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Témoins du Christ

L’appel de 1954

Imprimer Par Abbé Pierre

À l’occasion du 50ème anniversaire de l’appel de l’Abbé Pierre, fondateur du Mouvement Emmaüs, bien connu dans le monde entier sous le nom de « Compagnons d’Emmaüs », j’ai choisi de rendre hommage à l’Abbé Pierre et à tous les bénévoles, qui ne cessent de se soucier des plus pauvres, des sans-abri.

L’Abbé Pierre est né le 5 août 1912 à Lyon, dans une famille aisée. A l’âge de quinze ans, lors d’un congrès réunissant des chrétiens, il fait l’expérience de Dieu et ressent une émotion très forte de la Révélation. En 1930, il entre au couvent des Capucins et est ordonné prêtre en 1938. Durant la seconde guerre mondiale, il s’engage dans la résistance. Puis, il est nommé aumônier et est élu député dans un département français, Meurthe-et-Moselle.

En 1949, il fonde l’association Emmaüs, une communauté de chiffonniers-bâtisseurs qui se consacre à la construction d’abris provisoires pour les sans-domicile, financée par la revente d’objets de récupération.

En 1954, en France, l’hiver est très rude. L’Abbé Pierre saisit par les conditions de vie des sans-abri et lance un appel à la solidarité à travers la France. Cet appel est entendu. Depuis, l’association Emmaüs ne cesse de se développer.

50 ans plus tard, l’Abbé Pierre, âgé de 91 ans, se soucie toujours des plus pauvres et lance un nouvel appel ! Ecoutons-les et méditons-les !

L’appel de 1954

Abbé  Pierre« Mes amis, au secours… Une femme vient de mourir gelée, cette nuit à trois heures, sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant hier, on l’avait expulsée…

Chaque nuit, ils sont plus de 2000 recroquevillés sous le gel, sans toit, sans pain, plus d’un presque nu. Devant l’horreur, les cités d’urgence, ce n’est même plus assez urgent !

Écoutez-moi : en trois heures, deux premiers centres de dépannage viennent de se créer : l’un sous la tente au pied du Panthéon, rue de la Montagne Sainte Geneviève ; l’autre à Courbevoie. Ils regorgent déjà, il faut en ouvrir partout. Il faut que ce soir même, dans toutes les villes de France, dans chaque quartier de Paris, des pancartes s’accrochent sous une lumière dans la nuit, à la porte de lieux où il y ait couvertures, paille, soupe, et où l’on lise sous ce titre CENTRE FRATERNEL DE DEPANNAGE, ces simples mots : « TOI QUI SOUFFRES, QUI QUE TU SOIS, ENTRE, DORS, MANGE, REPREND ESPOIR, ICI ON T’AIME »

La météo annonce un mois de gelées terribles. Tant que dure l’hiver, que ces centres subsistent, devant leurs frères mourant de misère, une seule opinion doit exister entre hommes : la volonté de rendre impossible que cela dure.

Je vous prie, aimons-nous assez tout de suite pour faire cela. Que tant de douleur nous ait rendu cette chose merveilleuse : l’âme commune de la France. Merci !

Chacun de nous peut venir en aide aux sans abri. Il nous faut pour ce soir, et au plus tard pour demain : 5000 couvertures, 300 grandes tentes américaines, 200 poêles catalytiques.

Déposez les vite à l’hôtel Rochester, 92 rue de la Boétie. Rendez-vous des volontaires et des camions pour le ramassage, ce soir à 23 heures, devant la tente de la montagne Sainte Geneviève.

Grâce à vous, aucun homme, aucun gosse ne couchera ce soir sur l’asphalte ou sur les quais de Paris.

