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Le psalmiste,

Responsable de la chronique : Michel Gourgues, o.p.
Le psalmiste

« Il m’appellera ‘ Toi mon père ‘ » (Psaume 89)

Imprimer Par Michel Gourgues, o.p.

Père, que ton nom soit sanctifié, que vienne ton Règne. Tels sont, dans l’évangile de Luc, les premiers mots de la prière que Jésus enseigne aux siens en réponse à leur requête: Seigneur, apprends-nous à prier (Lc 11,1).

Le Pater, souligne-t-on couramment, comme d’ailleurs le Magnificat et le Benedictus, les deux autres prières rapportées par Luc, est tout tissé de réminiscences de l’Ancien Testament et de la prière de la synagogue. Jésus, selon la formule bien frappée d’un exégète, venait d’un peuple qui savait prier. N’est-il normal, dès lors, qu’au moment d’apprendre à prier à ses disciples il se souvienne des prières qu’il a lui-même apprises? Néanmoins, si l’on considère le début du Pater, en particulier l’appellation de Dieu comme Père et la demande de la venue du Règne, on ne peut qu’être frappé par l’originalité de la prière de Jésus.

Toi mon père

De façon générale, si l’on considère l’ensemble de l’Ancien Testament, la désignation de Dieu comme Père y apparaît d’une extrême rareté. Dieu de nos pères, Dieu de vos pères, Dieu de tes pères: ces désignations-là reviennent maintes fois. Mais les doigts d’une seule main suffisent à compter les passages où des croyants se tournent vers Dieu en l’appelant Père, comme chez Luc, ou notre Père, comme chez Matthieu (6,9).

Les psaumes, par exemple, s’adressent à Dieu de mille façons. Certaines reviennent comme un refrain: Dieu, toi mon Dieu, Seigneur mon Dieu. D’autres se font plus particulières: Seigneur, mon bouclier, ma gloire (Ps 3,4); Dieu de ma justice (Ps 4,2); Seigneur, ma part d’héritage et ma coupe (Ps16,6); Yahvé ma force (Ps 18,2); Toi, le Saint, qui habites les louanges d’Israël (Ps 22,4); Yahvé, Dieu de mon salut (Ps 88,2)… Et tant d’autres désignations encore… Pourtant, des 150 psaumes, il ne s’en trouve pas un seul pour s’adresser à Dieu en l’appelant Père. N’y a-t-il pas là quelque chose d’étonnant?

A vrai dire, une exception se présente au psaume 89. Là, en effet, on peut lire, au mitan de ce long psaume: Lui, il m’appellera : ‘Toi, mon père, mon Dieu et le rocher de mon salut!’ (Ps 89,27). C’est donc Dieu lui-même qui parle dans ce passage et celui dont il est question, c’est David, mon serviteur (v. 21). Pendant près de vingt versets (vv. 20-38), le priant du psaume détaille comme à plaisir les faveurs et les engagements de Yahvé à l’égard du roi qu’il a choisi.

L’espoir déçu

Mais voilà que, dans le dernier versant du psaume (vv. 39-52), le ton change brusquement. Que sont donc devenues ces belles promesses à David? La proximité et l’assurance de protection qui s’exprimaient à travers le titre mon père, tout se passe comme si Dieu les avait oubliées: Tu as renié l’alliance de ton serviteur, tu as profané jusqu’à terre son diadème (v. 40).

Cette déception du psaume rejoint celle d’un passage de Jérémie où se glisse aussi l’invocation mon Père. Ici encore, la parole est à Dieu mais c’est ce dernier cette fois qui fait part de sa déception : Je me disais : Vous m’appellerez ‘mon Père’ et vous ne vous séparerez pas de moi. Mais comme une femme qui trahit son compagnon, ainsi m’avez-vous trahi, maison d’Israël, oracle de Yahvé (Jr 3,19). Se faire appeler mon père, soit par David, soit par tout le peuple: tel était donc le rêve de Dieu. Hélas, déplore le psaume et constate Yahvé lui-même chez Jérémie, ce rêve ne s’est pas réalisé. Ni l’invocation ni la relation d’intimité fidèle qu’elle exprime ne sont parvenues à se traduire dans la réalité.

Un type de relation qu’on ne pouvait imaginer

Il m’appellera ‘toi mon père’. Selon la Bible, il existait entre Dieu et le roi d’Israël une relation tout à fait privilégiée. Et c’est elle sans doute qui s’exprime dans ce passage du psaume 89. Le jour où il recevait l’onction pour être au service de son peuple, le roi était en quelque sorte adopté par Dieu, il devenait son fils à un titre tout particulier. Je serai pour lui un père et il sera pour moi un fils, avait un jour annoncé le prophète Natan à David, à propos cette fois de l’un de ses descendants (2 Samuel 7,14).

Quand vous priez, dites: Père. Cette fois, cette façon de s’adresser de Dieu n’est plus annoncée simplement pour l’avenir. Elle n’est plus l’apanage de quelque roi, personnage d’élite ou mystérieuse figure à venir. Elle est désormais pour tous les disciples. Et la relation qui s’exprime à travers elle, c’est d’abord et avant tout la relation de Jésus à Dieu. Luc en effet fait bien ressortir qu’en enseignant à ses disciples à dire Père – Abba, papa, dans la langue qui était la sienne – Jésus ne fait que leur transmettre sa propre façon de faire, attestée dans l’évangile à quatre reprises. Sans doute est-ce là l’aspect le plus original du Pater: désormais se trouve étendue à tous les disciples la relation de proximité unique qu’entretenait Jésus avec son Père. Une telle nouveauté ne pouvait guère échapper à un juif d’origine comme Saül de Tarse, profondément enraciné dans l’héritage et la prière de son peuple. Vous avez reçu un esprit de fils adoptifs qui nous fait nous écrier : ‘Abba! Père!’ (Romains 8,15).

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