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Méditation chrétienne

Deuxième sermon pour la résurrection du Seigneur

Imprimer Par Bienheureux Guerric d’Igny

Guerric naquit à Tournai (Belgique actuelle). Il étudia les humanités, la dialectique et la théologie à l’École-Cathédrale de cette ville. Il devint ensuite chanoine du chapitre de la cathédrale et responsable de l’école. Après quelques années d’une vie de solitude, de prière et d’étude, et, sous l’influence de saint Bernard, il entra à l’abbaye cistercienne de Clairvaux vers 1125. Il devint, vers 1138, le deuxième abbé de la fondation cistercienne d’Igny, où il termina sa vie. Guerric a rédigé 54 sermons pour les temps et fêtes liturgiques. Ce sont des méditations de l’Écriture dans le cadre de la prédication à sa communauté.

1. « Heureux et saint celui qui participe à la première résurrection ! »
« Je suis la résurrection et la vie », dit Jésus. Oui, il est lui-même la première résurrection, et aussi la seconde. Le Christ est ressuscité des morts, « prémices de ceux qui se sont endormis ». C’est par le mystère de sa Résurrection qu’il a opéré notre première résurrection, et c’est sur le modèle de cette même Résurrection qu’il opérera notre seconde résurrection. La première est celle des âmes ; elle a lieu quand il les ressuscite avec lui à une vie nouvelle. La seconde sera celle des corps ; elle aura lieu quand « il transfigurera notre corps de misère pour le rendre conforme à son corps de gloire ». C’est donc à bon droit que le Christ se proclame la résurrection et la vie, puisque c’est par lui et en lui que nous ressuscitons pour vivre en conformité avec lui et auprès de lui : à présent, en conformité avec lui en vivant dans la sainteté et la justice; plus tard, auprès de lui dans la béatitude et la gloire. En outre, de même que la première résurrection de notre Tête, le Seigneur Jésus-Christ, est la cause et le gage de la seconde résurrection qui sera celle de tout le Corps , ainsi pour chacun d’entre nous, la première résurrection de l’âme, résurrection qui nous ramène à la vie après la mort du péché, est également le gage et la cause de notre seconde résurrection, qui délivrera notre corps non seulement de la corruption et de la mort, mais de tout ce que la condition mortelle comporte de corruptible. Que la première de ces résurrections soit le gage et la cause de la seconde, l’Apôtre nous le montre avec évidence en disant : « Si l’Esprit du Christ habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts vivifiera aussi vos corps mortels, à cause de l’Esprit de Jésus qui habite en vous. »

2. C’est donc avec raison qu’il est dit : « Heureux et saint celui qui participe à la première résurrection ! » Il est saint en effet, en raison de cette première résurrection déjà obtenue par le renouvellement de son âme, et il est heureux en raison de la seconde qu’il attend dans la joie et qui lui restituera son corps. Ce même passage de. L’Écriture nous révèle aussi la cause de sa béatitude, en ajoutant : « La seconde, mort n’aura pas de pouvoir sur ceux qui participent à la première résurrection, même si pour un temps la première mort a semblé les soumettre à son empire. D’Adam à Moïse, en effet, « la mort a régné même sur ceux qui n’avaient point péché d’une transgression semblable à celle d’Adam ». Mais, comme le Christ, le chrétien qui ressuscite des morts « ne mourra plus, et la mort n’exercera plus de pouvoir sur lui ». C’est pourquoi la seconde mort n’aura plus de pouvoir sur les bienheureux, et la première ne gardera pas celui qu’elle a exercé momentanément. L’unique mort du Christ, en effet, a triomphé de l’une et de l’autre. Elle délivre de la première ceux qui en sont déjà captifs, et de la seconde ceux qui étaient destinés à en être les captifs. Elle nous préserve donc de tomber dans la seconde, et nous empêche de rester au pouvoir de la première.

Qu’elle est vraie, et tout ensemble miséricordieuse et magnifique, cette menace du Christ mourant : « Ô mort, je serai ta mort ! » Quel noble, et glorieux triomphe : en goûtant pour nous tous la mort, il a englouti sa propre mort et la nôtre sous toutes ses formes ! Oui, « la mort a été engloutie dans la victoire. » Quiconque « a le bonheur de participer à la première résurrection » peut en toute sécurité ironiser et dire : « Où est-elle, ô mort, ta victoire ? Où est-il, ton aiguillon ? » Te voilà vaincue, toi qui vainquais tout le monde. Tu as même perdu les armes dans lesquelles tu mettais ta confiance. Où est-il donc, ton aiguillon ? L’aiguillon de la mort, c’est le péché qui, en piquant une seule fois la racine du genre humain, a répandu dans tous ses rejetons le venin incurable de la mort, comme le dit l’Apôtre : « Par un seul homme, le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort, qui a ainsi passé en tous les hommes . » La mort régnait donc, victorieuse, depuis le premier Adam jusqu’au second, car le genre humain tout entier, enserré dans les liens du péché en vertu de sa condition originelle, avait de même contracté une dette envers la mort.

