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Le psalmiste,

Responsable de la chronique : Michel Gourgues, o.p.
Le psalmiste

Psaume 128 (127) Prospérité de l’homme relié à Dieu

Imprimer Par Christian Eeckhout, o.p.

1- Cantique des montées.
Heureux ceux qui craignent Yahvé
et marchent dans ses voies !

2- Du labeur de tes mains tu te nourriras,
heur et bonheur pour toi !

3- Ton épouse : une vigne fructueuse
au cœur de ta maison.                                                                                                                     Tes fils : des plants d’olivier
à l’entour de la table.
4- Voilà de quels biens sera béni
l’homme qui craint Yahvé.

5- Que Yahvé te bénisse de Sion !
Puisses-tu voir Jérusalem dans le bonheur
tous les jours de ta vie,
et voir les fils de tes fils !

6- Paix sur Israël !

Traduit par © La Bible de Jérusalem, Éditions du Cerf, Paris 1997

Des vœux personnalisés qui s’étendent à la famille, à la ville de Jérusalem et à la Terre sainte, qui les refuserait en ce temps où les trois sont secouées, sinon en pleine évolution ? Mais leur réalisation répétée aux versets 1 et 4 est fonction de la « crainte de Dieu », c’est-à-dire de l’accomplissement de tous ses devoirs à l’égard de Dieu et du prochain. Le bonheur familial ou domestique est un bien, une bénédiction pour celui qui vit relié à Dieu et « marche dans ses voies » c’est-à-dire n’oublie pas le sens religieux de sa vie issue de Lui, autrement dit : qui met le Seigneur au centre.

La bénédiction souhaitée ou reçue de Dieu s’apparente habituellement à une bonne santé, à la fécondité et la prospérité, ce que déploie notre psaume au niveau du travail et de la famille aux versets 2 et 3. La bénédiction advient comme récompense de la justice morale (pour le juste au Ps 5,13; l’homme au cœur pur du Ps 24,4-5 et celui qui a pitié ou prête du Ps 37,26) et de la fidélité religieuse (Ps 115,13-14 dit la même croissance familiale que Ps 128). 

Nous avons ici le genre littéraire didactique: un psaume de circonstance particulière. Il s’agit d’une bénédiction personnelle, qui fait l’éloge du croyant en des paroles positives chargées d’effets heureux et de bienfaits concrets, allant jusqu’à la paix du vivre ensemble et l’intégrité ou la plénitude, que l’on appelle parfois « sécurité » de manière réductrice, au lieu de sérénité et de bien ultime que le peuple espère. 

Au plan de sa structure, le Ps 128 se présente en deux parties : v. 1-3 et 4-6. Chacune contient des énoncés en style direct (v.2-3, 5-6) et en style indirect (v.1 et 4). La première  partie exprime le bonheur yahviste du juste en son labeur manuel (v.2a) et en sa famille (v.3).  La seconde partie exprime le bonheur du juste en sa longévité terrestre (v.5 et 6a) et en sa région (v.6b), ici énoncée en une formule de bénédiction rituelle qui exalte le fait de « voir » se réaliser ces bienfaits : pour Jérusalem (5b) et pour les petits fils (6a).

Le 1er verset met au pluriel pour « tous », ce que le Ps 112(111),1 énonçait au singulier pour un homme : la piste de bonheur des personnes qui prennent YHWH , le Dieu d’Israël, en considération partout. Le 2e verset dit une béatitude biblique, mais matérielle et est suivi au 3e verset du service de l’épouse qui fructifie comme une vigne généreuse en Terre sainte et donne des fils qui ornent la table du père de famille. La vigne est un arbrisseau grimpant produisant des grappes de raisin (Ct 7,9) et une plante décorative, mais surtout le symbole  de l’épouse (Is 5,1b) et ensuite du peuple d’Israël. Les oliviers sont tenus pour les rois des arbres (cf. Jg 9,8) et comme « oints (= fils de l’huile)  qui se tiennent devant le Seigneur de toute la terre » ( Za 4,3.13-14). La seconde partie du diptyque, au singulier, est adressée à ce fidèle croyant qui prospère (v.4) et reçoit au 5e verset une bénédiction de YHWH – noté Adonaï dans les manuscrits de Qumrân – source de tout bien, qui s’articule en deux souhaits de longévité (v.5) et de descendance (v.6a), avant de s’élargir à la perspective de paix pour la nation. La bénédiction divine provient « de Sion » (v.5) ce qui signifie le haut-lieu de  Jérusalem. Le Ps 47,2-3.9  présente « la ville de notre Dieu »  comme suit : « la montagne de Sion, c’est le pôle du monde, la cité du grand roi » et « la ville du Seigneur, Dieu de l’univers. »

Du point de vue juif, le Ps 128 appartient à la collection des quinze « cantiques des montées » (= Ps 120 à 134) qui servaient aux pèlerins lorsqu’ils gravissaient les degrés en s’approchant du Temple de Jérusalem.  Les pères de famille qui venaient en pèlerinage ont pu espérer recevoir une telle bénédiction de la part des prêtres, à leur arrivée au Temple. On comprend alors que le Ps 128 cite lui-même d’autres psaumes. Ainsi le v.5a = Ps 134,3 et le v.6b = Ps 125,5 ou les rejoint dans l’esprit : Ps 37,34 et 112,1.3 pour les vv.1et 2 et Ps 144,12 pour le v.3c. Il est prié aux temps forts de la liturgie juive, ainsi que le matin et plus souvent encore le soir.

