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Le psalmiste,

Responsable de la chronique : Michel Gourgues, o.p.
Le psalmiste

Psaume 92. Cantique du juste

Imprimer Par Marc Leroy, o.p.

cedre1 Psaume. Cantique. Pour le jour du sabbat.

2 Il est bon de rendre grâce à Yahvé,
de jouer pour ton nom, Très-Haut,
3 de publier au matin ton amour,
ta fidélité au long des nuits,
4 sur la lyre à dix cordes et la cithare,
avec un murmure de harpe.

5 Tu m’as réjoui, Yahvé, par tes œuvres,
devant l’ouvrage de tes mains je m’écrie :
6 « Que tes œuvres sont grandes, Yahvé,
combien profondes tes pensées ! »
7 L’homme stupide ne sait pas,
cela, l’insensé n’y comprend rien.

8 S’ils poussent comme l’herbe, les impies,
s’ils fleurissent, tous les malfaisants,
c’est pour être abattus à jamais,
9 mais toi, tu es élevé pour toujours, Yahvé.

10 Voici : tes ennemis périssent,
tous les malfaisants se dispersent ;
11 tu me donnes la vigueur du taureau,
tu répands sur moi l’huile fraîche ;
12 mon œil a vu ceux qui m’épiaient,
mes oreilles ont entendu les méchants.

13 Le juste poussera comme un palmier,
il grandira comme un cèdre du Liban.
14 Plantés dans la maison de Yahvé,
ils pousseront dans les parvis de notre Dieu.

13 Dans la vieillesse encore ils portent fruit,
ils restent frais et florissants,
14 pour publier que Yahvé est droit :
mon Rocher, en lui rien de faux.

(Bible de Jérusalem)

Ce psaume est un psaume d’action de grâce pour tout ce que Dieu a fait dans la vie du suppliant. Le psaume ne fait pas référence à un moment précis de l’histoire du peuple d’Israël, c’est plutôt le psalmiste qui se souvient et qui veut rendre grâce à Dieu.

Après une introduction (vv. 2-4) qui invite à l’action de grâce, nous trouvons une première série de raisons de rendre grâce (vv. 5-9 : la Création ; la fin des impies), puis une deuxième série de raisons de rendre grâce (vv. 10-16 : la fin des ennemis ; le juste qui porte beaucoup de fruits).

Dans ce psaume, où l’on trouve l’enseignement traditionnel de la Bible, on oppose la vie heureuse que va connaître le juste au destin tragique du méchant, en des termes qui ressemblent aux livres de Sagesse de la Bible.

Nous trouvons, dans le titre, la seule mention du sabbat de tout le psautier. On a souvent décrit ce psaume comme un psaume pour le sabbat, voire un psaume qui serait pour le temps eschatologique, moment du sabbat éternel.

vv. 2-4 : Les trois versets d’introduction affirment qu’il est bon de rendre grâce au Seigneur. Nous trouvons, en hébreu, la même racine zamar pour dire le mot mizmor, « psaume », et le verbe ulezammer, « et jouer [de la musique] ». En plus du jeu sur les sons, nous voyons qu’il y a un lien entre le psaume et le fait de jouer un instrument. Prier un psaume passe par jouer d’un instrument de musique. Le v. 3 parle de « publier » l’amour du Seigneur, en hébreu, nous avons le verbe nagad, « raconter ». Il s’agit de raconter ce que le Seigneur a fait de beau dans ma vie, de proclamer que le Seigneur est bon car Il a fait tant de belles œuvres pour moi. Nous n’aurons jamais assez de toute notre vie pour dire au monde, en même temps, l’amour que nous avons pour le Seigneur et toutes les belles choses qu’Il a pu faire pour nous. Nous devons proclamer cela matin et nuit. C’est « au matin » que nous devons publier son amour, et c’est « au long des nuits » que nous devons dire sa fidélité. Le mot hébreu utilisé par le psalmiste est layla, « nuit », et non ʽereb, « soir ». Il faut bien comprendre qu’il ne s’agit pas ici de proclamer l’amour de Dieu le matin et le soir, qui sont les deux moments importants de la prière au Temple de Jérusalem, mais c’est bien « matin » et « nuit », autrement dit jour et nuit qu’il faut proclamer la bonté du Seigneur envers nous tous. La proclamation peut se faire murmure, mais le plus important est de dire cet amour. Les allusions aux instruments de musique comme la lyre à dix cordes, la cithare et la harpe renvoient au v. 2 qui nous disait qu’il fallait jouer de la musique pour dire notre action de grâce.

