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Responsable de la chronique : Jacques Marcotte, o.p.
Éditorial

Qui a peur de qui?

Imprimer Par Jacques Marcotte, o.p.

 

Depuis le 24 février dernier l’hécatombe est commencée. Elle va s’amplifiant. Le drame continue. On ne voit pas comment va s’arrêter cette tragédie. On ne sait pas bien jusqu’où elle risque d’aller.

Or, on en voyait la probabilité, on en pressentait l’imminence depuis plusieurs semaines, avec l’immense concentration de chars aux frontières de l’Ukraine. Ce n’était qu’une question de temps et on verrait déferler cette machinerie infernale; on assisterait à la procession bien orchestrée de ces engins de mort.

Et nous qui avions anticipé cette avancée monstrueuse, nous avons laissé faire l’homme du Kremlin, dont la rhétorique justifiait et annonçait le pire. Nous avions peur de l’ours. Peur qu’il prenne peur et se fâche. Il fallait ne rien faire pour l’empêcher de faire ce qu’il voulait faire, de peur qu’il nous le fasse.

J’ai écouté le discours que M. Poutine a servi aux siens la veille, ou le jour même de l’invasion. Il a parlé longuement, avec cœur et enthousiasme, à tous ses compatriotes. Un chef d’œuvre d’interprétation historique biaisée, allant dans le sens d’une manœuvre obligée d’auto-défense. Attaquer pour ne pas être attaqué. Légitime défense. Prendre l’initiative pour ne pas être affreusement la victime.

L’homme de Moscou n’est pas fou. Il est profondément patriote. Il est profondément pétri de l’âme russe. Il est triste. Il est fâché. Déterminé. Il porte une mission de sauveur. Il se consacre personnellement à la revanche et à la défense de la nation russe. Il ne voit pas d’autre issu que l’attaque. C’est une nécessité que de briser la menace, de purger le mal qui est à la périphérie et qui met en danger son pays. Poutine galvanise. Il séduit. Ses convictions sont extrêmes.

L’homme n’est pas fou. Il rêve pour les siens d’un grand pays. Il se consacre rageusement à la tâche de sauver la Russie. Il est en marche avec ce grand peuple vers la Paix qu’il mérite, vers le paradis retrouvé. Nous, les pervertis de l’Ouest, nous sommes une menace pour la Sainte Russie. Il faut tuer dans l’œuf cette racaille de l’Amérique et de l’Europe de l’Ouest, qui est satanique, dépravée, nazifiée. Elle est outrageusement à l’œuvre en Ukraine. Il faut sauver l’Ukraine, notre sœur, malgré elle, parce qu’elle est en train de perdre son âme et de nous contaminer avec elle. Il y va de l’honneur, de l’avenir, de l’identité profonde de notre grand pays.

Jusqu’où ira cette logique? Comment est-il possible pour Monsieur Poutine d’en sortir? Je ne vois pas comment on peut démonter pareil argumentaire, qui est aussi séduisant, qui s’appuie sur une autorité implacable, qui dispose d’une force qui se croit absolue et invincible.

Faut-il aller jusqu’à sacrifier totalement l’Ukraine? Et puis après… ?  N’avons-nous pas le devoir d’une confrontation plus significative et plus efficace que celle des simples mesures économiques et diplomatiques? Ne sommes-nous pas déjà en train de nous battre avec la Russie par corps d’armée interposés? Ne sommes-nous pas déjà en guerre? Les Ukrainiens font malheureusement les frais d’un cruel et bien dangereux avant-combat.

Ne faudrait-il pas avoir bientôt l’audace de porter un grand coup qui puisse réveiller l’homme du Kremlin? L’audace d’un traitement-choc?  Qui le tire de son rêve et de son utopie. Non pas à coup d’humiliations, de peurs et de mises à genoux, non pas à coup de bombes et de missiles, mais à grands coups de raison, de transparence, de détermination et de bonne volonté.  Et si on en était rendu là? À l’heure d’un dialogue ouvert, franc et sincère, bâtisseur de paix!

Fr Jacques Marcotte, O.P.

Québec, QC

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