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Le cri silencieux

Imprimer Par Paul-André Giguère

Le silence et le cri se tiennent aux deux extrémités des possibilités d’expression verbale humaine, bien que le cri ne soit pas propre à l’humain. C’est en fait un des mouvements les plus spontanés dans le règne animal. Cri d’alerte, cri de surprise, cri de peur. L’être humain a ceci en commun avec les oiseaux et les animaux : il crie. Le cri vient tellement d’une manière spontanée, automatique, comme une réponse immédiate à un stimulus subit, qu’on dit qu’il nous échappe.

Malheureusement, depuis notre plus tendre enfance, on nous apprend à réprimer le cri. Tous les parents ont des souvenirs cuisants d’avoir été tellement embarrassés dans un magasin, un bus ou un avion alors qu’ils n’arrivaient pas à faire taire leur enfant qui ne cessait de crier au milieu de la foule. Et tous les enfants que nous avons été se rappellent avoir vu leur enthousiasme au jeu tempéré par l’injonction parentale : « Criez moins fort ! ». Car qu’il soit de joie ou d’indignation, le cri dérange. Le cri agresse. Exaspérés par la femme qui poursuit Jésus de ses cris, les disciples le supplient : « Fais-lui grâce, car elle nous casse les oreilles de ses cris ! » (Matthieu 15 23). Irrités par les débordements d’enthousiasme de la foule qui accueille Jésus à Jérusalem, les scribes disent à ce dernier : « Maître, reprends tes disciples ! »; mais il leur répond : « Je vous le dis, si eux se taisent, les pierres crieront » (Matthieu 19 39-40).

Cette répression n’est heureusement pas absolue. Il y a des cris qui ont encore droit de cité. Cris de joie à l’annonce d’une excellente nouvelle, au constat d’une réussite ou au moment où son équipe sportive marque un but vainqueur. Cris de plaisir et d’amour au sommet de la rencontre sexuelle. Cris de détresse devant le malheur ou l’horreur et cris de lassitude excédée dans les situations qui se prolongent et semblent sans issue.

En réalité, le cri dit l’excès : excès de souffrance, d’indignation ou de plaisir. Le cri, c’est la tension qui se libère, c’est l’enthousiasme qui déborde, c’est la souffrance qui submerge la conscience. N’y a-t-il pas dans nos vies des heures, des jours, et même parfois des semaines où « ça » crie en nous ? Heureux sommes-nous si, alors, nous trouvons à l’exprimer. Car le cri connecte toujours aux profondeurs de l’âme. Et le cri unifie l’être : quelqu’un qui crie n’est nulle part ailleurs.

Des grandes traditions spirituelles de l’humanité, il n’en est pas, je crois, qui fassent plus de place au cri dans la prière que la tradition de la Bible. « Vers mon Dieu, quand l’angoisse me prend, je crie » (Psaume 120,1). Le cri biblique est un appel. En hébreu, le même verbe qara’ désigne à la fois crier et appeler. Quand je crie, j’appelle. Quand j’appelle, je crie. Si j’en crois cette tradition religieuse, il n’y ne saurait y avoir de vie spirituelle sans cri.

N’est-ce pas d’ailleurs dans un grand cri, qui résonne encore, que se termine la vie de Jésus ? C’est le cri déchirant d’un homme qui touche le bout de la nuit, le fond de l’horreur, l’extrême de la solitude. Les premiers chrétiens ne s’y sont pas trompés qui ont mis sur ce cri les mots du psaume : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? Loin de me sauver les paroles que je rugis ! Le jour, je crie (j’appelle), point de réponse ! » (22 2-3).

La Bible nous propose des mots par lesquels nous pourrions réapprendre à crier. À prier en criant. Mais comment faire ? Voilà que dans une société où il est mal vu de crier, nos cris restent intérieurs. Ils sont souvent étouffés par l’interdit ou par l’absence d’un lieu qui pourrait les accueillir. Qui donc accueillera celui ou celle qui prie parce que « ça » crie dans sa vie ? Où donc sera-t-il possible de le laisser s’éclater ? Je ne connais aucune église, aucune synagogue, aucune mosquée où je puisse aller crier devant Dieu. Aucun parc, aucune forêt ne peut m’accueillir sans que je craigne d’inquiéter les passants qui me prendront pour un fou ou une personne qu’on agresse. Se peut-il qu’il ne me reste qu’à m’enfermer dans ma voiture, prendre l’autoroute et là, crier de toutes mes forces l’intensité de ma joie ou de ma peine ?

L’automobile comme lieu spirituel, tiens tiens…

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