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Laisser une trace

Imprimer Par Paul-André Giguère

Un nouveau mot est apparu récemment dans la langue française : la traçabilité. Surtout depuis la crise de la « vache folle » en Grande Bretagne, les animaux d’élevage portent, généralement à l’oreille, une bague ou une plaque qui les suivra jusqu’à leur mort. On peut ainsi retracer à tout moment leurs déplacements mais aussi les bêtes dont ils sont nés.

On ne fixe pas (encore) de bagues à l’oreille des bébés naissants. Mais nous aussi naissons dans une large mesure « pré-déterminés ». Tous nous héritons d’un bagage génétique qui nous programme dans une large mesure. Nous ne choisissons pas la couleur de nos yeux ou de nos cheveux, et nous héritons de prédispositions à telle maladie. Puis vient l’éducation. Elle imprime dans les zones profondes de notre être les valeurs parentales. Quant aux événements marquants de la petite enfance, ils nous façonnent confiants ou méfiants envers le monde comme envers nos capacités. À l’école, il suffira d’une excellente institutrice ou d’un mauvais enseignant pour que s’allume en nous une passion pour la connaissance ou, au contraire, que se cultive une aversion par rapport à la réflexion ou aux études.

En un mot, nous sommes pétris de traces. Telles ces émouvantes marques de pouces et de doigts qu’on peut parfois surprendre sur des poteries, des personnes ont laissé sur nous une empreinte.

Non, personne ne s’invente. Personne ne se donne pas la vie. Personne n’est sa propre source. Et pourtant les existentialistes ont raison : malgré tant d’influences qui nous déterminent, chaque personne est responsable de ce qu’elle devient – ou de ce qu’elle ne devient pas. Les spécialistes de la créativité ont montré que personne ne crée à partir de rien : la création réside plutôt dans l’assemblage inédit, souvent surprenant, de matériaux pré-existants. Il en va de même de notre liberté : nous nous créons à partir de ce qu’on a fait de nous. Et nous avons la capacité de faire quelque chose de beau et de vivant.

À notre tour, nous laisserons des traces de notre passage. Oh ! bien sûr, personne ne se souviendra de nous, quel que soit le nombre de distinctions ou d’hommages que nous aurons reçus. Et même si par quelque accident ou quelque réussite, notre nom devait se retrouver dans le dictionnaire, viendra un temps où personne ne songera plus à consulter cette rubrique. Nous serons tous oubliés. Absolument. Et pourtant, notre influence va continuer à s’exercer, même celle du plus modeste d’entre nous.

Cela se fait la plupart du temps absolument à notre insu. Nous sommes habituellement les premiers surpris de nous entendre dire : « Quand tu as dit telle chose » … « quand tu as réagi de telle manière »…j’ai lu… » Que nous le sachions ou non, nous avons de l’influence comme nous sommes influencés et cette influence s’inscrit dans un processus d’entraînement ou d’enchaînement. Pour la vie, dans le meilleur des cas. Ou tragiquement parfois, pour la mort : des blessures, les cicatrices sont aussi des traces. Mais même si la trace est une blessure, il arrive que l’autre réussisse à pardonner. Alors il ou elle grandit. C’est encore notre trace. En creux.

Être fidèle à la recherche spirituelle ne vise pas à faire de nous des héros, des saints ou des figures de référence. Cela vise à nous conduire à notre vérité ultime. À devenir un jour la personne unique que nous sommes appelés à être. Or plus nous sommes nous-mêmes, uniques et vrais, plus nous avons des chances de laisser une trace positive chez ceux et celles que nous côtoyons. Mais cela viendra à la manière d’une conséquence. Cela ne saurait être ni un projet qu’on élabore, ni une mission qu’on se donne. Cela ne fait-il pas penser au Jésus de Jean au moment de son arrestation ? Qui cherchez-vous ? (quelle est votre attente profonde ?) demande-t-il. Jésus le Nazarénien, répondent-ils. Il leur dit alors : Moi, Je suis. Alors ils le lient, mais il est libre.

« Moi, Je suis ».

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