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Le psalmiste,

Responsable de la chronique : Michel Gourgues, o.p.
Le psalmiste

Psaume 8 : Regard sur la création

Imprimer Par Hervé Tremblay, o.p.

Mont Oyama vu du col de Kagikake-Toge, Japon

 

PSAUME 8

02 Ô Seigneur, notre Dieu, qu’il est grand ton nom par toute la terre ! Jusqu’aux cieux, ta splendeur est chantée
03 par la bouche des enfants, des tout-petits : rempart que tu opposes à l’adversaire, où l’ennemi se brise en sa révolte.
04 A voir ton ciel, ouvrage de tes doigts, la lune et les étoiles que tu fixas,
05 qu’est-ce que l’homme pour que tu penses à lui, le fils d’un homme, que tu en prennes souci ?
06 Tu l’as voulu un peu moindre qu’un dieu, le couronnant de gloire et d’honneur ;
07 tu l’établis sur les oeuvres de tes mains, tu mets toute chose à ses pieds :
08 les troupeaux de boeufs et de brebis, et même les bêtes sauvages,
09 les oiseaux du ciel et les poissons de la mer, tout ce qui va son chemin dans les eaux.
10 R/ O Seigneur, notre Dieu, qu’il est grand ton nom par toute la terre !


Qui donc ne s’est jamais senti petit en contemplant la voûte étoilé une nuit où le ciel est limpide ? C’est aussi l’expérience et la méditation de l’auteur du Psaume 8.

Texte

• La fin du v.2 est difficile et n’a pas beaucoup de sens en hébreu. Le grec a traduit : « Parce que ta magnificence a été exaltée au-dessus des cieux ». L’araméen et le latin : « Parce que tu as placé ta splendeur au-dessus des cieux ». La liturgie a traduit : « Jusqu’aux cieux, ta splendeur est chantée ». Une chose semble certaine : si on s’en tient au genre littéraire, ce verset devrait être un invitatoire, une incitation à la louange, auquel cas il faudrait traduire : « Que ta majesté soit chantée par-dessus les cieux ».
• Au v.3a, l’hébreu est difficile : « par ( ?), loin de ( ?), plus que ( ?) la bouche des enfants… ». Le grec a traduit « De la bouche des petits enfants et des nourrissons, tu t’es préparé une louange ».
• Au v.6, au lieu de « Tu l’as voulu un peu moindre qu’un dieu », les anciennes traductions ont : « Tu l’abaissas quelque peu par rapport aux anges », ce qui reflète une théologie plus élaborée qui sera reprise dans He 2,5-9.

Genre littéraire

Le Ps 8 est classé parmi les hymnes. Le genre hymnique se rencontre à travers toute la Bible, par exemple, le chant de Miryam après la traversée de la mer (Ex 15), le cantique de Débora après la victoire (Jg 5), le Benedictus et le Magnificat (Lc 1). Dans le psautier, appartiennent aussi à ce genre les Ps 19, 29, 33, 67, 92, 100, 103, 104, 111, 113-115, 117, 136, 139, 145, 147-150. Ce qui caractérise l’hymne, c’est le ton de louange plus ou moins désintéressée. Il n’y a pas de demande ; l’hymne est centrée sur Dieu, sur ses merveilles, sur la création ; les verbes sont au présent, exprimant l’action continue de Dieu. Le Ps 8 fait partie des hymnes cosmiques avec les psaumes 19, 29 et 104, c’est-à-dire que le psalmiste loue Dieu pour sa création, mais il a ceci de particulier qu’il met en contraste la nature finie de l’homme avec la majesté infinie de Dieu.

• Structure des hymnes : 1) invitation à louer Dieu ; 2) motifs de cette louange ; 3) développements ; 4) conclusion : reprise de l’introduction, bénédiction, vœux. Tout le monde convient ici de la structure chiastique de l’ensemble. Le refrain, au début et à la fin, exprime l’idée principale du psaume. L’idée secondaire se trouve à la pointe du psaume, ici le v.5. Le psaume est structuré par un triple mah « que » qui, aux v.2 et 10 encadrent le morceau et signifient une exclamation, alors qu’au centre (v.5) il signifie une question.

Commentaire

• v.1 Le titre du psaume : « Du chef de chœur » est commun à plus d’une cinquantaine de psaumes (cf. Ps 4-6 ; 9 ; 11-14 ; 18-22, etc.) même si son sens exact n’est pas certain. « Sur la guittith » est un mot inconnu qu’on rencontre aussi pour les Ps 81 et 84, dans lequel on a vu soit un instrument de musique de la ville philistine de Gath (mélodie d’origine philistine ?), soit un chant de vendange et de pressoir, d’après le mot hébreu gat (cf. Gethsémani « Pressoir à olives » Mt 26,36-56// ; Lc 22,40 ; Jn 18,1-2).

• v. 2 Refrain repris au début et à la fin. Le psalmiste salue avec enthousiasme Dieu, le maître de toute chose de qui viennent tous les êtres. Dieu est glorifié « par toute la terre » ; en effet, ses oeuvres sont visibles partout et, en conséquence, le message de Dieu résonne dans tous les coins de la terre (cf. Ps 19 ; Rm 1, 18-23). En plus, ce Dieu est « notre » Dieu.

