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Le psalmiste,

Responsable de la chronique : Michel Gourgues, o.p.
Le psalmiste

Psaume 35. La prière d’un juste persécuté

Imprimer Par Michel Gourgues, o.p.

1 De David.
Accuse, Yahvé, mes accusateurs,
assaille mes assaillants ;
2 prends armure et bouclier
et te lève à mon aide ;
3 brandis la lance et la pique
contre mes poursuivants.
Dis à mon âme : « C’est moi ton salut. »

4 Honte et déshonneur sur ceux-là
qui cherchent mon âme !
Arrière ! qu’ils reculent confondus,
ceux qui ruminent mon malheur !
5 Qu’ils soient de la bale au vent,
l’ange de Yahvé les poussant,
6 que leur chemin soit ténèbre et glissade,
l’ange de Yahvé les poursuivant !

7 Sans raison ils m’ont tendu leur filet,
creusé pour moi une fosse,
8 la ruine vient sur eux sans qu’ils le sachent ;
le filet qu’ils ont tendu les prendra,
dans la fosse, ils tomberont.

9 Et mon âme exultera en Yahvé,
jubilera en son salut.
10 Tous mes os diront : Yahvé,
qui est comme toi
pour délivrer le petit du plus fort,
le pauvre du spoliateur ?

11 Des témoins de mensonge se dressent,
que je ne connais pas.
On me questionne, 12 on me rend le mal pour le bien,
ma vie devient stérile.

13 Et moi, pendant leurs maladies, vêtu d’un sac,
je m’humiliais par le jeûne,
et ma prière reprenait dans mon cœur,
14 comme pour un ami, pour un frère ;
j’allais çà et là ;
comme en deuil d’une mère,
assombri je me courbais.

15 Ils se rient de ma chute, ils s’attroupent,
ils s’attroupent contre moi ;
des étrangers, sans que je le sache,
déchirent sans répit ;
16 si je tombe, ils m’encerclent,
ils grincent des dents contre moi.

17 Seigneur, combien de temps verras-tu cela ?
Soustrais mon âme à leurs ravages,
aux lionceaux ma personne.

18 Je te rendrai grâce dans la grande assemblée,
dans un peuple nombreux je te louerai.

19 Que ne puissent rire de moi,
ceux qui m’en veulent à tort,
ni se faire des clins d’œil
ceux qui me haïssent sans cause !

20 Ce n’est point de la paix qu’ils parlent
aux paisibles de la terre ;
ils ruminent de perfides paroles,
21 la bouche large ouverte contre moi ;
ils disent : Ha ! Ha !
notre œil a vu !

22 Tu as vu, Yahvé, ne te tais plus,
Seigneur, ne sois pas loin de moi ;
23 réveille-toi, lève-toi, pour mon droit,
Seigneur mon Dieu, pour ma cause ;
24 juge-moi selon ta justice, Yahvé mon Dieu,
qu’ils ne se rient de moi !

25 Qu’ils ne disent en leur cœur : Ha ! ma foi !
qu’ils ne disent : Nous l’avons englouti !
26 Honte et déshonneur
ensemble sur ceux qui rient de mon malheur ;
que honte et confusion les couvrent,
ceux qui se grandissent à mes dépens !

27 Rires et cris de joie pour ceux-là
que réjouit ma justice,
ceux-là, qu’ils disent constamment :
« Grand est Yahvé
que réjouit la paix de son serviteur ! »

28 Et ma langue redira ta justice,
tout le jour, ta louange.

(Bible de Jérusalem)


Le Psaume 35 est la prière vers Dieu d’un juste qui se sent attaqué de toutes parts. Il y a trois parties dans le psaume : vv. 1-10 ; vv. 11-18 et vv. 19-28. Ces trois parties nous décrivent les attaques menées contre le juste. Ce sont comme trois assauts, comme trois vagues successives qui viennent se briser sur le psalmiste. Deux mots ou expressions du Ps 35 renvoient explicitement au Ps 34. Il s’agit, d’abord, de l’expression des vv. 5 et 6 « l’ange de Yahvé », en hébreu mal’ak-yhwh, que l’on ne retrouve qu’une seule fois dans tout le Psautier en Ps 34,8. L’autre mot est « lionceaux/jeunes fauves », en hébreu kepîrîm, que l’on peut aussi comprendre comme voulant dire « impies », que nous trouvons en Ps 35,17 et en Ps 34,11.

vv. 1-10 : ces versets parlent d’une attaque physique avec des termes qui proviennent de la guerre (v. 1 : assaillants ; v. 2 : armure et bouclier ; v. 3 : la lance et la pique) ou de la chasse (v. 7 : ils m’ont tendu leur filet ; v. 8 : dans la fosse, ils tomberont).