On peut assurément regretter que la bénédiction soit uniquement adressée au mari et au père, mais ceci provient du système culturel patriarcal israélite avec son économie agraire. C’est pour cela que les signes de bonheur sont limités à une prospérité matérielle et une descendance masculine. Pour Jésus, il faut revenir à l’égalité homme et femme du projet divin (cf. Mc 10,6 basé sur Gn 1,27).

Ce qui est important à remarquer est que la bénédiction ne veut pas rester confinée à la cellule familiale. Il y a un double élargissement : le psalmiste considère d’abord que le bonheur résulte de l’union à Dieu de « tous les craignant Dieu » (v.1) et ensuite que ce bonheur de paix s’étend au peuple israélite (v.6). Une telle bénédiction suggère aussi – pour celui qui accorde à Dieu la 1e place – le renversement de l’antique malédiction contre Adam, sa femme et ses fils où « l’enfantement des fils » autant que « le travail quotidien » était une peine (Gn 3,16-19) et la dispute mortelle de leurs fils une peine supplémentaire (Gn 4,8-13).

Ce psaume porte des accents de bonheur messianique pour « une terre nouvelle », annoncé  par Is 66,8-23 qui mentionne successivement « la bénédiction, la table, les vignes et les arbres ». Le prophète Osée loue Dieu qui donnera à Israël « la splendeur de l’olivier » et de voir « fleurir la vigne », moyennant l’avertissement que « Droites sont les voies de Yahvé, les justes y marcheront, mais les infidèles y trébucheront. » (Os 14,5-10).

Du point de vue chrétien, nous avons ici un psaume à saveur de béatitude ! Dans le Nouveau Testament, sainte Marie chante « la miséricorde de Dieu » qui « s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent » (Lc 1,50; cf. Ps 103(102),17). Jésus donne sa bénédiction aux enfants (Mc 10,16//) et, une fois ressuscité, Il la donne à ses disciples (Lc 24,50) avant son ascension. Depuis, la bénédiction est devenue une disposition éthique et spirituelle du chrétien, enseignée dans l’Évangile (Lc 6,28 : « Bénissez ceux qui vous maudissent »), par saint Paul (Rm 12,14 : « Bénissez ceux qui vous persécutent », 1Co 4,12 : « on nous insulte et nous bénissons ») et rappelée par saint Jacques : « nous bénissons le Seigneur et Père » (Jc 3,9). L’épître aux Éphésiens s’ouvre par une double bénédiction, au plan céleste, de Dieu et pour nous : « Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus Christ, qui nous a bénis par toutes sortes de bénédictions spirituelles, aux cieux, dans le Christ. » (Ep 1,3). Saint Pierre, quant à lui,  adresse à tous cette magnifique exhortation : « Soyez en parfait accord, dans la compassion, pleins d’affection fraternelle, de miséricorde, d’humilité. Ne rendez pas mal pour mal, insulte pour insulte; bénissez, au contraire, car c’est à cela que vous avez été appelés, afin d’hériter la bénédiction. » (1Pi 3,9).

La devise des Dominicains s’en inspire très justement : « Louer, bénir, prêcher »!

La réalisation messianique s’accomplit dès lors que l’on voit dans « le travail » l’œuvre de Dieu en nous; dans « la maison » l’épouse du Christ, son église; dans « les fils » les baptisés; dans « la table » le banquet eucharistique et dans « la paix » le Christ lui-même.

Aussi travailler avec Dieu devient gratifiant; c’est le bonheur du juste, noté par Isaïe (Is 3,10) et enseigné par saint Paul (1Th 4,11c et Col 3,23).

Dans la liturgie, le Ps 128 est  proposé aux latins-catholiques à l’office du milieu du jour de chaque 4e semaine et pour la liturgie de la parole du 33e Dimanche (A), du 27e Dimanche (B), ainsi que pour la fête de la sainte famille de Jésus, Marie et Joseph. Durant le temps ordinaire, le Ps 128 est mis en relation avec le récit de la création (Gn 2) le jeudi de la 5e semaine; avec les bénédictions de Tobie et Sarra (Tb 5-7) le jeudi de la 9e semaine et avec les bénédictions d’Abraham et Sara (Gn 17) au vendredi de la 12e semaine. Il est également chanté dans la liturgie du commun des saint(e)s.

Pour conclure pastoralement, il est bon que les parents sachent bénir leurs enfants et même que les enfants bénissent leurs parents en les marquant également d’une croix sur le front, avant d’aller au travail ou avant d’aller dormir. Ce psaume convient bien aux fiancés et aux époux pour vivre leur mariage avec toutes leurs énergies positives. Et pour le temps de Pâques où la paix véritable qu’est le Christ est offerte « par le sang de sa croix » (Col 1,20), celui de la « vigne véritable » (Jn15,1.5) à Jérusalem – la ville du renversement de la mort par la résurrection de Jésus – pour être le bonheur de notre humanité.

Christian Eeckhout, o.p.

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