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Responsable de la chronique : Martin Lavoie, o.p.
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Michel Van Aerde : Le Père retrouvé

Imprimer Par Martin Lavoie, o.p.

Le Père retrouvé« Qui n’a pas vibré, voire pleuré à la chanson « Papaoutai » du jeune belge Stromae « Où, t’es où, t’es où, papa où t’es ? ». Un père absent, irresponsable, ne répond pas. Il est inexistant, comme le dit le langage populaire.  A-t-il même jamais existé ?

Tels sont les premiers mots de ce magnifique iBooks de 158 pages écrit par le fr. Michel Van Aerde, o.p., et tout au long duquel l’auteur creuse cette question tant d’un point de vue purement existentiel, humain que théologique.

Le livre est divisé en quatre parties : Caricatures et perversions, Nouvelle naissance, Une immense discrétion, Une intense communion.

Dans la succession des générations, serions-nous à notre tour condamnés à devenir des irresponsables : de pères en fils, des absents qui ne répondent pas ? Comme le « papa » éternellement absent, serions-nous condamnés à ne plus exister réellement un jour ? Y aura-t-il un jour une réponse qui soit autre chose que le simple écho de nos pleurs ? »

Il y a nous, les fils avec nos attitudes contradictoires à l’égard du mot père, et il y un autre fils, qui lui aussi avait un père et qui a peut-être beaucoup à nous dire et beaucoup à nous faire réfléchir sur la relation Père / Fils. Son nom est Jésus. Or, trop souvent, on passe sous silence ce qui fait l’essentiel de sa vie, de son discours, de ses actes : sa référence constante à son Père. 

La question de la filiation constitue l’abîme qui nous sépare de Jésus parce que trop souvent perverti par de fausses représentations et des caricatures qui nous révulsent.

Le génie de cet homme si particulier qu’est Jésus de Nazareth réside dans la relation exceptionnelle qui le relie à un autre que lui et qu’il appelle « Père ». C’est là que réside la vérité spirituelle de Jésus. Sans elle, l’Evangile s’aplatit, Jésus n’est plus qu’une sorte de prophète ou de maître de vie, l’Évangile n’est plus qu’une sorte d’Ancien Testament quelque peu raffiné.

Dans le Nouveau Testament, la figure paternelle est très souvent associée à celle de l’absence. Dans la plupart des paraboles de l’Évangile le personnage important part en voyage, il distribue ses biens pour qu’ils soient mis en valeur. Il est absent, il est parti, mais il revient : pour trouver ses serviteurs en train de faire la fête, ou de travailler humblement.

Une distance est reconnue entre Dieu et les hommes. Ceci nous appelle à nous méfier des fausses immédiatetés. C’est pour notre bien qu’il s’ « absente », qu’il nous « sèvre », qu’il délègue des fonctions de gouvernement, d’administration, de mise en valeur de la terre, de sa terre… Il nous permet ainsi d’exercer des responsabilités,  de grandir, de mûrir. Se retirer fait partie de son œuvre ! 

Etre fils n’est pas un acquis. On le devient. Mais on le devient en vérité quand la relation autoritaire laisse progressivement place à un sujet autonome, capable d’entrer librement dans une relation de reconnaissance. Il faut commencer par le commencement : le désir d’enfant.

« Je m’en vais sans enfant », dira Abraham à bout d’âge. Il souhaite vivre, et pour pouvoir vivre, continuer à vivre, se prolonger, il souhaite une descendance. La femme qu’il aime, Sarah, est stérile, Abraham cherche des substitutions. Suivant la coutume, Sarah reçoit sa servante Agar qui accouche « pour elle » l’enfant qu’elle a eu de son mari. Cet enfant est don de Dieu. Avec Moïse, la promesse de Dieu va plus loin. Abraham avait deux fils, figures tutélaires de deux peuples rivaux. Moïse a deux pères, un juif et un égyptien, deux peuples voisins, souvent ennemis. L’expérience de Dieu comme père se fait progressivement dans l’expérience spirituelle du peuple choisi. Dans la tradition juive, le fils, c’est d’abord l’ensemble du peuple de Dieu. 

L’Ancien Testament à travers ces histoires de naissance et de filiation nous redit que c’est en sachant d’où l’on vient que l’on apprend où l’on va, que c’est en étant en relation avec le Père que les pères peuvent enseigner à leurs enfants. C’est en faisant le geste de l’offrande que l’on apprend à recevoir.

Le Père n’est pas seulement au départ. Il est à l’origine et il est aussi à l’arrivée. Dieu ne peut pas être l’Alpha s’il n’est pas aussi l’Oméga. Le questionnement est dialectique, il va de l’origine vers la fin et de la fin vers l’origine. Entre les deux s’ouvre l’espace de l’histoire où chacun peut inscrire sa vie.

On dit souvent que prier, c’est parler à Dieu comme à un ami. Certes Abraham était un ami de Dieu mais il est aussi très important de s’adresser à Dieu, non pas comme à « un » ami, fut-il son meilleur ami, mais comme à un Père, le meilleur des pères. Et, curieusement, l’initiative nous revient. Le père ne devient père qu’à partir du moment où il est reconnu par l’enfant.

« Nul ne peut venir à moi si le Père qui m’a envoyé ne l’attire ». « Nul ne peut venir à moi, sinon par un don du Père ». Le don du Père est indissociable du don du Fils car, réciproquement, il le dit : « nul ne va au Père que par moi ».  Ce qui se révèle, dans le Fils et avec une étonnante discrétion, c’est le mystère intime de Dieu : « Nul n’a jamais vu Dieu. Le Fils unique, qui est dans le sein du Père, Lui, l’a fait connaître ». Connaître ou voir Dieu est, pour l’homme, du domaine de l’impossible mais c’est cela précisément que le Fils entend réaliser. 

Jésus se revendique fils de Dieu et il l’est de manière unique. Cependant il veut partager cette condition de fils avec tous, ouvrant sa filiation à tous, il fonde ainsi leur fraternité.

Le Père est la source ; il est tout aussi bien l’estuaire, ouvrant un espace infini à la progression de nos embarcations. Il est l’horizon qui nous entoure et qui recule en s’effaçant devant notre progression. Il est sans cesse à retrouver, sans cesse à redécouvrir. Où ?  En notre cœur, en notre plus profonde intimité, dans l’expérience joyeuse de nos potentialités.

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Michel Van Aerde, Le Fils retrouvé, Domuni-Press, 2015 (format papier ou électronique, www.domuni.eu/, 15 euros)

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