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Dieu contre Dieu

Imprimer Par Paul-André Giguère

Nous l’emporterons et serons vainqueurs de nos ennemis, avec la grâce de Dieu – inch’Allah! » « Que Dieu continue de bénir l’Amérique ». Tour à tour, et le même jour, et sur le même sujet, le président Saddam Hussein et le président Georges W. Bush ont invoqué l’aide et la protection de Dieu pour leur soldats, pour leurs concitoyens et pour la prospérité générale de leur pays. Or, ce ne sont pas dans leur bouche que des propos rhétoriques, dictés par la seule stratégie. Ils traduisent une conviction profonde des deux hommes, fondamentale dans leur vision du monde et de la vie.

Aussi étonnant que cela puisse apparaître à plusieurs d’entre nous, esprits (soi-disant) modernes, il y a peu de temps que cette opposition de Dieu contre Dieu pose problème. Pendant des millénaires, on s’est représenté la divinité comme attachée à un lieu et un peuple particulier. Dès l’époque la plus ancienne de la tradition biblique, les Israélites ont comme premier commandement que YHWH seul doit être leur dieu (Exode 20 2-3), et ils voient en Jérusalem la ville qu’il a choisi d’habiter (Ézékiel 48 35). Mais ils savent bien que Baal est le dieu des Cananéens, Dagôn, celui des Philistins et Kemosh celui de Moab. Chaque dieu est solidaire de son peuple, le protège, le défend et combat avec lui.

Le christianisme primitif fera difficilement le passage vers un universalisme fondé sur l’unicité de Dieu et de son projet de salut. Il faudra la foi intrépide et tenace d’une femme syro-phénicienne pour faire voir à Jésus que celui dont il est l’envoyé n’est pas le dieu que des Juifs, et que les non-Juifs, comme elle, ne sont pas des petits chiens qui mangent ce qui tombe de la table de leur maître et de ses enfants (Évangile de Matthieu 15), mais des enfants, eux aussi. Il faudra une vision céleste pour faire voir à Simon que l’Esprit du ressuscité et le baptême chrétien ne sont pas réservés aux personnes de foi juive (Actes des apôtres 10).

Rien de surprenant, donc, qu’on entende très fréquemment aujourd’hui en Occident l’objection que les religions constituent un facteur de division et de violence. Il ne manque malheureusement pas, dans l’histoire, même contemporaine, d’exemples pour illustrer ce drame. La conviction de parler et d’agir au nom de Dieu, quand on parle et agit au nom de sa foi, ne fait d’ailleurs pas des ravages qu’entre les religions. À l’intérieur même des religions organisées on retrouve une multitude de tendances qui tendent à se dénigrer ou s’excommunier les unes les autres, chacune au nom d’une vérité spirituelle. De plus, les autorités religieuses inclinent à se voir et à s’imposer comme détentrices privilégiées de la connaissance de Dieu et de sa puissance.

Avant de décrier et de dénoncer, il convient de reconnaître qu’une intuition spirituelle majeure est ici présente : Dieu n’est pas un être infiniment lointain et souverainement indifférent à ce qui arrive aux êtres humains, si infimes et éphémères dans l’immensité de l’univers. Au contraire, il a partie liée avec nous. Par la médiation des grandes traditions religieuses et spirituelles comme par celle du désir profond qui tenaille tout être humain, il propose à notre liberté une direction pour l’histoire, aussi bien l’histoire de l’humanité que la destinée de chacun. La contrepartie de cette intuition, c’est toutefois la tentation, la possibilité, même, d’annexer Dieu à nos intérêts.

Alors le mystère se dégrade en idéologie. Au lieu de servir Dieu et de s’engager pour la réalisation de son projet, les humains se servent de Dieu pour la poursuite de leurs intérêts. Dans cette inversion, la joyeuse connaissance de Dieu est transformée en illusion. L’illusion de connaître qui est Dieu, l’illusion de savoir sa volonté, l’illusion de se penser dépositaire de la mission de faire connaître et, au besoin, de l’imposer. Souvent à l’insu de leurs auteurs, mais malheureusement aussi parfois d’une manière très calculée et délibérée, les déclarations de foi relèvent de la pire imposture.

Il est bon de s’arrêter ainsi à considérer les impasses auxquelles peut conduire une certaine manière de se relier au spirituel et au religieux. Car alors, la réflexion place devant des défis difficiles : celui d’accepter le caractère relatif de tout ce que nous savons (et pensons savoir) sur Dieu, celui d’entrer dans un dialogue respectueux avec les autres à qui il est donné d’être en contact avec d’autres facettes du mystère, celui de ne pas mêler d’une manière irrespectueuse et imprudente Dieu à nos conflits et à nos ambitions.

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