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Visa le noir, tua le blanc

Imprimer Par Paul-André Giguère

En hommage aux victimes du 11 septembre 2001

Rond, carré. Gros, petit. Rouge, noir. Cour, pique. Le petit enfant passe des heures à regrouper des objets par couleur, par taille, par forme. Il met ensemble ce qui va ensemble. Il détecte l’objet incongru dans une série. Dans le développement humain survient assez tôt l’étape de la pensée classificatrice. C’est une étape essentielle où l’on apprend que le monde n’est pas une masse informe et où l’on développe la capacité d’opérer des distinctions.

Cette capacité de la pensée humaine de distinguer, de faire la différence, est absolument fondamentale. Elle ne touche pas que l’univers matériel. Pile, face. Ouvert, fermé. Matin, soir. Jour, nuit. Gentil, méchant. Heureuse, fâchée. Présent, absent. Même l’univers de l’informatique, que nous trouvons si complexe,. repose pourtant sur une structure absolument primitive, une structure binaire. 0,1. Ouvert, fermé. Vrai, faux. Oui, non.

Ces distinctions élémentaires nous rassurent. Le monde est ordonné. Chaque chose a sa place. À chacun son métier.

Seulement, la vie n’est pas élémentaire. En poursuivant notre développement, nous perdons un peu de notre innocence et beaucoup de notre naïveté. C’est ce qui nous rend si difficile de grandir et de faire le deuil de l’enfance. Nous apprenons que la réalité et la vie sont infiniment plus complexes que ce que les logiques fondamentales donnent à penser. Entre le oui et le non, il y a le peut-être et le ça dépend. Entre le vrai et le faux, entre la vérité et l’erreur, il y a toute la gamme de l’inconnu, de l’approximatif, du relatif. Le reconnaître, c’est une nouvelle étape du développement humain.

Plusieurs psychologues retiennent, parmi d’autres critères de maturité, la capacité de porter l’ambiguïté. Les choses sont si rarement tranchées au couteau, et entre le noir et le blanc, il existe d’infinis dégradés de gris.

Le développement spirituel et religieux n’emprunte pas d’autres chemins. Il est inévitable que dans un premier stade, le monde soit tranché en deux. Après avoir vécu d’un imaginaire de l’unanimité, l’enfant subit le choc de découvrir qu’il y a ceux qui pensent et qui croient comme nous, qui sommes dans la vérité, et il y a les autres qui pensent et croient autrement. C’est bien lentement que nous développons d’abord la capacité d’admettre que coexistent différentes manières de croire ou de cheminer spirituellement, puis la capacité de comprendre comme de l’intérieur ce que croient les personnes et les groupes différents de nous, puis, plus tard encore, la capacité de se sentir en profonde communion avec tous les humains, quelle que soit la forme que prend leur réponse au désir infini et à la soif d’absolu.

La Bible apparaît pour les chrétiens comme un guide dans ce développement. Beaucoup de ses textes sont structurés par la pensée binaire. Elle oppose le sage et l’insensé, le juste et l’impie, le fidèle et le païen. Mais, peu à peu, elle ouvre sur un Dieu universel et finit par proposer une voie où les distinctions fondamentales n’ont plus de raison d’être : Il n’y a ni Juif ni Grec, ni esclave ni homme libre, il n’y a ni mâle ni femelle, car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus (Galates 3 28).

La religion peut être la source de tous les intégrismes, le refuge de tous les fanatiques. Elle peut nourrir le rêve de la pureté, la nostalgie des certitudes, le besoin de cohérences bétonnées, la refus de la différence menaçante. Mais le cheminement spirituel et religieux conduisent aussi à la foi devant ce qui échappe à notre compréhension et à l’espérance dans l’incertitude. Ils conduisent à accueillir notre fragilité et nous apprennent à marcher dans l’obscurité. Le grand théologien chrétien Thomas d’Aquin le confessait : nous vivons avec Dieu comme avec l’Inconnu.

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