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Parole et vie,

Responsable de la chronique : Dominique Charles, o.p.
Parole et vie

2e Dimanche de Carême. Année B.

Imprimer Par François-Dominique Charles

L’épreuve vécue avec le Christ : un passage vers la gloire

Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean, et les emmène, eux seuls, à l’écart sur une haute montagne. Et il fut transfiguré devant eux.
Ses vêtements devinrent resplendissants, d’une blancheur telle que personne sur terre ne peut obtenir une blancheur pareille.
Élie leur apparut avec Moïse, et ils s’entretenaient avec Jésus.
Pierre alors prend la parole et dit à Jésus : « Rabbi, il est heureux que nous soyons ici ! Dressons donc trois tentes : une pour toi, une pour Moïse et une pour Élie. »
De fait, il ne savait que dire, tant était grande leur frayeur.
Survint une nuée qui les couvrit de son ombre, et de la nuée une voix se fit entendre : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé. Écoutez-le. »
Soudain, regardant tout autour, ils ne virent plus que Jésus seul avec eux.
En descendant de la montagne, Jésus leur défendit de raconter à personne ce qu’ils avaient vu, avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts.
Et ils restèrent fermement attachés à cette consigne, tout en se demandant entre eux ce que voulait dire : « ressusciter d’entre les morts ».

Commentaire

En l’an 2000 je crois, alors qu’il y avait de terribles inondations au Mozambique, je me souviens de cette histoire vraie qui nous a tous bouleversés : une femme se trouvait avec d’autres personnes au sommet d’un arbre entouré par les eaux menaçantes. Elle avait tout perdu ! Il ne lui restait que son enfant qu’elle portait elle-même. L’hélicoptère sauveur est arrivé… Il n’y avait pas de place pour tous… Alors elle a tendu aux sauveteurs son enfant… Et quand l’hélicoptère est revenu plus tard chercher les autres personnes, l’arbre avait disparu sous les eaux… Il n’y avait plus personne…

Cette femme a dû traverser une épreuve, un drame terrible. Aucun mot ne peut exprimer ce qu’elle a dû éprouver. Mais, dans sa détresse, elle a eu ce geste extraordinaire de confier son enfant à un inconnu. Elle s’est dessaisie de ce qu’elle avait de plus cher au monde. Si elle avait gardé l’enfant, il serait mort avec elle… En se séparant de son enfant, elle le sauvait, elle lui donnait naissance une seconde fois, elle agissait en véritable mère, en mettant son enfant à distance d’elle pour qu’il vive, en renonçant à elle-même pour que son enfant vive.

Nous ne sommes pas loin de l’enseignement du récit de la « ligature » d’Isaac, comme on dit dans le Judaïsme, et non du « sacrifice » d’Isaac puisqu’il n’a pas été sacrifié mais sauvé. Le but du récit n’est donc pas de nous montrer un Dieu qui exerce sa toute-puissance en demandant sadiquement à Abraham de lui offrir la vie de son fils. La suite du récit le prouve puisqu’il retient le bras d’Abraham. Le texte de la Genèse dit que Dieu a mis Abraham à l’épreuve, probablement pour lui apprendre quelque chose d’essentiel et de difficile sur la route spirituelle de la foi : le renoncement à soi-même est fondamental pour entrer dans une confiance totale en Dieu car « si Dieu est pour nous, comme l’écrit Paul aux Romains, qui sera contre nous ? » (Rm 8,31).

L’épreuve pour Abraham réside dans la demande que Dieu lui fait d’offrir ce qui lui est le plus précieux : son fils, son unique, non seulement parce que c’est celui qu’il aime, mais aussi — et peut-être surtout — parce que ce fils lui a été donné dans sa vieillesse de manière miraculeuse et qu’il est le porteur d’une promesse faite par Dieu lui-même. Par ce geste fou, Dieu demande à Abraham de lui offrir non pas une partie de ses richesses mais ce qui est porteur de toute son espérance : Dieu lui demande de renoncer à tout, de renoncer à lui-même et à tous les projets qu’il a pu faire au sujet de cet enfant.