3. Mais « rendons grâces à Dieu de nous avoir donné la victoire » sur le péché et sur la mort, « par le Seigneur Jésus-Christ ! » II était, certes, exempt de tout péché, et par là libre de toute dette envers la mort. Mais il voulut cependant acquitter celle-ci pour nous en mourant, et en ressuscitant il nous délivra du péché. « Le Christ en effet, dit l’Apôtre, est mort à cause de nos péchés, et il est ressuscité pour notre justification. » En mourant, il acquitta la peine due à nos péchés, et en ressuscitant, il établit l’exemplaire et la cause de notre éternelle justification. « Le Christ donc, une fois ressuscité des morts, ne meurt plus, et la mort n’a plus de pouvoir sur lui » ; pareillement, le chrétien, une fois ressuscité avec le Christ, ne commettra plus de péché allant à la mort, et le péché n’aura plus à l’avenir pouvoir sur lui.

Le chrétien est donc « ce bienheureux et ce saint qui participe à la première résurrection », sur qui la seconde mort n’aura pas de pouvoir, et pour qui la première mort elle-même sera absorbée dans la victoire de la Résurrection du Christ. Il est celui qui n’a pas eu seulement connaissance de « la puissance de la Résurrection du Christ et de la communion à sa passion », mais qui les a mises en œuvre et « s’est rendu conforme à la mort du Christ pour parvenir à la résurrection d’entre les morts ». L’Apôtre ne faisait pas un mauvais calcul lorsque, pour ce gain, il regardait tous ses autres avantages non seulement comme une perte, mais même comme de l’ordure, dans le seul but d’être trouvé dans le Christ, configuré à sa résurrection après l’avoir été à sa mort. C’est un échange bien avantageux que de mépriser tout ce qui te désavantage et te souille, pour gagner le Christ ! Bien plus, si c’est nécessaire, de dépenser non seulement tous tes biens, mais encore toi-même, pour te recouvrer toi-même avec ces intérêts immenses que sont l’immortalité et la gloire. Qui donc, en effet, douterait que ce ne soit un échange avantageux de semer un corps mortel, animal et sans noblesse, pour qu’il ressuscite immortel, spirituel et glorieux ; de mourir au monde afin de pouvoir dire : « Vivre, pour moi, c’est le Christ, et mourir m’est un gain » ?

Hommes avides ! Pourquoi en restez-vous au désir de gagner ? Pourquoi n’en pas apprendre l’art ? Pourquoi ne méprisez-vous pas ce qui est sans valeur, bien plus, désavantageux et de l’ordure, pour gagner le Christ ? « Pourquoi dépenser votre argent pour autre chose que du pain, et votre peine pour ce qui ne rassasie pas ? » II me semble que « le pain descendu du ciel pour donner la vie au monde » a moins de valeur à vos yeux que votre argent ! Mais il ne peut l’estimer à sa juste valeur, celui qui ne veut pas goûter à sa qualité. Si seulement l’avare estimait sa personne plus précieuse que sa fortune ! S’il pouvait ne pas mettre son âme en vente par amour de l’argent, et tant qu’il est en vie, ne pas s’arracher les entrailles ! C’était au contraire un commerçant avisé, un expert averti de la valeur des choses, que cet homme — je parle évidemment de Paul — qui n’estimait pas que son âme — c’est-à-dire sa vie animale et sensible — valait plus que lui-même — c’est-à-dire que son esprit, avec lequel il ne faisait qu’un et par lequel il adhérait au Christ. Il était prêt à perdre son âme, afin de pouvoir la conserver pour la vie éternelle.

