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Le problème que nous sommes : La Trinité dans notre vie

Imprimer Par Maurice Zundel

Maurice Zundel naquit à Neuchâtel en Suisse. Ordonné prêtre 1919, il est nommé vicaire à Genève. Suite à une décision injuste de ses supérieurs, il est exilé à Rome – où il obtient un Doctorat en Théologie- puis exerce un ministère de prédicateur itinérant (Paris, Jérusalem, Proche Orient). Après son retour en Suisse, il exerce son ministère à Lausanne jusqu’à sa mort. Il est étonnant de constater à quel point la pensée de cet homme tellement humble (pratiquement inconnu de son vivant) continue de rayonner » il est considéré, à juste titre comme un géant de la spiritualité chrétienne.

Jésus devant le mal : texte 15

Jésus devant le mal. Le mystère de Jésus est le mystère d’un Dieu qui, devant le mal qui le blesse, n’a pas d’autre ressource que de mourir pour ceux qui refusent de l’aimer.

C’est cela le mystère de Jésus. C’est cela le mystère de la Croix parce que le mal blesse Dieu qui ne pourra jamais cesser d’aimer, qui nous aimera éternellement, quoi que nous fassions puisque nous ne pouvons exister que par le don de son amour. Dieu, qui s’obstine éternellement à aimer quand son amour est refusé, n’a d’autre ressource que de mourir pour ceux qui refusent de l’aimer et par ceux qui refusent de s’aimer. C’est cela qui est au cœur du mystère de la Croix : Jésus va faire, ou plutôt va offrir sa vie même comme un contrepoids d’amour pour tous les refus d’amour au cours de toute l’histoire humaine et dans le développement de toute la Création, du commencement jusqu’à la fin.

En Jésus crucifié, c’est Dieu qui meurt, c’est-à-dire que, dans notre Histoire, cet Amour infini qui est Dieu, ce Dieu qui est éternellement vidé de lui-même, ce Dieu qui a tout perdu parce qu’il a tout donné, ce Dieu qui n’est que l’extase éternelle de l’Amour où tout est désapproprié, ce Dieu ne peut exprimer dans l’Histoire le dépouillement de son amour que par cette mort de l’humanité de Jésus qui est le sacrement vivant et inséparable où se révèle la présence personnelle de la Divinité.

Il en sera toujours ainsi : Dieu ne cessera jamais de mourir pour ceux qui refusent de l’aimer, comme Pascal l’a si admirablement éprouvé lorsqu’il écrit : « Jésus sera en agonie jusqu’à la fin du monde. Il ne faut pas dormir pendant ce temps-là. » Impossible devant la Croix de Notre-Seigneur, impossible de ne pas être saisis jusqu’au fond de l’âme, impossible de ne pas croire à l’amour de Dieu, impossible de ne pas comprendre la nouveauté du Nouveau Testament et la libération incommensurable qu’il apporte, car nous ne sommes plus sous une loi, nous ne sommes plus sous un commandement, nous ne sommes plus sous des interdits : nous sommes en face de l’immense amour qui nous est confié, d’une vie divine qui est remise entre nos mains ; et la perfection à laquelle nous sommes appelés, c’est justement ce don total de nous-mêmes, mais par amour. S’il faut tout donner, c’est parce que l’amour donne tout, c’est parce que Dieu, dont la vie est répandue dans nos cœurs, ne peut s’exprimer dans notre existence, ne peut s’exprimer dans l’histoire d’aujourd’hui qu’à travers ce don de nous-mêmes.

Tout est nouveau dans cette liberté infinie, cette liberté divine à laquelle nous sommes appelés et qui doit instaurer en nous la vie divine en enracinant notre vie au cœur de l’éternelle Trinité. Il faut donc passer du dehors au dedans. Il faut prendre conscience de cette vie divine qui nous est confiée pour comprendre à quel point la Croix est notre unique espérance, notre unique espérance précisément parce que la Croix donne le sens de notre aventure.

Il y a donc toute une découverte à faire : ce n’est pas Dieu qui nous condamnera jamais, mais nous pouvons le condamner ; ce n’est pas Dieu qui nous rejettera jamais, mais nous pouvons le rejeter. Le jugement de Dieu, c’est sa crucifixion ; le jugement de Dieu, c’est comme aux portes des vieilles cathédrales : Jésus montre ses plaies. Voilà le jugement : « Je vous aime éternellement, je ne cesserai jamais de vous aimer, s’ils se perdent, c’est parce qu’ils me crucifient et j’accepte d’être éternellement crucifié par eux et pour eux. »

Si cela est vrai — et c’est le cœur même de la Passion du Sauveur — il ne s’agit plus de nous sauver comme si nous étions menacés par un Dieu implacable, il s’agit de Le décrucifier, de Le détacher du bois du supplice. Il s’agit de Le sauver de nous-même, de nos limites, de nos refus, de nos ténèbres, de nos reniements.

