son petit frère et de celle des horreurs de la guerre. Elle s’assombrit et voit « Dieu noir » sans lumière, sans bonté. Mais à cause de Jésus-Christ, elle comprend que Dieu est avec nous, solidaire en notre humanité. Et reprend confiance !

fr. Christian Eeckhout, o.p., Jérusalem

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