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De la solitude

Imprimer Par Paul-André Giguère

Une constante se dégage des commentaires que m’adressent régulièrement des visiteurs du site spiritualite2000. Je pourrais la formuler ainsi : comme c’est bon de trouver un espace où ces choses peuvent être dites, entendues et échangées ! Ils disent combien ils souffrent, dans leur quête spirituelle, de ne pas avoir de lieu pour partager leur soif et leurs questions, leurs moments d’intensité et leurs expériences secrètes, leurs doutes et leurs convictions, leurs découvertes et même leurs échecs. Et effectivement, il est tant de milieux où toute allusion au religieux est systématiquement tournée en dérision. Il en est tant d’autres où le spirituel, même le plus large, est vraiment tabou. Même au sein des communautés chrétiennes, des assemblées synagogales ou des rassemblements à la mosquée, il est souvent plus question de morale, de règles, de traditions, de récits ou de dogmes que d’authentique expérience spirituelle (voir l’éditorial de janvier 03). La solitude est ainsi le lot de beaucoup de chercheurs et de chercheuses d’absolu.

Lorsqu’ils trouvent enfin un lieu où ils pensent pouvoir risquer de se dire, il n’est pas rare qu’étonnés, ils s’y trouvent encore seuls, mais d’une autre solitude. Car voilà que ce sont les mots qui leur manquent. Le langage se révèle inadéquat par rapport au mystère intime qu’ils aspirent à partager, aux interrogations singulières qu’ils se posent, aux aspirations infinies qu’ils éprouvent. Ils se découvrent comme analphabètes du spirituel. Ils mesurent la difficulté de comprendre vraiment l’autre comme d’être compris soi-même.

Alors comme il est bon, oui, de s’associer à des personnes, des groupes ou des réseaux où on peut quand même se deviner, lire entre les lignes, dire un peu de l’indicible, pointer ce qu’on a pu entrevoir de l’invisible. Réconforté, on peut alors poursuivre sa route solitaire, se sachant en communion avec d’autres solitaires de l’absolu.

Mais finalement, finalement, la solitude des chercheurs de transcendance ne provient pas seulement d’un environnement hostile ou indifférent ni de la difficulté de trouver « les mots pour le dire ». Elle tient à la nature même de l’expérience dans laquelle on s’est engagé. La poétesse américaine Emily Dickinson semble se tenir ainsi à la pointe de la solitude de l’âme quand elle écrit : Il y a une solitude de l’espace, une solitude de la mer, une solitude de la mort, mais ce sont compagnie comparées à ce site plus profond, cette intimité polaire : une Âme face à elle-même, infinité finie.

Dans la tradition spirituelle chrétienne, cette solitude radicale, celle où Dieu suffit, comme chante Thérèse d’Avila, est cependant une solitude habitée, une solitude d’intense, et souvent silencieuse, communication. Pour les chrétiens, l’Incomparable et l’Unique n’est pas seul, mais amour et communion du Père, du Fils et de l’Esprit. De plus, pour les chrétiens toujours, il y a la création, c’est-à-dire le fait que quelque chose existe qui n’est pas Dieu, particulièrement l’être humain reconnu comme image et ressemblance de Dieu. Or ce fait est, de la part de l’Origine et de la Source de tout, un acte de communication, un acte de conversation, un acte de dialogue et de rencontre. Ainsi, pas plus que Dieu, l’être humain n’est solitaire ou isolé. Sans doute, plus il est lui-même, plus il est radicalement seul. Et pourtant, plus il est lui-même, plus il se sent en communion, au moins sous le mode du désir. La solitude spirituelle ne replie pas sur soi : elle ouvre sur le monde et singulièrement sur les autres humains.

« Aimer quelqu’un, c’est honorer sa solitude et s’en émerveiller ». Cette parole de Jacqueline Kelen dans son admirable livre L’Esprit de solitude (Éd. La Renaissance du livre, 2001), dit bien d’où vient l’authentique expérience spirituelle et ce qu’elle recherche : non pas la chaleur d’un univers fusionnel, non pas l’expérience intense d’un coude à coude communautaire où ne règne que le « nous », mais l’accueil d’un amour inconditionnel et le désir intense de le payer de retour. Dans la rencontre d’unicités et de solitudes qui s’appellent sans jamais s’abolir.

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