vv. 5-9 : Nous trouvons une première série de raisons à l’action de grâce. La première raison, au v. 5, est l’œuvre de Création du Seigneur, ou plus exactement la joie du psalmiste devant la Création. Dieu aurait pu créer les beautés du monde pour Lui-même. Mais Il a voulu que les hommes se réjouissent devant cette Création. Le psalmiste éprouve tellement de joie qu’il ne peut se retenir, il est obligé de crier combien les actes du Seigneur sont bons. Le psalmiste a été réjoui la première fois qu’il a vu cette Création, mais il continue de crier sa joie jusqu’à aujourd’hui. Il ne s’agit pas d’une joie simplement intérieure. C’est très concrètement que cette joie doit s’exprimer par le corps. De la même façon que Dieu a créé le monde par ses mains, le psalmiste doit crier sa joie au monde par son corps.

Le psalmiste ne va pas seulement célébrer les actions du Seigneur, il va aussi louer les pensées divines, non seulement les œuvres de Dieu sont grandes, mais ses pensées sont profondes. Cela veut dire que Dieu n’a pas créé le monde soudainement, mais qu’Il avait profondément réfléchi à son œuvre de Création.

Ce que l’homme stupide ne sait pas et ce que l’insensé ne comprend pas au v. 7, ce n’est pas tout ce qui vient d’être dit, ce n’est pas l’œuvre merveilleuse de Création du Seigneur ; c’est ce qui va être dit dans les versets qui suivent. Le v. 7 n’est pas rétrospectif, il est prospectif. Il annonce quelque chose qui sera dévoilée plus tard.

Le v. 8 fait référence à des événements du passé. Les impies et les malfaisants ont déjà été abattus. Après la Création, c’est une deuxième raison de rendre grâce à Dieu. Le Seigneur ne permet pas que les impies et que les malfaisants fleurissent. En Terre sainte, après les fortes pluies de l’hiver, l’herbe peut pousser très rapidement. Mais vient le vent du désert et la chaleur des jours chauds qui détruisent cette herbe.

Il est intéressant de noter que le verbe parah, « pousser », que nous trouvons pour décrire, au v. 8, les impies (« s’ils poussent comme l’herbe, les impies »), nous allons le retrouver pour décrire, au vv. 13-14, de façon positive, les justes (« le juste poussera comme un palmier » ; « ils pousseront dans les parvis de notre Dieu »). Nous pouvons comparer les deux images utilisées. L’herbe, qui sert à décrire la croissance des impies, a une durée de vie très courte. Elle apparaît après la pluie, mais elle est très vite desséchée par le soleil. Si cela semble être un scandale de voir les impies fleurir comme l’herbe, nous sommes très rapidement rassurés car nous savons que cette herbe ne va pas durer. Même si le v. 8 ne dit pas explicitement que c’est Dieu qui est à l’origine de la fin des impies, nous le devinons en nous référant aux vv. 5-6 qui ont parlé des actes de Dieu lors de la Création. Si la première raison de rendre grâce à Dieu, la Création, est un acte qui vient de Lui, nous pouvons penser que la deuxième raison de Lui rendre grâce, la fin à jamais des impies, est aussi un acte qui vient de Dieu.

Le v. 9 est le centre du psaume. Il se trouve à la fin de la première série de raisons et n’a pas de contrepartie dans la deuxième série. De plus, nous pouvons voir que le v. 8 est un tricolon alors que le v. 9 est un monocolon. Cette différence de rythme dans le psaume est une indication pour affirmer que le v. 9 est au centre de la composition. Les versets 8c et 9 sont admirablement construits. Nous y trouvons deux mots similaires pour dire une durée illimitée (« à jamais », « pour toujours ») et une opposition fortement contrastée pour exprimer le devenir des impies et des malfaisants (« pour être abattus ») et le devenir de Dieu (« Tu es élevé »).

