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La voix intérieure

Imprimer Par Paul-André Giguère

Il est important, dans la vie spirituelle, de cultiver une attitude intérieure d’écoute et de réceptivité : « Aujourd’hui, dit le psaume 95 (v.7), puissiez-vous être à l’écoute de sa voix ». De son côté, Samuel avait appris à dire avec beaucoup de simplicité : « Parle, Seigneur, ton serviteur écoute » (1 S 3 9). Or, il est arrive de temps en temps à ceux et celles qui se sont engagé dans les voies de l’intériorité, d’éprouver des intuitions fortes et profondes qui laissent dans l’âme une impression très vive. Souvent, la seule façon de parler de ces intuitions qui en quelque sorte s’imposent, sera de dire qu’on a entendu une parole intérieure, une voix.

Que fait cette voix ? Aux différentes saisons de la vie, tantôt elle éclaire et illumine, tantôt elle rassure et pacifie. Tantôt elle se fait appel et envoi, tantôt elle se fait commandement et exigence.

Mais d’où vient-elle ? Comme elle ne procède pas d’un long raisonnement ou d’une discussion avec quelqu’un, mais plutôt qu’elle survient, surgit, fait irruption à la conscience, la personne est convaincue que cela ne vient pas d’elle. Cela lui est donné. De quelqu’un d’autre et d’ailleurs. Cet ailleurs n’est cependant pas perçu comme extérieur; il monte au contraire par le chemin du plus profond de soi-même.

Quand on entend cette voix en soi, la réaction habituelle est celle qu’on éprouve en présence du sacré, c’est-à-dire de quelque chose ou de quelque présence qui nous dépasse absolument : c’est un double mouvement de fascination et de crainte. Cette parole intérieure qui semble s’imposer avec une telle force, produit en nous un tel effet qu’on a envie de s’incliner en silence, et ce même lorsqu’elle provoque aussi des résistances, ce qui arrive si elle pousse à une initiative exigeante ou à une rupture douloureuse. En même temps, on demeure légitimement craintif devant cette intrusion inattendue d’une présence autre dans sa vie la plus intime.

Bien avant que la psychologie moderne nous rende attentifs à des phénomènes inconscients comme la projection ou la compensation, les spirituels chrétiens, familiers de ce phénomène dans leur expérience intérieure comme dans celle des autres, connaissaient le risque d’illusion impliqué dans le phénomène de la voix intérieure. Loin de s’emballer et de cultiver cette expérience, ils faisaient preuve au contraire de la plus extrême prudence et retenue. Sur ce sujet, un des plus grands maîtres spirituels demeure le mystique espagnol Jean de la Croix (1542-1591). Sa pensée a marqué la tradition spirituelle occidentale pour les siècles qui ont suivi. Que dit-il donc de l’expérience de la voix intérieure ?i

Il en distingue trois types. Il y a des paroles dont, consciemment ou non, nous sommes nous-mêmes l’origine. Celles-ci apparaissent quand nous sommes attentifs à notre intérieur, dans des moments de méditation et de recueillement ou, à l’époque contemporaine, quand nous sommes en travail de thérapie. Ces formules qui nous viennent alors disent admirablement bien ce que nous vivons ou ce qui s’impose à nous à tel moment précis. Le deuxième type concerne des paroles qui semblent vraiment venir d’ailleurs et être données comme une lumière, un appel ou une consolation, comme il a été dit plus haut. Enfin, il y a des paroles qui produisent un effet intérieur immédiat et durable correspondant à leur contenu. Jean de la Croix écrit : « C’est comme si Notre Seigneur disait formellement à l’âme : Sois bonne, aussitôt substantiellement elle serait bonne; ou s’Il lui disait Aime-moi, aussitôt elle aurait et sentirait en elle la substance de l’amour de Dieu; ou si, la voyant craintive, Il lui disait : Ne crains pas, sur le champ elle sentirait une grande force et tranquillité ».

L’enseignement de Jean de la Croix au sujet de la voix intérieure est d’une désarmante simplicité. Il se résume à deux points. Le premier, c’est de ne pas en faire un absolu. Si elle est du troisième type, « on n’a rien à faire, ni à vouloir, ni à ne pas vouloir, ni à rejeter, ni à craindre », on ne peut que la laisser agir en soi. Si elle est des deux premiers types, alors il est important de garder le cap de sa vie sur la foi commune, celle dans laquelle s’assemblent tous les croyants de sa tradition spirituelle. Pour les chrétiens, c’est la référence à l’Écriture, la communion avec une communauté chrétienne, la vie sacramentelle etc. Jusqu’où la voix intérieure est-elle en connivence ou en harmonie avec la foi commune ? Jean de la Croix suggère de plus de ne prendre aucune grande décision sur la base d’une parole intérieure « sans beaucoup d’avis et de conseil d’autrui, parce qu’il arrive en cette matière de subtiles et étranges tromperies ». Le deuxième point, c’est donc de s’en ouvrir à une personne mûre, sage et avisée de ces choses et, si on n’en connaît pas, de n’en parler à personne.

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