Nous pouvons y distinguer trois sous-parties : vv. 1-3 ; vv. 4-8 et vv. 9-10. Dans les vv. 1-3, tout est à la deuxième personne, il s’agit d’un cri, d’un appel vers Yahvé pour qu’Il réagisse. Puis, dans les vv. 4-8, tous les sujets sont à la troisième personne, nous y trouvons une description des assaillants. Enfin, aux vv. 9-10, nous avons la première personne du psalmiste qui peut dire « mon âme » ; « mes os ».

Le Ps 35 commence avec les vv. 1-3 par une série d’impératifs : « accuse » ; « assaille » ; « prends » ; « brandis » ; « dis ». Ils sont là pour signifier l’urgence de la situation. Il est absolument nécessaire que Dieu agisse pour le psalmiste, et très vite. Afin que son message soit bien compris de Yahvé, le juste n’hésite pas, au v. 1, à redoubler le verbe à l’impératif par un nom commun de la même famille : « accuse…mes accusateurs » ; « assaille mes assaillants ». Cette répétition a pour effet d’accentuer encore le sentiment d’urgence, c’est un appel au secours qui est livré.

Le v. 2 par l’emploi des mots « armure et bouclier » utilise l’image de la guerre pour signifier que Yahvé doit désormais se lever et s’armer afin de venir défendre le juste. Au v. 3, Yahvé ne prend plus seulement l’armure et le bouclier qui sont des armes de défense, mais Il va se saisir et brandir des armes offensives que sont « la lance et la pique ». Il passe résolument à l’attaque pour défendre le juste persécuté.

Le v. 4 s’en prend à ceux qui veulent du mal au psalmiste. Dans les vv. 5 et 6, il est question de l’ange de Yahvé. En Ps 34,8, l’ange de Yahvé avait une action défensive. Son rôle consistait à protéger ceux qui craignent Dieu et à les délivrer de leurs ennemis : « Il campe, l’ange de Yahvé, autour de ceux qui le craignent, et il les dégage. » (Ps 34,8). Ici, l’ange de Yahvé à un rôle beaucoup plus agressif. Il pousse accusateurs et assaillants comme de la bale au vent ; il les poursuit afin que leur chemin devienne ténèbre et glissade. Au v. 3, le psalmiste appelait ses accusateurs « mes poursuivants ». Désormais, les choses sont inversées, ils sont eux-mêmes poursuivis par l’ange de Yahvé.

Avec le v. 7, nous passons des images liées à la guerre à des images liées à la chasse (« ils m’ont tendu leur filet, creusé pour moi une fosse »). Le psalmiste est comme un animal traqué. Il risque à tout moment d’être pris dans les filets de ses ennemis ou de tomber dans le trou qu’ils ont creusé. Avec le v. 8, nous retrouvons la même idée d’un renversement que nous avons déjà vu entre les vv. 3 et 6. Ce sont les assaillants qui, sans doute grâce à l’intervention efficace de Yahvé, vont se retrouver pris dans le filet ou bien vont-ils tomber dans la fosse.

Nous trouvons, au v. 9, pour la première fois dans le Ps 35, une première personne et aussi un sentiment de joie. Le psalmiste utilise, dans un discours indirect, la première personne du singulier pour dire quelle serait sa joie de voir que le Seigneur a entendu son appel et a agi pour le sauver. Au v. 3, le juste disait à Dieu « dis à mon âme : « C’est moi ton salut. » ». Si la prière du psalmiste est exaucée, alors son âme jubilera dans le salut de Yahvé.

Après l’âme au v. 9, ce sont, au v. 10, les os du juste qui parleront. Si l’âme représente l’intériorité de la personne et si les os renvoient à son extériorité, c’est bien la personne dans son entier qui fera cette expérience de salut. Toutefois, l’âme a la capacité de s’échapper du filet ou de la fosse par elle-même, tandis que le corps, ici les os, fera l’expérience, très concrète, d’être délivré du filet ou de la fosse. La question « Yahvé qui est comme toi ? » montre que Yahvé est incomparable. On ne peut le comparer à rien d’autres, et surtout pas aux autres dieux, si nous nous plaçons dans le contexte polythéiste du Proche-Orient ancien (cf. Ex 15,11 : « Qui est comme toi parmi les dieux, Yahvé ? Qui est comme toi illustre en sainteté, redoutable en exploits, artisan de merveilles ? »).

