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L’occasion n’est pas encore venue… ou savoir attendre

Imprimer Par Paul-André Giguère

L’Évangile de Jean présente une scène étonnante qui n’a pas beaucoup retenu l’attention des commentateurs. Les frères de Jésus l’invitent à se rendre en Judée, à Jérusalem, pour la fête de Sukkôt. Ils lui disent : On ne fait pas les choses en cachette si l’on veut être connu au grand jour. Ce que tu fais, montre-le au monde (Jean 7 3-4).

On sent là une impatience et un souci d’efficacité qui ne nous est pas étranger. Les frères de Jésus obéissent à une logique que nous comprenons bien. Nous sommes d’accord avec eux, ils ont tout à fait raison. D’ailleurs, les prophètes de l’Ancien Testament ne faisaient pas autrement. C’est bien au cour du sanctuaire de Béthel qu’Amos se déplace à partir de sa patrie située bien loin de là, à Teqoa (Amos 7 10ss). C’est à la porte du Temple de Jérusalem que Jérémie va se poster en un moment critique de l’histoire de la ville (Jérémie 7 1).

Ce qui étonne, c’est la réponse de Jésus. L’occasion n’est pas encore venue ; pour vous, toutes les occasions sont bonnes. Rendez-vous à cette fête, moi je n’irai pas, l’occasion n’est pas encore là (Jean 7 8). Est-ce calcul politique ? Est-ce une question de flair, de sens du moment stratégique ? Jésus est-il tout simplement plus avisé que ses frères ? Il semble que non. On le verra ailleurs retarder une autre démarche importante : Lazare étant malade, ses sours font parvenir à Jésus la nouvelle : Seigneur, ton ami est malade. (.) Ayant appris que Lazare était malade, il est resté encore deux jours là où il était puis il a dit à ses disciples : On retourne en Judée (Jean 11 2.6-7).

Manifestement, Jésus sait quelque chose que ses frères et ses proches ne savaient pas, quelque chose que nous savons probablement encore moins bien nous-mêmes. Il savait attendre. Son calendrier n’était pas dicté par les attentes des autres, les pressions de son entourage ou un sentiment d’urgence ou de précipitation. Le Jésus que nous présentent les quatre évangélistes porte sur le temps et la durée un regard d’impatience patiente. Autant on le sent habité par le sens de la proximité du Règne de Dieu, désireux que l’on s’y ouvre par la conversion aujourd’hui , tendu de tout son être vers la réalisation de ce Règne de Dieu, autant on le sait conscient des exigences de la durée. Par exemple, il parle volontiers d’une semence qui doit prendre le temps de germer, pousser et parvenir à maturité. Pour les choses importantes, Jésus vit au rythme que Dieu choisit pour se manifester dans les existences humaines. Il ne cherche pas à précipiter les choses, il ne cherche pas à devancer le moment de la grâce.

La société urbaine occidentale nous rend presque impossible l’attente. Qu’on soit pris dans un bouchon de circulation, que l’autobus soit en retard ou qu’une personne ne soit pas au bout du fil au moment où nous l’appelons, cela peut nous mettre hors de nous. Achetez (ou voyagez) maintenant, payez plus tard clame la publicité. S’habituer à l’Internet à haute vitesse nous rend insupportable de travailler ensuite à un ordinateur où il faut attendre dix ou douze secondes pour qu’une page s’affiche.

Le cheminement spirituel s’accommode difficilement de cette impatience et cette exigence de résultats immédiats. Il suppose au contraire que l’on sache s’arrêter. Il implique un processus de décantation et de maturation. Il nous fait cultiver l’espérance. Voir ce qu’on espère, ce n’est plus l’espérer : ce que l’on voit, comment l’espérer encore ? Mais espérer ce que nous ne voyons pas, c’est l’attendre avec persévérance (Romains 8 25). L’auteur de la pièce de théâtre acadienne La Sagouine, Antonine Maillet, le fait dire d’une manière suave à son héroïne : Ce qui rend heureux, ce n’est pas d’avoir quelque chose : c’est de savoir qu’on va l’avoir !

Chez les chrétiens, décembre est le mois de l’attente. De l’Avent. De la Venue. Du Désir. Un mois hautement spirituel à l’heure où pour les autres, toutes les occasions sont bonnes. On se précipite sur les aubaines . Et si décembre nous était plutôt donné pour nous permettre d’apprendre à attendre ?

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