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Cinéma d'aujourd'hui,

Responsable de la chronique : Gilles Leblanc
Cinéma d'aujourd'hui

Au cœur de l’océan, de Ron Howard ; Suburra, de Stefano Sollima

Imprimer Par Patrick Bittar

Au coeur de l'ocean

Au cœur de l’océan, de Ron Howard

In the heart of the Sea commence en 1850 sur l’île de Nantucket, au large du Massachusetts. L’écrivain américain Herman Melville, en pleine crise créative, se présente chez un ancien matelot, Thomas Nickerson, pour qu’il lui raconte l’histoire de l’Essex, un baleinier qui a sombré trente ans plus tôt dans le Pacifique après avoir été fracassé par un cachalot géant. Nickerson, dernier rescapé vivant du naufrage, accepte pour la première fois de livrer les souvenirs qui le hantent…

En 1819, il n’a que 14 ans lorsqu’il embarque sur l’Essex. C’est un mousse novice, sous les ordres d’Owen Chase, vaillant commandant en second de 22 ans. Chase a promis à sa femme enceinte qu’il reviendrait. Les vingt-deux membres de l’équipage partent en effet pour deux ou trois ans, le temps de ramener une cargaison d’huile de cétacés, produit précieux à une époque où les combustibles souterrains ne sont pas encore exploités. D’extraction modeste, Chase veut devenir capitaine, mais pour l’heure il reste sous le commandement de George Pollard, snob, inexpérimenté, mais fils d’un riche armateur. L’expédition bicéphale va rencontrer sur sa route un « monstre marin ». Seuls huit hommes réchapperont de la confrontation.

Cette histoire vraie, traitée de manière spectaculaire mais avec un souci d’authenticité, donne un film palpitant. Avec Nickerson le moussaillon, on découvre l’intensité réglée de la vie ordinaire à bord : l’énergie bien déployée pour réaliser les manœuvres ; la bravoure bien ancrée pour chasser les baleines aux harpons depuis des baleinières ; l’estomac bien accroché pour s’engouffrer dans la carcasse fétide des cétacés et y récupérer le spermaceti. Certaines scènes sont saisissantes : la tempête, le banc de cachalots, les attaques du cachalot géant (30 m, comme le navire). S’ensuit l’éprouvante dérive des survivants, durant trois mois, dans des embarcations de fortune ; affamés, les malheureux tirent à la courte paille celui qui sera mangé.

Chase lui-même (Chris Hemsworth) a tout raconté dans Récit de l’extraordinaire et affligeant naufrage du baleinier Essex. Nickerson (interprété, âgé, par le grand acteur irlandais Brendan Gleeson) a quant à lui attendu cinquante-cinq ans avant d’écrire son récit.

Familier des superproductions (Apollo 13, Da Vinci Code),  Ron Howard a réalisé un bon film d’aventures maritimes. In the Heart of the Sea est peut-être moins intéressant que Master and Commander (2003) de Peter Weir, mais il est plus plaisant que la lecture de Moby Dick.

Suburra

Suburra, de Stefano Sollima

En 2011, la mafia manigance avec des politiques pour faire passer une loi conduisant à la transformation du littoral d’Ostie, près de Rome, en un Las Vegas italien. Après une séance houleuse au Parlement, le député Malgradi a rendez-vous dans un hôtel avec Sabrina, une call-girl, et, pour pimenter sa partouze quotidienne, une mineure. Comme celle-ci meurt d’une overdose, Malgradi charge Sabrina de se débarrasser du cadavre. La prostituée sollicite les services d’un voyou, qui fait incontinent chanter le ripou.

S’ensuit une plongée dans le monde criminel de la capitale où s’affrontent les chefs de plusieurs gangs : le Gitan, Samouraï (grand ponte de la pègre romaine) et Numéro 8 (jeune héritier d’une famille qui contrôle les plages d’Ostie). Sont pris dans les mailles de ce réseau mortifère : un entremetteur, qui après le suicide de son père se découvre héritier de sa dette envers le Gitan, et un cardinal, moins préoccupé par ses malversations que par la démission du pape.

Entrecroisant les destins des personnages, le récit traduit le caractère réticulé de ce milieu occulte dont il est impossible de s’affranchir. Un univers sombre (les trois quarts du film se passent la nuit et/ou sous une pluie diluvienne), peuplé de méchants, de cupides et de lâches. On étouffe dans Suburra, dont le titre évoque un ancien quartier malfamé de Rome (sub urbe, la ville du dessous).

Rome, justement, confère sa particularité à ce film de genre. Les mafias sont un cancer qui gangrène nos sociétés molles. Comme le dit Don Luigi Ciotti, « si les mafias sont tellement puissantes, c’est aussi parce que nous leur avons permis de se propager ». Dès lors, Rome aurait pu être considérée comme ville emblématique de la confrontation actuelle entre le Bien et le Mal, l’Epouse du Christ et la « grande prostituée ». Le film est d’ailleurs rythmé par un compte à rebours commençant « 7 jours avant l’Apocalypse » Mais cette référence grandiloquente fait finalement pschitt.

Polar musclé, bien interprété (Claudio Amendola effrayant en Samouraï), Suburra confirme l’évolution prophétisée il y a vingt ans par Scorsese dans Casino : Las Vegas est le rêve ultime de la nouvelle génération mafieuse. La scène de fusillade dans un centre commercial est aussi très significative. Suburra bénéficie de l’expertise de ses auteurs (notamment un magistrat et un journaliste) et le cinéaste Stefano Sollima a réalisé deux séries sur le sujet : Gomorra et Romanzo criminale. Si certaines scènes (une fête décadente) et un esthétisme baroque rappellent Paolo Sorrentino, Sollima se complaît parfois dans un maniérisme gratuit.

Patrick Bittar, Paris
Réalisateur de films

  1. Acteur australien qui a endossé à quatre reprises le costume du super héros Thor !
  2. Paris, Robert Laffont 2015, 160 p.

  3. Le rouquin de Happy Days, série culte des années 70.

  4. Don Luigi Ciotti, Un prêtre contre la mafia. Entretien avec Nello Scavo et Daniele Zappalà, Montrouge, Bayard 2015, 164 p.


Cette chronique est présentée en collaboration avec la revue Choisir, une revue culturelle ouverte et d’inspiration chrétienne de la Suisse Romande.

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