Spiritualité 2000 met à votre disposition 22 années d’archives, soit près de cinq mille articles. Un grand merci à tous nos artisans qui ont su rendre possible cette aventure ayant rejoint des millions d’internautes.

Éditorial,

Responsable de la chronique :
Éditorial

Je n’ai pas le cœur fier

Imprimer Par Paul-André Giguère

Mon Dieu, je n’ai pas le cœur fier : c’est ainsi qu’on peut traduire le début du psaume 131 de la Bible. « Hautain, altier, gonflé, trop haut », préfèrent d’autres traducteurs. En langage familier, on pourrait dire : « Je ne me prends pas pour un autre ». Me voici tel ou telle que je suis, avec mes grandeurs et mes petitesses.

On n’arrive pas sans peine et sans combat à cette vérité intérieure. Qui dit « Je ne me prends pas pour un autre » dit, en réalité, « Je ne me prends plus pour un autre ». Car arriver à se dire ainsi, dans une parfaite acceptation de qui on est, suppose un long travail sur soi à même ce que la vie se charge de nous apporter de désillusion libératrice. « J’ai conçu tel projet et je l’ai plutôt bien réalisé, mais pas aussi parfaitement que j’aurais aimé. » « J’ai cherché à corriger tel aspect de ma personnalité mais je n’y suis arrivé qu’en partie. Peut-être pas du tout. » « Je me suis engagé dans une belle et grande relation amoureuse et pourtant il m’arrive toujours de manquer d’attention, de faire de la peine, de ne pas avoir la patience que le rythme de l’autre sollicite de moi. »

Il s’agit, en un mot, de consentir à mon imperfection, c’est-à-dire à mon inachèvement. Ce n’est pas que je me déprécie moi-même, ni que je manque de confiance en moi-même ou que je m’aveugle sur mes richesses et mes capacités. C’est tout simplement – mais que c’est redoutable – la reconnaissance que je suis un être limité.

Allons plus loin. Je ne suis pas seulement un être limité, ce que, finalement, on arrive assez facilement à reconnaître; après tout, personne ne peut avoir tous les talents et maîtriser toutes les habiletés. Non, plus profondément, je suis un être blessé. « Je ne comprends pas ce que je fais, écrit Paul aux Romains : je n’arrive pas à faire ce que je voudrais faire, mais je fais ce que je déteste » (7,15) ! Même quand je fais de mon mieux, je ne suis pas toujours très fier du résultat. Je ne suis pas toujours très fier de moi.

Cette expérience constitue un rendez-vous spirituel important. C’est le rendez-vous avec ce que la tradition biblique appelle « le cœur brisé ». « Le sacrifice que j’offre à Dieu, c’est ce souffle brisé. Tu ne méprises pas un cœur brisé et broyé » (Psaume 51, 19). Brisé, comme un « cœur de pierre » qui se fissurerait et peu à peu se désagrègerait, laissant place, dans la douleur et l’humilité, à un « cœur de chair » (Ézéchiel 36,26). Ici, la personne ne se présente plus, à elle-même, aux autres, à Dieu, comme une statue, un monument, mais comme un être touchant et vibrant avec la conscience vive de sa fragilité.

Nommer cela, c’est toucher à un des grands obstacles au cheminement spirituel pour ceux et celles d’entre nous qui vivent dans la culture occidentale. Cette culture dominante n’en a que pour les forts. Les combattants. Les héros. Les faibles sont objet de mépris et quand ils sont repoussés dans la marge, voire sur les pentes de l’élimination sociale, c’est en laissant entendre d’une manière hautaine qu’ils n’ont que ce qu’ils méritent. Cette culture n’en a que pour les faibles qui se sont relevés et, tels Lance Armstrong, ont vaincu la fragilité humaine (ce qui est, certes, admirable).

Si beaucoup d’Occidentaux se détournent de leur héritage judéo-chrétien, c’est qu’ils comprennent parfaitement qu’on y trouve inscrit en lettres d’or le souci des faibles et des pauvres, qu’on y propose le chemin du cœur brisé et que le Dieu qui vient à la rencontre de l’humain est d’une navrante vulnérabilité. Tout cela est, dans un premier temps, très dérangeant et inacceptable à la conscience contemporaine si fière et si sûre d’elle-même.

Et pourtant, le travail de vérité s’accomplit secrètement au fil de la vie de chacun, le dépouillant lentement, lentement, précautionneusement de ses illusions et de ses mirages. Peu à peu, on apprend à dire, comme Élie, « Je ne suis pas meilleur que mes pères » (1 Rois 19,4). Et alors, splendeur ! On se découvre capable d’entendre l’éblouissante parole de Dieu transmise par le prophète Ésaïe : « Haut et saint je demeure. Mais je suis avec les battus, les souffles humiliés, ranimant le souffle des humiliés, ranimant le cœur des battus » (57,15).

Éditorial

Les autres thèmes