vv. 10-16 : Une deuxième série de raisons pour laquelle rendre grâce à Dieu commence au v. 10 par « voici » renforçant ainsi l’attention sur ce verset. Comme le v. 8 parlait des impies et des malfaisants, ce verset décrit ce qui va se passer aux ennemis et aux malfaisants. Nous pouvons penser à Juges 5,31 : « Ainsi périssent tous tes ennemis, Yahvé ! ». Le v. 11, comme le v. 5a, a Yahvé comme sujet. Le verbe rum, « me donner la vigueur [littéralement : dresser ma corne] », du v. 11 a la même racine que le mot marom, « élevé », du v. 9. Yahvé qui est élevé est aussi celui qui peut m’élever. Il y a un lien évident entre Dieu qui est élevé et la force que le juste peut recevoir de Dieu. Pour l’homme de la Bible, la vigueur du taureau provenait de la possibilité qu’il a de tuer au cours d’un combat avec ses cornes. C’est parce qu’il a des cornes que le taureau dégage une impression de force. Ce n’est pas un hasard si, dans le Proche-Orient ancien, plusieurs dieux, en particulier les dieux de l’orage, sont représentés par un taureau. Après l’action du Seigneur, le psalmiste est comme une personne qui a été recouverte d’huile fraîche. C’est la marque d’une célébration qui fait disparaître les signes de tristesse : « pour leur donner un diadème au lieu de cendre, de l’huile de joie au lieu d’un vêtement de deuil, un manteau de fête au lieu d’un esprit abattu » (Is 61,3). C’est aussi avec de l’huile que l’on va soigner les blessures : « de la plante des pieds à la tête, rien d’intact : blessures, plaies, meurtrissures récentes, ni nettoyées, ni bandées, ni adoucies avec de l’huile » (Is 1,6). C’est enfin la marque de celui qui est oint par le Seigneur : « Samuel prit la corne d’huile et l’oignit au milieu de ses frères. L’esprit de Yahvé fondit sur David à partir de ce jour-là et dans la suite » (1 S 16,13). L’adjectif raʽanan, « fraîche », est habituellement lié à la fraîcheur apportée par des arbres faisant penser à la verdure et à ce qui est florissant (cf. v. 15 : « ils restent frais et florissants ».) L’image est la suivante : le Seigneur a mis de l’huile provenant d’un arbre vert sur une personne fatiguée et cela lui a apporté de la fraîcheur.

Au v. 12, il est dit que le juste a vu ceux qui l’épiaient. Nous comprenons que les ennemis ont été défaits et que le juste peut les voir défaits avec une certaine satisfaction comme en Ps 118,7 : « Yahvé est pour moi, mon aide entre tous, j’ai toisé mes ennemis ». Le psalmiste voit ses ennemis prendre la fuite et il entend leurs cris de panique au milieu de leur fuite. Les cris des méchants contrastent fortement avec les cris de joie du psalmiste au v. 5.

La vie heureuse du juste, désormais débarrassé des méchants, est décrite, au v. 13, par l’image de l’arbre florissant comme pour Ps 1,3 : « Il est comme un arbre planté auprès des cours d’eau ; celui-là portera fruit en son temps et jamais son feuillage ne sèche ; tout ce qu’il fait réussit ». Le juste est ici comparé au palmier, un arbre qui donne beaucoup de fruits, et au cèdre du Liban, un arbre très grand. Le v. 14 dit que les justes sont « plantés dans la maison de Yahvé » et qu’ « ils pousseront dans les parvis de notre Dieu ». C’est une image pour dire que les justes vivent sans cesse dans la présence divine et sous la protection de Dieu. Même devenus âgés, le v. 15, nous dit que les justes continuent à donner beaucoup de beaux fruits.

Le v. 16 reprend le même verbe qu’au v. 3 : nagad, « publier, raconter ». Au v. 3, il fallait publier et dire l’amour du Seigneur ; au v. 16, il faut publier et dire que Yahvé est droit. Le Seigneur est un roc, Il est celui qui rend ferme le cosmos et le juste. Il est celui qui permet au chaos d’être ordonné et au juste blessé d’être guéri.

fr. Marc Leroy, o.p.

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