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Méditation chrétienne

Le miroir des âmes simples et anéanties

Imprimer Par Marguerite de Porete

Mystique française née dans le Hainaut, dans le diocèse de Cambrai. Sa démarche s’inscrit dans le mouvement des béguines et sa parenté spirituelle avec Hadewijch d’Anvers et Béatrice de Nazareth est manifeste. Le miroir des âmes simples et anéanties , (vers 1290) est un chef-d’œuvre de la première littérature mystique de langue française dont la richesse spirituelle place son auteure dans la lignée de saint Bernard et Maître Eckhart. Le Miroir est condamné par l ‘évêque de Cambrai, qui le fera brûler publiquement à Valencienne en 1300. Traduite devant le tribunal de l’Inquisition, Marguerite est excommuniée et brûlée vive le 1er Juin 1310 sur la place de Grève à Paris.

Chapitre 118

Des sept états de l’âme dévote, que l’on appelle aussi êtres

L’âme : J’ai promis, dès qu’Amour eut lancé son emprise, de dire quelque chose des sept états que nous appelons êtres , car ils sont sept. Ce sont les degrés par où l’on monte de la vallée au sommet de la montagne si isolée que l’on n’y voit que Dieu, et chaque degré est établi en un état particulier.

[L’auteur :] Le premier état, ou degré, c’est que l’âme touchée de Dieu par la grâce et dépouillée de son pouvoir de péché, ait l’intention de garder au prix de sa vie même – autrement dit, dût-elle en mourir – les commandements que Dieu donne en la Loi. Pour autant, cette âme regarde et considère avec grand respect que Dieu lui a commandé de l’aimer de tout son cœur, et son prochain comme elle-même. Cela lui semble bien du travail à côté de ce qu’elle peut faire, et il lui semble que si elle devait vivre mille ans, son pouvoir aurait assez de seulement tenir et garder les commandements.

L’âme libre : En ce point et en cet état, je me suis trouvée jadis un temps. Mais nul ne craint d’arriver au sommet, si son cœur est généreux et intérieurement rempli de noble courage; seul un cœur mesquin n’ose pas entreprendre de grandes choses ni monter plus haut, par manque d’amour: c’est là de la couardise, et elle n’est pas surprenante chez les gens qui demeurent ainsi en une paresse qui ne leur permet pas de chercher Dieu; or, ils ne le trouveront jamais s’ils ne le cherchent pas avec diligence.

[L’auteur :] Le second état, ou degré, c’est que l’âme considère ce que Dieu conseille à ses amis intimes, au-delà de ce qu’il commande; car celui-là n’est pas un ami, qui peut s’écarter d’accomplir tout ce qu’il sait plaire à son ami. Aussi la créature s’abandonne-t-elle elle-même et s’efforce-t-elle d’agir au-dessus de tous les conseils des hommes, dans les œuvres qui mortifient la nature, dans le mépris des richesses, des délices et des honneurs, pour accomplir en perfection les conseils de l’Évangile, ce dont Jésus-Christ est modèle. Aussi ne craint-elle ni la perte de ce qu’elle a, ni les paroles des gens, ni la faiblesse du corps, car son bien-aimé ne les a pas craints, et l’âme envahie par lui ne peut les craindre davantage.

Le troisième état, c’est que l’âme se considère en l’affection d’amour de l’œuvre de perfection, là où son esprit décide, par un bouillonnant désir de l’amour, de multiplier en elle ces œuvres; cela se fait par la subtile connaissance de l’entendement de son amour, qui ne peut offrir à son bien-aimé pour le réconforter, rien d’autre que ce qu’il aime. En effet, rien n’a de prix en amour, que de donner au bien-aimé la chose la plus aimée.

Maintenant, la volonté de cette créature n’aime donc plus que les œuvres de bonté, à travers la difficulté de ses grandes entreprises en tous les travaux dont elle peut repaître son esprit. D’où il lui semble, à juste raison, qu’elle n’aime que les œuvres de bonté; et pour autant, elle ne peut rien donner à Amour si elle ne lui en fait le sacrifice; en effet, nulle mort ne lui serait un martyre, sinon celle qui consiste à s’abstenir de l’œuvre qu’elle aime, c’est-à-dire des délices de son bon plaisir et de la vie selon la volonté qui s’en nourrit. Et c’est pourquoi elle abandonne de telles œuvres où elle trouve de si grandes délices, et met à mort la volonté qui y prenait vie; et elle s’oblige, pour être martyre, à obéir au vouloir d’autrui en s’abstenant d’œuvre et de vouloir, et en accomplissant le vouloir d’autrui pour détruire son vouloir. Et cela est plus difficile, beaucoup plus difficile, que les deux états susdits, car il est plus difficile de vaincre les œuvres du vouloir de l’esprit que de vaincre la volonté du corps ou de faire la volonté de l’esprit. Aussi faut-il se broyer soi-même, en se cassant et en se brisant soi-même, et élargir ainsi la place où Amour voudra se tenir; et il faut s’encombrer soi-même de plusieurs états pour se désencombrer et pour atteindre son état.

Le quatrième état, c’est que l’âme soit absorbée par élévation d’amour en délices de pensée grâce à la méditation, et qu’elle soit détachée de tous les travaux du dehors et de l’obéissance à autrui grâce à l’élévation de la contemplation; cela rend l’âme si fragile, si noble et si délicieuse, qu’elle ne peut supporter que rien la touche, sinon l’attouchement du pur délice d’Amour dont elle jouit avec une grâce singulière. Cet attouchement la rend orgueilleuse en abondance d’amour, car elle en est maîtresse grâce à l’éclat, c’est-à-dire grâce à la clarté, de son âme qui la remplit merveilleusement d’amour, en une grande foi et par la concorde de l’union qui l’a mise en possession de ses délices.

L’âme prétend alors qu’il n’y a pas de vie plus haute que de posséder cela, dont elle a seigneurie; en effet, Amour l’a si grandement rassasiée de ses délices, qu’elle ne croit point que Dieu puisse faire ici-bas à une âme un don plus grand que cet amour qu’Amour a répandu en elle par amour.

Oui, il n’est pas surprenant que cette âme soit envahie, car Amour Gracieux l’enivre complètement, si fort qu’il ne la laisse rien comprendre d’autre que lui, en raison de la force dont Amour la délecte. Et pour autant, l’âme ne peut apprécier un autre état; en effet, la grande clarté d’Amour a tellement ébloui sa vue, qu’elle ne lui laisse rien voir au-delà de son amour. Mais là, elle se trompe, car il y a deux autres états que Dieu donne ici-bas, et qui sont plus grands et plus nobles que celui-ci; mais Amour a trompé bien des âmes à cause de la douceur de la jouissance de son amour, qui envahit l’âme dès qu’elle s’en approche ! Et nul ne peut s’opposer à cette force: cela, l’âme le sait, qui, par fin amour, a exalté Amour au-delà d’elle-même. (suite du texte dans l’édition de septembre).

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