On m’apprend qu’un épervier a élu domicile dans l’épinette géante qui fait la sentinelle près de la maison. On aurait vu le rapace voltiger dans les environs. En le suivant, on aurait découvert sa nouvelle demeure. Depuis quelques jours, je m’inquiétais de ne plus voir de moineau, ni de paruline à dos olive, ni de roselin pourpré, ni de cardinal, autour de la mangeoire. L’épervier les a sans doute bouffés ou, du moins, suffisamment apeurés pour qu’ils cherchent leur nourriture ailleurs.
Depuis qu’on m’a parlé du rapace, une question me parcourt l’esprit: comment se fait-il qu’un oiseau aussi peu urbain vienne nicher au coeur d’une grande ville comme Montréal? La question me dérange d’autant plus que je suis moi-même un rural transplanté en ville. La campagne m’habite encore après plus de quarante ans de béton et de klaxon.
Parfois, je pense que c’est de la mauvaise volonté. Je n’aurais jamais voulu apprivoiser la ville. J’y serais arrivé contre mon gré. Je m’entêterais dans la résistance! Je devrais donc consulter mon psychologue pour parvenir à dépasser ma mésadaptation.
Mais je crois que nous sommes tous, ruraux et urbains, profondément marqués par nos origines. Marqués par les paysages qui ont entouré notre enfance. Marqués par la culture qui nous a vu naître. Marqués par nos parents et le voisinage de nos premières années de vie. Marqués par notre langue maternelle. Par les odeurs, les couleurs, les sons, les formes, etc.
Les premiers chapitres de notre histoire nous sont tatoués dans le coeur et dans l’esprit. Nous y retournons consciemment et inconsciemment. Nous marchons dans leur prolongement.
Il n’y a pas de honte à demeurer attachés à nos commencements ni à y retourner volontiers. Pas de culpabilité à entretenir quand l’enfance se «nostalgise» en nous. Nous sommes faits de tout ce que nous avons été autant que de ce que nous sommes en train de devenir maintenant. Notre vie, notre être tout entier, ressemble à un foulard de laine: les premières mailles sont aussi importantes que les dernières.
Il n’est pas mauvais, bien au contraire, de retourner en arrière de temps à autre. Ne serait-ce que pour noter les influences qui nous habitent. Ça peut même être l’occasion de reconnaître d’où vient l’originalité de notre personnalité.
La question: d’où je viens? peut nous lancer une autre question tout aussi essentielle: où je vais? Je suis en train de tracer un chemin qui a son point de départ. Il a aussi son point d’arrivée. Chemin de passé et chemin d’avenir. Ma route traverse toute ma vie.
Voilà tout ce qu’un oiseau que je n’ai pas encore vu me suggère aujourd’hui. Le quotidien se déroule comme une parabole. Son déploiement est plein de sens. Comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, un épervier philosophait et m’enseignait sa philosophie cette semaine.