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Lettre à un charmant petit prince

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Mon cher Petit Prince,
Les librairies s’en donnent à coeur joie depuis quelques semaines. Ils étalent des éditions de ton conte, des plus modestes aux plus luxueuses. Les revues littéraires – et même les autres! – grattent la moindre virgule du récit d’Antoine de Saint-Exupéry dans l’espérance d’y trouver la perle oubliée.

Que se passe-t-il? Tout simplement que tu viens d’avoir soixante ans dans ton édition française, chez Gallimard. En fait, tu en as soixante-trois bien sonnés. Tu es né d’abord aux États-Unis, plus précisément à New York au printemps 1943, quelques mois à peine avant que ton aviateur de père disparaisse dans les eaux de la Méditerranée.

J’ai profité de ton anniversaire pour relire – plusieurs fois même! – ce beau cadeau que nous a laissé l’auteur de Vol de nuit, Terre des hommes, Citadelle… Un cadeau fort apprécié: 80 millions de terriens se sont procuré un exemplaire des aquarelles de Saint-Ex et des paroles de sagesse de ton renard. 80 millions d’exemplaires, cela signifie 3500 copies vendues par jour. Par jour, tu t’imagines! Les trois-quart des écrivains de la terre se contenteraient de 3500 copies dans toute leur vie. Toi, c’est au quotidien!

Mais tu es plus qu’un succès de librairie. T’es un succès d’amitié. Rien de moins. Que de parents te bercent en endormant leur petit. Que d’adolescents te rêvent en se débattant entre l’enfance naïve qu’ils s’apprêtent à quitter et le monde froid des grandes personnes qu’ils trouvent bizarres comme tu les trouves toi-même.

Tu n’es pas resté très longtemps sur les six premières planètes que tu as visitées avant d’atterrir dans le désert terrestre à proximité d’un aviateur en panne. Il me semble que tu aurais pu t’attarder chez les «bizarres». On ne laisse pas un bizarre dans sa bizarrerie. Tu pourrais être accusé de «refus d’assistance à personne en danger».

Quelques jours de plus, peut-être même quelques heures auraient suffi pour transformer un roi, glorieusement régnant, qui aime donner des ordres, en un homme qui tend l’oreille et qui écoute les confidences de ses sujets. Imagine le vaniteux qui, à son tour, découvre les autres et se met à les applaudir! Ou l’homme d’affaires qui s’aperçoit qu’en plus des chiffres, il y a des lettres et que les lettres peuvent devenir des déclarations d’amour. Il n’aurait fallu qu’une page de plus, peut-être, pour que le buveur regarde en face sa situation et se laisse enivrer par le charme de ton innocence. Je me représente l’allumeur de réverbère: il arrête de s’affoler et se dit tout simplement: «Ma planète a changé, elle évolue; il faut donc changer les consignes!» Enfin, je vois le géographe accorder du crédit aux autres et arriver à faire sa part personnelle.

Tu n’es donc pas resté chez les «bizarres»! En conséquence, tu t’es retrouvé tout seul. Tellement seul que tu as cherché un mouton. Et tu l’as voulu dans une boîte, assez discret, pas trop visible, pour l’adapter à tes rêves, à tes besoins. On dirait que tu voulais un ami sur mesure!

Le renard voyait les choses différemment. Il t’a fait découvrir que l’amitié naît lentement. Il faut découvrir l’autre, pas l’inventer. Le laisser être lui-même, pas lui demander de correspondre à l’ami idéal que tu rêves de rencontrer. Le renard t’a parlé d’apprivoisement. Tu dois apprivoiser l’autre. Mais aussi, tu dois te laisser apprivoiser par lui. L’apprivoisement est une activité qui se fait en réciprocité. Pour «créer des liens», il faut deux choses ou deux personnes, n’est-ce pas? L’amitié, c’est comme une partie de tennis: la balle doit constamment traverser le filet!

Depuis ton retour sur la planète B612, je suppose que tu joues à l’apprivoisement avec ta rose. La partie doit être belle. Tant et aussi longtemps qu’elle durera, il n’y aura pas de perdant, seulement deux gagnants… et deux gagnants passionnés du jeu.

Si tu reviens sur terre, un jour, ne te gênes pas pour venir frapper à ma porte!

Au revoir,

Denis Gagnon, o.p.

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