Et c’est cela, justement, l’immense aventure chrétienne. Nous avons — puisque nous portons la vie divine en nous, puisque le ciel est au fond de nos cœurs dans une attente infinie — nous avons à protéger Dieu de nous-mêmes, comme dit Graham Greene dans La Puissance et la Gloire : « Aimer Dieu, c’est vouloir le protéger contre nous-mêmes. » Comme c’est bon ! S’il s’agissait de notre salut, nous pourrions remettre cela à l’heure de notre mort, comme l’a fait Constantin. S’il s’agissait de notre exigence morale, nous pourrions prendre des vacances et remettre cela à demain. Mais il s’agit de la vie de Dieu aujourd’hui : aujourd’hui, Dieu nous est confié, aujourd’hui le règne de Dieu doit s’accomplir par nos mains, aujourd’hui la présence de Dieu ne peut s’exprimer qu’à travers notre présence.

C’est cela seulement qui est un appel irrésistible à la conversion, parce que rien n’est plus urgent que de prendre soin de Dieu. Nous nous plaignons de la déchristianisation du monde. Nous nous plaignons de l’athéisme, de la révolte. Qu’est-ce que nous faisons pour rendre Dieu présent au monde ? Qu’est-ce que nous faisons pour rayonner le vrai visage du Christ ? Qu’est-ce que nous faisons pour rendre la vie humaine plus grande, plus noble, plus libre et plus belle ? Rien n’est plus urgent pour nous que d’entrer dans cette mission. Rien n’est plus urgent pour nous que de prendre soin de la vie divine. Notre-Seigneur a dit cette parole : « Celui qui fait la volonté de Dieu est mon frère et ma sœur et ma mère » (Mc 3, 35).

Et ma mère… S’il faut donner à cette parole de Jésus toute sa puissance, est-ce que notre vie tout entière n’en sera pas radicalement transformée ? Si notre vocation, si la vocation de toute âme chrétienne est de vivre la vocation de la Vierge Immaculée, si nous avons à porter le Christ en nous comme elle l’a porté, si nous avons à faire naître le Christ comme il est né d’elle dans le mystère de Noël, est-ce que notre vie ne sera pas radicalement transformée ?

Si, à chaque instant, dans chaque rencontre, devant chaque visage, si à chaque battement de notre cœur nous avons ce souci de la naissance de Dieu dans l’humanité d’aujourd’hui, est-ce que notre vie ne deviendra pas une prodigieuse aventure ? Qu’est-ce qui peut donner une intensité plus passionnante à notre existence que cette prise de conscience de la vie divine confiée à notre amour ?

Ah ! si nous pouvions, le temps qui nous reste à vivre, garder au cœur et à l’esprit cette vision du Christ agonisant qui nous appelle, du fond du Jardin de l’Agonie, qui nous demande de passer une heure avec lui; si nous pouvions être certains que le Dieu crucifié n’est crucifié que par tous les refus d’amour et que seul l’amour peut guérir ses blessures, à chaque instant nous aurions ce souci de nous surmonter, de dépasser nos limites, d’émerger de nos ténèbres et d’apporter, sans rien dire, dans la vérité de notre amitié humaine la Révélation de l’amitié divine.

Voilà ce que nous apprend le second jardin en nous révélant le vrai visage de Dieu, en nous révélant nous-même à nous-même et en nous appelant à cette immense aventure de sauver Dieu de nous-même, d’en révéler en nous toute l’immensité, toute la beauté, toute la jeunesse et toute la joie ! Car, finalement, si le Christ est crucifié, ce n’est pas pour enténébrer la vie éternelle, c’est pour susciter l’amour qui réalisera enfin la vocation de l’univers qui est une vocation de joie puisque, avant même d’entrer dans le Jardin de l’Agonie, Jésus nous dit cette parole qui est le testament que nous avons à réaliser en prenant sur nous la Croix pour l’épargner aux autres : « Je vous ai dit ces choses pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite » (Jn 15, 11).

Beyrouth, 1972.

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