La parole de Dieu l’avait fait sortir de son pays, elle l’avait invité à se mettre en marche vers un pays inconnu. Aujourd’hui, cette parole le met de nouveau en marche, mais cette fois, il s’agit d’entreprendre une route difficile et éprouvante qui consiste à sortir de soi-même. Comme dirait le mystique dominicain du 14e siècle, Maître Eckhart, « Qui se laisserait complètement lui-même pendant un instant, tout lui serait donné. » Selon la belle expression de saint Paul, Dieu provoque ainsi Abraham à « espérer contre toute espérance » (Rm 4,18). L’auteur de l’épître aux Hébreux suggère même qu’Abraham a cru à ce moment là que Dieu était capable de ressusciter les morts et donc de lui rendre le fils de la promesse (Hb 11,19).

Dans sa conclusion, l’auteur du récit de la Genèse donne une clé importante : « Tu as écouté ma voix » (on traduit souvent par « tu m’as obéi »). L’enjeu de toute la vie d’Abraham — de tout croyant — est de rester perméable, attentif à la voix mystérieuse de ce Dieu qui l’a appelé à se mettre en route et à se laisser conduire. Ce même Dieu aujourd’hui nous invite aussi à sortir de nous-mêmes et à vivre à l’écoute de sa voix. Il nous invite à nous tourner vers lui et vers nos frères, à l’aimer ainsi que notre prochain, à nous décentrer de nous-mêmes, à nous détourner de nos attitudes égocentrées pour entendre et répondre à l’appel qui nous invite à la liberté : « Viens et suis-moi ! » ; « Pars, quitte ton pays et va là où je te conduirai » ; « Sors entièrement de toi pour Dieu et Dieu sortira entièrement de Lui pour toi » écrit encore Maître Eckhart. C’est bien l’expérience que font sur la montagne les trois apôtres. Ils ont entendu l’appel qui les a mis en route : « Viens, suis moi… » Ayant tout laissé, ils l’ont suivi. Comme Abraham, ils se sont mis en route avec Jésus. Comme le grand Patriarche, ils ont été conduits sur la montagne et ont fait une expérience de rencontre de Dieu. Abraham dans son épreuve a entendu la voix du Seigneur, mais Dieu est resté caché à ses yeux : il ne l’a pas vu. Les disciples ont vu Jésus transfiguré. Ils n’ont pas vu le Père, mais ils ont entendu sa voix venant de la nuée : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé. Écoutez-le ! » Comme celle d’Abraham, l’expérience fondamentale des disciples sur la montagne a donc été auditive.

L’expérience de la foi est principalement auditive et demande de nous une disponibilité à l’écoute car « l’homme vit de tout ce qui sort de la bouche de Dieu » (Dt 8,3). Être croyant, c’est vivre en ayant l’oreille attentive à cette voix intérieure qui nous invite à tout miser sur la confiance en un Dieu qui se révèle et nous donne tout en se donnant dans le Fils bien-aimé. Offrons-lui sans réserve tout ce que nous sommes, comme cette veuve qui donne tout ce qu’elle a pour vivre (Mc 12,44) : « J’ai tout perdu afin de gagner Christ et d’être trouvé en lui », écrit saint Paul (Ph 3,8). D’une certaine façon, cette femme du Mozambique a peut-être pensé la même chose en tendant son enfant vers les sauveteurs. Laissons-nous convertir en profondeur durant ce temps du Carême pour apprendre à confier à la garde du Seigneur ce qui nous est le plus cher. Ayons une grande confiance et une immense espérance en Lui, même et surtout s’il nous semble que nous sommes mis à l’épreuve. Soyons sûrs que la route que nous faisons avec Lui conduit sur la sainte montagne où Dieu révèle son mystère sur le visage de lumière de son Fils bien-aimé : le visage douloureux du Crucifié et le visage glorieux du Ressuscité sont deux aspects du même visage de l’Ami des hommes. Cela nous apprend probablement que l’épreuve est toujours pour le croyant un passage à faire avec le Christ vers la gloire. Ne serait-ce pas là le sens de cette « porte étroite » dont nous parle Jésus (Lc 13,24) ?

Frère François-Dominique CHARLES, o.p.

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