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Parole et vie,

Responsable de la chronique : Dominique Charles, o.p.
Parole et vie

12e Dimanche du temps ordinaire. Année B.

Imprimer Par Daniel Cadrin

Passer de la peur à la confiance

Toute la journée, Jésus avait parlé à la foule en paraboles. Le soir venu, il dit à ses disciples : « Passons sur l’autre rive. » Quittant la foule, ils emmènent Jésus dans la barque, comme il était ; et d’autres barques le suivaient.
Survient une violente tempête. Les vagues se jetaient sur la barque, si bien que déjà elle se remplissait d’eau. Lui dormait sur le coussin à l’arrière. Ses compagnons le réveillent et lui crient : « Maître, nous sommes perdus ; cela ne te fait rien ? »
Réveillé, il interpelle le vent avec vivacité et dit à la mer : « Silence, tais-toi ! » Le vent tomba, et il se fit un grand calme. Jésus leur dit : « Pourquoi avoir peur ? Comment se fait-il que vous n’ayez pas la foi ? »
Saisis d’une grande crainte, ils se disaient entre eux : « Qui est-il donc, pour que même le vent et la mer lui obéissent ? »

COMMENTAIRE

Chacun de nous passe à travers des temps de crise personnelle, habituellement liés à une transition dans notre vie. Mes certitudes s’écroulent, mon image de moi-même ne tient plus, la confusion et la peur s’installent. Où cela me conduira-t-il? Et suis-je quelque part? Entre la perte de mon sol familier et l’arrivée sur une nouvelle terre plus solide, je vis le temps du chaos intérieur. Puis, une semaine ou une année plus tard, le calme se fait et je découvre que ce passage douloureux, ce désert, a été comme une nouvelle naissance. Ainsi, ces crises et leurs passages sont cruciaux dans toute expérience spirituelle. Ils sont le matériau même de nos conversions et du mystère pascal au cœur de nos existences.

Mais les collectivités peuvent aussi vivre des crises et des passages : famille, groupe d’amis, réseau de gens engagés, communauté chrétienne, mouvement, comité d’une paroisse, … Elles doivent affronter des temps d’éclatement des liens familiers et des repères rassurants qui leur donnaient une identité. La solidarité se défait, les convictions ne sont plus partagées, ou simplement le groupe ne sait plus qui il est, quelle est sa mission, ni où il s’en va. La désorientation, qu’elle soit causée par des facteurs externes ou par une crise interne, nourrit la crainte et le groupe se sent menacé dans son existence même.

C’est d’une telle crise communautaire que Marc nous parle dans son récit de la tempête apaisée. La symbolique de la barque évoque la communauté des disciples avec son Maître Jésus. Ils sont ensemble et loin de la foule anonyme. L’enjeu de ce récit est donné clairement par Jésus : Passons sur l’autre rive. Il s’agit d’un passage à vivre, comme groupe. Et ce passage sur une autre rive ne sera pas facile. Il est même assez terrifiant. La mer, dans la Bible, n’est pas un lieu de loisir agréable ou un espace indifférent. C’est un lieu de dangers, rempli de forces hostiles. Sa symbolique évoque la mort et le mal. Ce n’est pas par hasard que dans le livre de l’Apocalypse des cieux nouveaux et une terre nouvelle sont annoncés mais non une mer nouvelle : elle a disparu! Autre façon, dans la logique symbolique, d’annoncer la victoire de la vie sur la mort.

Au cœur de la crise des disciples en barque, se vit une expérience déchirante et profonde : le sentiment que le Christ les a abandonnés et qu’il est insensible à leur sort. Ils vont périr et ils se tournent vers Jésus endormi pour crier leur détresse avec vérité et véhémence, sans mettre de gants blancs. En ce temps extrême, Dieu est absent. La communauté va disparaître. La suite des événements transforme cette situation. Jésus est présent et agissant, malgré leur sentiment. Il agit envers la mer exactement comme il le fait avec des possédés, par une parole qui libère et apporte la paix.

Quel est l’effet de cette crise? Quel passage permet-elle de vivre? À la fin, les disciples s’interrogent sur Jésus; ils se posent une question vraie et nouvelle, qui peut transformer leur regard. Et Jésus lui-même indique le passage crucial : celui de la peur à la foi, à la confiance. Ainsi, le contraire de la foi, ici, n’est pas le doute, l’ignorance ou l’incroyance, mais la peur. Comme si la peur d’avancer vers l’avenir, avec son inconnu, minait la foi d’une communauté plus que tout. Comme si, pour aller plus loin, il nous fallait nous interroger à nouveau, avec étonnement et admiration, sur le mystère de Jésus. Comme si la réaction de panique et le sentiment que tout est fini, pour un groupe, risquaient de l’engloutir vite.

Mais ce récit montre aussi d’autres dimensions des passages. En pleine détresse, les disciples ont crié vers Jésus, sans retenue. Comme si cette parole, dans son âpreté même, était nécessaire pour que la conscience de la présence de Jésus puisse à nouveau apparaître. Et au bout du voyage, les disciples arrivent finalement sur l’autre rive, ce qui était l’objectif premier. Quelle est cette terre nouvelle qui les attend? Ils arrivent au pays des Géraséniens, en terre païenne. Ils ne sont plus dans leur monde familier, mais en un territoire autre, celui de la mission. Comme si la mission ne pouvait advenir sans un difficile passage par la désorientation, le sentiment de tout perdre, puis l’accès à une foi plus profonde, plus confiante, celle-là même qui rend capables d’être témoins.

Les disciples s’engageront plus tard dans cette mission chez les nations, non sans hésitation et crainte. Mais ils oseront prendre ce risque. Et nous, dans nos communautés, groupes, réseaux, quels passages sommes-nous appelés à vivre, pour quelle mission?

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