À la une du journal Le Devoir de vendredi dernier (22 octobre 2004), une nouvelle époustouflante: un chercheur de l’Université de Floride a réalisé un cerveau vivant, capable de piloter un simulateur de vol!
L’article, sous la plume de la journaliste Louise-Maude Rioux Soucy, raconte l’incroyable affaire. Le professeur Thomas DeMarse, du département d’ingénierie biomédicale de l’Université de Floride est à la source de l’invention ou de la découverte, je ne sais trop comment appeler la chose. Il a prélevé sur un rat 25 000 neurones vivants et des cellules nerveuses. Il en a fait la culture dans un disque de verre ordinaire. Au terme, il s’est trouvé devant un cerveau bien vivant!
Voilà déjà un événement inimaginable. Mais l’affaire va plus loin. Ce mini-cerveau est capable d’apprendre et il découvre par lui-même comment être efficace. C’est ce qu’on a découvert en le reliant à un simulateur de vol d’avion. Le scientifique explique: «L’ensemble prend essentiellement la forme d’un disque muni de 60 électrodes formant un quadrillage au-dessus duquel nous avons posé les neurones corticaux de rats qui, rapidement, ont commencé à se reconnecter afin de former un réseau neurologique vivant, un cerveau. […] Quand on a relié le cerveau à un simulateur de vol, il ne savait pas comment contrôler l’avion. L’avion errait au hasard. Mais au fur et à mesure que les données sont arrivées, le réseau neurologique s’est modifié. Et, avec le temps, le réseau a appris graduellement à piloter l’avion.» Et la journaliste d’ajouter:«Et pas n’importe comment! Qu’il fasse beau ou qu’il grêle, que le soleil brille ou que le vent souffle, le vaillant petit cerveau parvient à contrôler l’appareil, assurent les chercheurs.»
D’après les scientifiques, nous apprenons, entre autres choses, que nous gérons l’information à l’aide de plusieurs neurones qui se connectent entre eux et forment un réseau. On espère, grâce à l’observation de ce minuscule cerveau, mieux comprendre ce qui se passe quand on est en face de désordres neurologiques comme l’épilepsie. On espère faire servir à bien d’autres applications ce qu’on vient de découvrir. Le professeur DeMarse en donne un autre exemple: «Prenons le cerveau et sa capacité d’apprendre et de mémoriser: je peux interroger quelqu’un sur sa vie alors qu’il avait cinq ans et il pourra retrouver l’information. Voilà qui illustre l’énorme capacité de la mémoire.»
Mme Rioux-Soucy ajoute que ce petit cerveau dépasse infiniment l’ordinateur. Il peut même gérer des données qu’un ordinateur, aussi perfectionné qu’il soit, ne peut entrer dans sa programmation.
L’affaire est de taille. On peut s’en émerveiller. On peut espérer beaucoup des trouvailles qui en découlent et des possibilités qui sont offertes. La découverte de l’équipe du professeur DeMarse rejoint tant d’autres exploits scientifiques, que ce soit en biologie ou en d’autres secteurs de la science. Des pas de géants traversent des espaces inimaginables depuis un siècle. Et les avancées de la sciences s’accélèrent à une vitesse vertigineuse.
Une seule crainte cependant: que les chercheurs perdent le contrôle de leurs inventions et de leurs découvertes. Le conte de l’apprenti-sorcier nous rappelle qu’on peut facilement devenir la victime de ce que nous apprenons quand nous l’apprenons mal ou que nous ne connaissons pas tous les effets possibles des nouvelles technologies que nous arrivons à réaliser.
Souhaitons seulement que le respect de l’être humain et de sa vie demeurent l’objectif premier de nos initiatives et de nos recherches
Parlant de manipulations génétiques, André Comte-Sponville affirme une vérité qui vaut tout autant pour le précieux travail de l’équipe du professeur DeMarse que pour tant d’autres recherches en biologie: «Loin d’aller dans le sens de l’homme-Dieu, dit-il, la bioéthique se caractérise plutôt, chez presque tous, par le refus de faire de l’homme un Dieu, ce qui supposerait qu’il puisse rectifier librement la création, rivaliser avec le Dieu premier ou défunt, prendre sa place, bref, jouer au démiurge, et c’est exactement, s’agissant des manipulations génétiques, ce qui nous effraie. Croyants et incroyants peuvent s’entendre, et le doivent, sur une position de prudence et d’humilité: on ne corrige pas la copie de Dieu; on ne corrige pas la copie de la nature. Ou si on la corrige ponctuellement, quand elle est évidemment fautive (les maladies héréditaires, les handicaps génétiques…) , c’est pour lui rendre sa plénitude, sa perfection relative, sa santé, et non pour l’améliorer ou la transformer essentiellement. L’homme n’est pas Dieu; l’homme n’est qu’une créature – de Dieu ou de la nature – , et c’est très bien comme ça. Qui veut faire l’ange fait la bête, disait Pascal. La bioéthique va plus loin: qui veut faire le Dieu fait le diable.» (COMTE-SPONVLLE, André et FERRY, Luc, La sagesse des modernes, Paris, Robert Laffont, 1998, p. 189)