Merci ! »

50 ans plus tard : L’appel de février 2004

« Nous, compagnons, amis et responsables d’Emmaüs, vous lançons un appel. En février 1954, nombreux ont été ceux qui ont participé à l’insurrection de la bonté. Cinquante ans après, nous nous adressons à nouveau à vous. Et à vos enfants. C’est de leur avenir qu’il s’agit, autant que du nôtre. C’est maintenant que nous construisons le monde de 2054. En 1954, on se relevait à peine de la guerre. On avait eu faim, on avait eu froid. On avait souffert et on savait lutter pour survivre. On savait aussi se mobiliser. Vos parents l’ont fait. C’est à votre tour maintenant. Même si vous n’avez pas envie d’être dérangés dans un monde confortable pour beaucoup. Un monde du trop plein.

Nous vivons dans une nation riche. Avec cependant des millions de personnes qui survivent sous le seuil de pauvreté. Une nation qui devrait mobiliser toutes ses forces pour construire son avenir, mais qui laisse des millions de chômeurs de côté. Une nation qui a tant construit, qu’on y trouve près de trois millions de résidences secondaires. Et autant de personnes mal logées. Une nation qui s’est dotée d’un système de protection sociale formidable.

Et qui pourtant souffre, comme jamais, du manque de lien social, qu’aucune allocation ne saurait remplacer. Une nation au milieu d’un monde de misère, et qui voit les moins puissants comme une menace. Une nation qui sait porter haut et fort ses idéaux, mais qui a besoin de retrouver l’estime d’elle-même. Que sont la liberté, l’égalité, la fraternité sans la dignité ?

Alors, que faire ? Attendre ? Laisser faire ? Se lamenter ? Compatir ? Assister ? Accuser ? Prendre peur ? Acculer la jeunesse au désespoir et à la violence…

Non ! Cessez de vous sentir impuissants devant tant de souffrances. Trop facile d’attendre et de compter sur les autres ou sur l’Etat. Et dangereux. Sortons de cette torpeur qui nous écrase. Nous vous appelons à passer à l’acte. Pour éviter que notre inaction devienne un crime contre notre humanité.

C’est quand chacun d’entre nous attend que l’autre commence qu’il ne se passe rien. C’est quand nos voisins, nos collègues, nos amis verront que nous agissons qu’ils nous rejoindront. Faire des petites choses n’est jamais ridicule, n’est jamais inutile. Mieux vaut notre petit geste, notre petite action qu’un grand et beau rêve qui ne se réalise jamais. C’est en agissant que nous changerons le cours des choses. Soyons exigeants avec nous-mêmes pour pouvoir exiger des autres. C’est cela la véritable solidarité.

Regardons autour de nous. Transformons ces visages anonymes de la misère en femmes et hommes qui peuvent nous aider à donner un sens à notre existence. Intégrons dans notre vie quotidienne la cause des plus faibles. Renonçons peut-être à une parcelle de notre confort pour faire une place à ceux qui n’en ont pas. Cela ne nous fera pas perdre la nôtre mais la rendra plus digne.

Qu’est-ce qu’un médecin qui ne soigne pas les plus souffrants ? Un enseignant qui ignore les illettrés ? Un voisin qui ne connaît pas ses proches ? Un salaire bien gagné quand l’emploi d’un autre a été détruit ? Qu’est-ce qu’une vie à ne s’occuper que de soi-même ? Trouvons, autour de nous, celles et ceux qui peuvent nous aider à aider. Libérons pour d’autres ce temps dont nous manquons pour nous-mêmes. Allons au-devant de ceux auxquels on renvoie leur inutilité à la figure. Faisons avec eux comme si c’était nous. Ne laissons pas notre bonne volonté se gâcher comme une ressource non exploitée.

Ce n’est pas à nos gouvernements de nous dire comment être solidaires. C’est à nous de leur montrer la société que nous voulons. Ils comprendront. Entre ceux qui ont perdu leurs raisons de vivre, parce qu’ils n’ont pas assez, et ceux qui ne trouvent plus leurs raisons de vivre, parce qu’ils pensent avoir tout, il faut s’aider.

Tout simplement pour que les humbles ne soient plus des humiliés. C’est cette action qui donnera sens à notre vie et rayonnement à notre nation.

Abbé Pierre, fondateur du mouvement Emmaüs
Martin Hirsch, président d’Emmaüs France ».

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