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Parole et vie,

Responsable de la chronique : Dominique Charles, o.p.
Parole et vie

17e Dimanche du temps ordinaire. Année C.

Imprimer Par Daniel Cadrin

Un long apprentissage

Un jour, quelque part, Jésus était en prière. Quand il eut terminé, un de ses disciples lui demanda : « Seigneur, apprends-nous à prier, comme Jean Baptiste l’a appris à ses disciples. »
Il leur répondit : « Quand vous priez, dites : ‘Père, que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne. Donne-nous le pain dont nous avons besoin pour chaque jour. Pardonne-nous nos péchés, car nous-mêmes nous pardonnons à tous ceux qui ont des torts envers nous. Et ne nous soumets pas à la tentation.’ »
Jésus leur dit encore : « Supposons que l’un de vous ait un ami et aille le trouver en pleine nuit pour lui demander : ‘Mon ami, prête-moi trois pains : un de mes amis arrive de voyage, et je n’ai rien à lui offrir.’ Et si, de l’intérieur, l’autre lui répond : ‘Ne viens pas me tourmenter ! Maintenant, la porte est fermée ; mes enfants et moi, nous sommes couchés. Je ne puis pas me lever pour te donner du pain’, moi, je vous l’affirme : même s’il ne se lève pas pour les donner par amitié, il se lèvera à cause du sans-gêne de cet ami, et il lui donnera tout ce qu’il lui faut. Eh bien, moi, je vous dis : Demandez, vous obtiendrez ; cherchez, vous trouverez ; frappez, la porte vous sera ouverte. Celui qui demande reçoit ; celui qui cherche trouve ; et pour celui qui frappe, la porte s’ouvre.
Quel père parmi vous donnerait un serpent à son fils qui lui demande un poisson ? ou un scorpion, quand il demande un oeuf ? Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père céleste donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent ! »

COMMENTAIRE

Savoir prier n’est pas inné; cela s’apprend, auprès de quelqu’un qui en a l’expérience. Jésus est bien placé pour l’enseigner à ses disciples. Qu’est-ce qu’il s’agit d’apprendre? Un apprentissage peut porter sur des connaissances à acquérir, qui permettent de comprendre; ou sur des attitudes à développer, qui touchent notre être plus intérieur; ou encore sur des habiletés à acquérir, qui nous rendent capables d’agir. L’enseignement de Jésus ne porte pas tellement sur des méthodes de prière, même si cela peut être utile car prier est un acte bien concret. Il est plutôt centré sur les attitudes, le savoir-être plus profond, tout en transmettant aussi une perspective d’ensemble.
La prière au Père, celle que nous disons encore aujourd’hui, présente le mouvement même, la dynamique intérieure qui anime la prière chrétienne. Elle ne commence pas par une demande pour nous-mêmes ou d’autres, elle n’est pas d’abord centrée sur soi. Il s’agit de se tourner vers le Dieu vivant, qui est Père, source de vie, vers son nom, sa personne même, vers son règne, vers sa volonté. Cela donne à notre vie un horizon de sens, plus vaste, celui du règne de Dieu, dans lequel inscrire nos quêtes et nos attentes, nos tâtonnements et nos difficultés, nos travaux et nos services, pour que ce règne vienne. Elle ne commence pas par un nous mais par un Toi : ton nom, ton règne, ta volonté.

Ensuite, vient le deuxième temps avec ses demandes en nous. Donne-nous : il s’agit d’un don à recevoir, mais il fallait d’abord faire de la place pour accueillir ce don. Ce qui est demandé, c’est l’essentiel pour vivre : le pain, le pardon, le courage. Le pain au quotidien, celui dont nous avons besoin chaque jour, celui de la nourriture et de l’affection, de la dignité et du travail, du sens à la vie et de la beauté, ce pain qui soutient nos existences.

Mais nos vies aussi sont compliquées, avec leurs relations fragiles, leur poids de tensions, de rancoeurs, de blessures, qui s’accumulent en nous et nous empêchent de vivre. Pardonne-nous comme nous pardonnons. Libère nos coeurs de tous ces fardeaux, ces duretés, ces fermetures, dans nos rapports à toi et les uns aux autres, pour que nous puissions recommencer chaque jour, avec plus de confiance, pour que nous puissions nous tenir debout et marcher, d’un pas plus léger. Pour une famille, une communauté, un couple, un groupe, un peuple, la vie ensemble n’est pas possible sans réconciliation, sans dépassement des malveillances et ressentiments, sans pardon. Cela suppose un regard vrai sur soi, devant Dieu, sans fausse honte ou humilité. Nous sommes capables du pire comme du meilleur. Mais nous sommes aussi capables de nous relever, quand la grâce de Dieu nous soulève.

Nos vies sont difficiles. Nous sommes assaillis par tant de possibles et d’images, par les tentations de céder et de nous résigner, de laisser tomber la grandeur de notre vocation humaine. Choix à faire dans la vie familiale, le travail, les engagements avec d’autres et dans notre propre fidélité à nous-mêmes. Entre exaltation et détresse, des enjeux éthiques et spirituels se profilent et nous sommes parfois démunis ou surexcités. C’est alors le temps de supplier le Père : donne-nous le courage de nous tenir debout, ou de ne pas trop plier, et de garder les yeux, l’esprit et le cœur ouverts.

Dans son enseignement sur la prière, Jésus aborde aussi une question cruciale, qui éclaire le sens des demandes, celle de notre image de Dieu. La prière commence par nommer Dieu comme Père. Cette figure, pour Jésus, évoque la bonté et un climat de confiance. Le Père céleste est celui qui donne ce qui est bon. Si nous-mêmes, qui sommes souvent impatients et inconsistants, savons donner de bonnes choses aux nôtres, encore plus notre Dieu, qui justement est Dieu, le Tout-Autre et Tout-Proche, mystère de bonté dans son être même, saura-t-il nous donner la vie en abondance. Notre image de Dieu ne peut être inférieure à ce qu’il y a de meilleur en l’être humain. Autrement, nous sommes dans l’illusion, nous ne sommes pas tournés vers le visage du Dieu vivant mais vers une idole, qui n’écoute pas et ne parle pas, comme disent les Psaumes.

Que demander finalement? Et que recevrons-nous? Ce n’est pas toujours ce que nous penserions et voudrions. Ce que le Père céleste donne finalement, c’est lui-même, c’est son Esprit Saint. Alors, avec la confiance, le courage et le souci des autres que cet Esprit met en nous, avec la foi, l’espérance et l’amour qui nous habitent un peu plus, nous pouvons accueillir et donner le pardon, nous pouvons nous engager pour que le règne de Dieu vienne et que le pain de chaque jour soit accessible à tous.

Long apprentissage, jamais terminé, que celui de la prière. Car c’est en même temps apprendre à reconnaître, au plus profond de nous et dans ses traces en l’univers, une présence mystérieuse. À travers et au-delà de tous les mots et gestes de nos prières, nous cherchons un visage, celui de Dieu et le nôtre.

(À paraître dans le dossier de la revue Biblia sur le Notre Père, à l’automne)

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