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Deux vies viennent de s’éteindre

Imprimer Par Denis Gagnon

Deux jeunes. Ces jours-ci, on les a trouvés morts, dans une forêt tout près de Saint-Hyacinthe. À l’aube de la vie, deux jeunes ont préféré le crépuscule. Délibérément. Par choix personnel. La vie s’est arrêtée brutalement dans un geste qu’ils ont choisi. Le mot arrive difficilement, mais il faut bien l’admettre: deux jeunes ont choisi le suicide.

J’ai pensé à eux toute la semaine. Je ne les connaissais pas. Je n’ai de lien ni avec eux ni avec leur famille. Ce que je sais d’eux m’a été révélé par les médias. Mais je me sens concerné. Souvent la mort crée en nous des solidarités. J’imagine la détresse des parents. Je comprends le désarroi des amis à quelques heures de la rentrée scolaire.

Toute rupture est blessure, la mort plus que toute autre. Comment ceux et celles qui restent vont-ils poursuivre leur route? Comment vont-ils absorber l’absence? Les mêmes questions surgissent implacablement. Les proches se demandent quelle est leur part de responsabilité? Aurais-je pu les aider à surmonter l’obstacle qui a mis fin à leur vie? Ont-ils appelé au secours sans que je m’en rende compte? Suis-je coupable de cet acte? Questions monstrueuses, comme s’il fallait se punir de n’avoir pu sauver les suicidaires. En même temps, questions lucides qu’il faut solutionner pour retrouver la paix intérieure.

Au-delà des questions qui concernent l’entourage, il en est une qui relève uniquement des jeunes: pourquoi? Quel est le sens de ce geste? Pourquoi ont-ils voulu en finir avec la vie? La question s’adresse au mystère, le mystère qui habite ces jeunes, le mystère qui habite tout être humain. La question surgit du sens même que chacun attribue à son existence, sa raison de vivre, sa raison de mourir.

Pour ces deux jeunes, je n’ai pas voulu aller plus loin. Je n’ai pas échafaudé d’hypothèse. Je n’ai pas fait la liste des possibles. Je n’ai pas épluché les journaux à la recherche du moindre indice. Il me semble qu’ici ma curiosité aurait été un manque de respect. Les policiers et les psychologues qui accompagnent les proches y ont droit. Pas moi. Je dois respecter le mystère de ces deux êtres, ne pas chercher à connaître le secret qu’ils ne m’ont pas confié.

Respect, oui; mais indifférence, non! Je ne peux pas fermer les yeux et fuir. Je ne peux pas me libérer par la distraction. Au contraire, je dois assumer ma part de l’événement. Car j’ai une part dans ce qui est arrivé. J’habite une planète où les êtres sont tissés entre eux, qu’ils le veuillent ou non, qu’ils en soient conscients ou non. Ce que j’écris présentement s’inscrit dans le monde. Vous me lisez. Mes propos réveillent en vous votre propre réflexion. Vous confierez celle-ci à d’autres. Nous sommes entraînés dans une course à relais. Nous nous transmettons mutuellement nos sagesses comme nos pauvretés. Nous construisons le sens de nos vies les uns par les autres.

Ma part dans la tragédie va consister à poursuivre ma propre vie. Pendant que celle des deux jeunes devient cendre, je continuerai d’attiser le feu de la mienne. J’en aiderai d’autres à laisser jaillir la flamme ou à garder le feu sacré. Deux vies viennent de s’éteindre, mais nous pouvons en prolonger le feu dans nos propres existences. Vivre ces deux vies en vivant nous-mêmes, achever en nous-mêmes ce qu’elles n’ont fait que commencer.

Denis Gagnon, o.p.

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