4. Ainsi donc, celui qui a des biens entre difficilement dans le royaume des cieux, et celui qui a de l’argent préfère le soupeser dans ses mains plutôt que d’acheter ces pains —- je veux dire ces « azymes de la sincérité et de la vérité » — avec lesquels on doit manger aujourd’hui l’Agneau pascal. Aussi, heureux êtes-vous, pauvres, fils du Pauvre, du crucifié ; « vous qui n’avez pas d’argent, dis-je, accourez, achetez et mangez ! » Assurément, on achète plus facilement et plus aisément ce pain quand on n’a rien que lorsqu’on possède beaucoup. A défaut de ressources, la bonne volonté y suffit, et celle-ci abonde généralement davantage chez ceux qui sont plus pauvres de biens matériels. Au reste, ce sont eux que l’Écriture invite, comme il sied : « Venez, achetez du vin et du lait sans argent et sans monnaie d’échange. » Tu le vois, bienheureux pauvre : on n’exige de toi que la bonne volonté, elle constitue à elle seule la somme nécessaire pour un commerce si avantageux. Ne refuse pas, en ingrat, ce qu’on t’offre si gracieusement, et surtout ne perds pas, par une volonté récalcitrante, ce que tu avais déjà mérité par une béatifiante pauvreté. Reconnais donc combien il est avantageux de ne pas prendre part à ce qui ruine le monde, afin de participer à la Résurrection du Christ ! Comprends quel bonheur il y a à ne pas t’enivrer de la volupté et de la folie du siècle, pour boire avec le Christ le vin nouveau dans le royaume de son Père !

L’Agneau pascal invite lui-même ses amis au banquet délicieux de son corps et de son sang en disant : « Venez, mes amis, buvez, et enivrez-vous, mes bien-aimés ! » Cette nourriture et ce breuvage sont le mystère de vie, le remède d’immortalité, la cause de la première résurrection et le gage de la seconde, parce qu’ils sont en nous le commencement de la nature divine. L’Apôtre dit en effet : « Nous sommes entrés en participation du Christ, si toutefois nous gardons en nous fermement, jusqu’à la fin, le commencement de sa substance.»

En effet, si quelqu’un, après avoir reçu la grâce, retourne à son vomissement, « il vomira les richesses qu’il avait englouties, et Dieu les retirera de son ventre. » Et certainement, « son pain se changera dans ses entrailles en fiel d’aspic, dans son intérieur », car la grâce reçue se transforme en tourment pour la conscience, quand on traite indignement le sang de l’Alliance qui nous avait sanctifié et que l’on outrage l’Esprit de grâce. Ce mépris, cette nausée, nous font vomir les richesses que nous avions englouties, et l’on peut dire d’un tel homme : « II n’a rien gardé de la nourriture qu’il avait prise, c’est pourquoi il ne lui restera rien de ses biens. »

5. Mais qu’il examine lui aussi s’il n’est pas également atteint par cette terrible sentence, celui qui, après avoir été comblé des biens de la maison de Dieu par la grâce de la dévotion, n’en a rien gardé dans sa mémoire afin d’en faire rejaillir pour nous le souvenir de la grande douceur de Dieu ; qui n’en a pas gardé non plus la saveur dans ses paroles, comme on garde un goût sur le palais ; ni la vertu dans sa conduite, comme une liqueur ayant pénétré ses entrailles. Au contraire, immédiatement, il a tout vomi en paroles vaines ou en plaisanteries, et il a ainsi changé la grâce reçue en colère. En colère assurément, et en colère redoutable, s’il lui advient ce qu’ajoute le texte de l’Écriture : « Après avoir été rassasié, il trouvera l’angoisse, et toute douleur fondra sur lui. Que son ventre se remplisse donc, et que le Seigneur envoie sur lui toute la fureur de son courroux et fasse tomber en pluie, sur lui, la guerre. » En effet, le Prophète estimait juste et admettait que la guerre tombât en pluie sur les pécheurs, car, ayant reçu une pluie bienfaisante, ils n’avaient pas porté le fruit de la paix. « Feu, soufre et tempête, voilà quel sera leur calice », pour avoir bu indignement le calice du Seigneur . « En effet, la terre abreuvée par des pluies fréquentes et qui produit des plantes utiles, reçoit la bénédiction ; mais si elle donne des épines et des chardons, elle est réprouvée et encourt bientôt la malédiction. Elle finira par être brûlée. Mais en ce qui vous concerne, mes frères, nous avons confiance que vous êtes dans une voie meilleure et plus favorable au salut. »

Soyez seulement reconnaissants envers la grâce de Dieu. Les remèdes de Pâques vous ont changés en une nouvelle créature : marchez toujours aussi dans une vie nouvelle . Vous êtes devenus participants du Christ en entrant dans la communauté de la foi, en participant au sacrement, en communiant à l’Esprit-Saint : efforcez-vous donc non seulement de retenir fermement jusqu’à la fin « le commencement de sa nature », mais efforcez-vous encore avec grand soin de l’augmenter. Ayant déjà eu part à la première résurrection grâce à tant de privilèges qui vous ont été accordés, vous pourrez, avec l’assurance d’un tel gage mis en réserve pour le jour du jugement, revendiquer pour vous un droit perpétuel à la seconde résurrection. Daigne le Seigneur Jésus-Christ, notre résurrection et notre vie, nous l’accorder, lui qui, mort pour nous pendant trois jours, vit et règne maintenant dans tous les siècles des siècles. Amen.

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