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Responsable de la chronique : Guy Musy o.p.
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Pain rompu pour un monde nouveau

Imprimer Par Guy Musy, o.p.

 

Après soixante ans d’activités bienfaisantes de portée nationale et internationale, une organisation caritative de mon Eglise catholique en Suisse vient de se ravauder la façade. On ne l’appellera plus, du moins en allemand, « Offrande de Carême », mais « Action de Carême ». Sécularisation oblige ! Nous avons échappé de justesse à la volatilisation du mot « carême ».

Cet événement n’est pas qu’une opération anodine de chirurgie esthétique sémantique. Il me donne à penser en ces jours de carême-prenant. Il pourrait même intéresser les internautes canadiens qui fréquentent ce site.

J’ai grandi comme tant d’autres dans une famille catholique où l’on « faisait carême ».Entendez : « faire pénitence ». Pour nous, enfants, c’était nous abstenir de biscuits et de chocolats que nous remisions dans une boîte à notre nom, pour nous en gaver le jour de Pâques dès que les cloches revenues de Rome nous en donneraient le signal.

De partage, il n’en était guère question. Si ce n’était pour calmer les pleurs d’un petit frère ou d’une petite sœur qui n’avait pas attendu le jour de la Résurrection pour faire un sort à ses réserves. Une version révisée de la fable qui met en scène cette fois-ci une fourmi compatissante face à une cigale toujours aussi volage et dépourvue.

Il m’a fallu attendre bien des années avant de faire du carême un authentique partage en Eglise. On récoltait alors à la messe du dimanche des Rameaux nos « offrandes de carême », glissées dans une enveloppe ad hoc qui avait pris du poids depuis le mercredi des cendres. Le résultat était distribué en « terres de mission » ou dans ces pays que nous appelions « tiers-monde » ou « en voie de développement ».

Ces offrandes n’avaient rien de paternaliste ou de maternaliste. Des gens de là-bas venaient nous informer sur leur destination. Grâce à une assiette de soupe ou un bol de riz pris en commun, nous tentions d’imaginer ou d’éprouver la vie frugale des bénéficiaires de nos dons. Un bénéfice partagé, puisque nos horizons s’ouvraient à leur contact. Nous nous enrichissions spirituellement de leur pauvreté. Leur style de vie nous provoquait et nous emmenait au-delà de notre confort et de nos surplus matériels.

Mais las ! Nos assemblées eucharistiques ont fondu comme neige au soleil. Le covid y a ajouté son grain de sel, ou plutôt sa pincée de poivre. Si bien que la courbe de nos « offrandes de carême » a tendance à rejoindre le plancher d’où elle s’était envolée.

Faut-il s’étonner si désormais une institution qui paradoxalement continue à se référer au « carême » recherche ses fonds ailleurs que dans nos églises et nos salles paroissiales ? Car les appels et besoins auxquels elle fait face sont bien réels et ne font que croître au fil des ans.

Que devient alors notre liturgique « offrande » de carême ? Avec la prière et le jeûne, elle est l’un des éléments du trépied sur lequel repose toute pratique de carême. Allons-nous vivre cette quarantaine calfeutrés et repliés sur nous-mêmes ? Ce serait trahir l’Evangile et l’Eucharistie que nous célébrons comme « pain rompu pour un monde nouveau ».

Je me laisse sans doute envahir par la nostalgie d’une Eglise archaïque et périmée. A vous de me faire découvrir des bourgeons tout frais, porteurs de nouvelles solidarités ! Même si ces jeunes pousses éclosent à l’ombre de chênes centenaires. Je veux y croire. Tout comme vous.

 

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