vv. 11-18 : dans ces versets, l’attaque se fait plus personnelle (v. 11 : on me questionne ; v. 15 : ils s’attroupent contre moi ; v. 16 : ils grincent des dents contre moi). Au v. 11, les attaques des assaillants se font plus précises. Ils vont porter de faux témoignages contre le psalmiste. On pense ici à Jésus qui, lors de sa Passion, a dû subir les attaques de faux témoins (cf. Mt 26,60). Ils se dressent comme on se lève au tribunal pour s’avancer vers le juge, mais au lieu de dire la vérité, ils vont mentir. Le v. 12 nous dit que le suppliant cherche toujours à faire le bien dans sa vie, mais en retour il reçoit le mal de ses assaillants. L’attitude de ses ennemis l’accable profondément et sa vie devient stérile, en hébreu shekôl, littéralement « privation d’enfants » qui est la conséquence de la guerre comme en Is 47,8-9. Ce mot forme un lien avec la première partie où nous avons trouvé l’image de la guerre.

Le contraste entre le psalmiste et ses assaillants est encore plus saisissant au v. 13. Alors que ces derniers sont tombés malades, le juste, pris de compassion pour ses ennemis, va se revêtir d’un sac, geste symbolique traditionnel dans la Bible hébraïque pour décrire la pénitence. On pense encore à Jésus qui enseigne à ses disciples l’amour des ennemis (cf. Mt 5,44). Nous pouvons comprendre que Dieu a déjà agi en faveur de son juste en accablant ses accusateurs de maladies. Les attaquants d’autrefois sont désormais eux-mêmes attaqués par la maladie. Le v. 14 nous dit que le psalmiste est affligé comme si sa mère venait de mourir. On voit jusqu’où va sa compassion. Au début du psaume, il n’allait pas bien à cause des attaques de ses ennemis. Maintenant, il ne va pas bien car ses ennemis sont malades.

Malgré tout cela, les assaillants se moquent du psalmiste, continuent de l’attaquer et vont s’attrouper contre lui (cf. vv. 15-16). On retrouve ici l’image de la chasse de la première partie. Le juste est comme un animal qui voit les chasseurs s’attrouper tout autour de lui. Cette deuxième partie se termine par un appel vers Dieu au v. 17 et l’anticipation d’une action de grâce au v. 18.

vv. 19-28 : ces versets parlent de fausses accusations qui sont faites à l’encontre du psalmiste (v. 20 : ils ruminent de perfides paroles ; v. 21 : la bouche large ouverte contre moi). Il y a tout un jeu autour des yeux et de la bouche (cf. vv. 20-22). Les attaquants mentaient. Ils disaient avoir vu de leurs yeux certaines choses et ils ouvraient la bouche pour proférer des mensonges. Dieu a vu réellement des choses, Il se doit de parler, Il ne doit plus se taire, Il doit ouvrir la bouche pour justifier le psalmiste.

Aux vv. 22-24, l’appel vers Dieu est très fort car on y trouve trois invocations différentes : « Yahvé » et « Seigneur » au v. 22 ; « Seigneur mon Dieu » au v. 23 ; « Yahvé mon Dieu » au v. 24. Nous sommes frappés, au v. 24, par la familiarité avec laquelle le psalmiste parle à son Dieu : « réveille-toi, lève-toi ». La vigueur de cette interpellation, qui vient des impératifs, est renforcée par les sonorités en hébreu : haʽîrâ wehaqîtsa.

Le v. 26 présente les deux demandes du psalmiste envers Yahvé. Les assaillants doivent connaître la honte et le déshonneur. Ils doivent se vêtir de honte et de confusion. Ce sont deux demandes positives dans le contenu mais négatives dans leur signification. Nous retrouvons des mots comme « honte et déshonneur » que nous avions au v. 4. Au v. 13, le psalmiste s’était couvert d’un sac, au v. 26, les ennemis doivent se couvrir de honte et de confusion. On pourrait être gêné par ce désir de vengeance et se demander où est l’amour des ennemis que nous avions au v. 13 ? N’y a-t-il pas de place pour le pardon ? Il semble que pour le psalmiste, il est important de voir ses assaillants couverts de honte. C’est une façon de montrer que Dieu a vu, que Dieu a écouté sa prière et qu’Il a agi pour le libérer. La communauté alors pourra dire « Grand est Yahvé que réjouit la paix de son serviteur ! » (cf. v. 27).

 

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