« Qu’il est grand ton nom ». Pour les anciens, le nom exprime l’être même : l’origine (Gn 2,7.23), le comportement (1 S 25,25), la mission (Jg 6,12), le destin (Ex 2,10) de quelqu’un. Donner un nom, c’est faire exister (Gn 2,19) ; connaître le nom permet d’exercer un pouvoir (Gn 32,28-30 ; Mc 1,24) ; changer le nom de quelqu’un c’est avoir autorité sur lui (2 R 23,34). Il en va de même pour Dieu. Le nom mystérieux et inaccessible de Dieu (YHWH), c’est Dieu lui-même avec sa gloire, sa puissance. Le nom divin permet au croyant qui le prononce de participer à la gloire et à la puissance de YHWH. Le Nouveau Testament s’exprime dans les mêmes termes au sujet du nom de Jésus (Ph 2,9-11).

• v.2-4 Les astres fascinent les humains depuis toujours ! Astrologues, poètes et astronomes s’y intéressent. Le psalmiste aussi s’extasie à la vue du ciel la nuit. On peut se demander comment le psalmiste, ou l’univers même, peut chanter la majesté de Dieu « de la bouche » des bébés encore incapables de parler. On a essayé de répondre de manières diverses : devant la majesté de Dieu, le psalmiste ne peut que balbutier (cf. Sg 10,21). Peut-être le psalmiste prête-t-il une bouche aux étoiles et aux astres pour leur permettre de rendre témoignage au créateur.

Dieu s’est construit un rempart ou une forteresse dans les cieux pour se protéger de ses ennemis. Il s’agit sans doute du firmament qui, comme son nom l’indique, était considéré une espèce de plaque « ferme » et solide. Les ennemis de Dieu peuvent être ses adversaires mythiques et cosmiques (cf. Ps 74,12-15 ; 77,14-18 ; 89,10-13 ; Jb 7,12 ; 26,12 ; Is 51,9-10) vaincus lors de la création et qui chercheraient à réinstaller le chaos primordial.

• v.5 Le psalmiste n’est pas encore au bout de son émerveillement ; il s’étonne et s’émerveille que Dieu tienne compte et prenne soin des pauvres humains. Les mots choisis pour désigner l’humain impliquent l’idée de fragilité, d’existence éphémère, de mortalité. Quant aux deux verbes qui expriment l’action de Dieu, « penser à lui » ou « se souvenir » évoque toute l’histoire du salut, tandis que « visiter » signifie « prendre souci, s’occuper de ».

• v.6 « un peu moindre qu’un dieu » (cf. Ps 58,2 ; 82,6 ; 89,7). Le mot Élohim serait mieux traduit par un pluriel « des dieux » et désignerait ici les astres plutôt que Dieu lui-même (cf. Jb 1,6 ; Ps 29,1).

• v.7-9 La domination de l’être humain. Le monarque de l’Antiquité croyait s’assurer comme par magie la domination sur ses ennemis par la mise sous ses pieds de leur effigie ou de leur nom (cf. Jos 10,24 ; 1 S 17,51 ; 1 R 5,17 ; Ps 47,4 ; 110,1). L’action de fouler aux pieds symbolisait efficacement la mort des ennemis. La présence étrange des « adversaires » (v.3b) dans un hymne si calme, signifierait que, de même que Dieu exerce une domination universelle sur ses adversaires, ainsi l’homme exerce-t-il une domination universelle sur les vivants, même sur les animaux qui pourraient se transformer en adversaires. On reconnaît dans l’énumération du v.8 les trois domaines dont parle le récit de Gn 1,28-30 pour souligner l’universalité de la seigneurie humaine sous le ciel : les animaux sur la terre, les oiseaux au ciel, les poissons dans la mer. Cette dignité royale n’est pas le privilège de quelque grand personnage, mais elle incombe à tous les humains.

Enseignement

C’est un hymne à YHWH créateur qui associe l’homme à sa gloire royale. Le psaume met d’abord en lumière transcendance de YHWH : le firmament, telle une muraille fortifiée, le met à l’abri des forces du mal, cosmiques ou humaines ; ensuite, son rôle créateur aussi bien dans le monde inaccessible des puissances astrales qu’au niveau de l’habitat naturel de l’homme. On chante aussi la relation privilégiée de Dieu avec les humains, exprimée par un triple thème : souvenir (v.5a), prendre en charge (v.5b) et exaltation (v.6b-9). L’être humain se trouve hautement valorisé, mais toujours au rang de subalterne. Sa royauté ne lui vient pas de sa nature fragile et mortelle, elle est un don de Dieu. L’homme est grand parce que le Dieu qui s’occupe de lui et lui a confié sa mission est grand. Cette façon de voir est proche de textes comme Gn 1,1–2,4a et 9,1-17 et exprime un courant tardif et minoritaire dans la Bible (cf. des textes plus tardifs comme (cf. Sg 9,2-3 ; 10,2 ; Si 17,2-4). Peut-être le psaume a-t-il été écrit à la même époque, au temps de l’exil à Babylone (5e siècle avant Jésus-Christ). Cette méditation sur l’homme est un thème qui se rencontre peu souvent dans la Bible (Ps 144,3 ; Jb 7 ; 38 ; Is 11,6-8 ; 65,25).

Le psaume dresse donc un parallèle entre YHWH-roi, siégeant au-dessus des créatures stables et l’homme-roi siégeant au milieu des créatures transitoires. La dignité de Dieu s’exerce au-dessus des cieux qu’il a faits et des astres, alors que la dignité royale de l’homme s’exerce parmi les être vivants que Dieu a faits. Autrement dit, Dieu vit au-dessus des créatures astrales qu’il domine et soumet, alors que l’homme vit au milieu des créatures vivantes qu’il domine et que Dieu soumet à lui. Il y a une démarcation très nette entre la royauté du Dieu suzerain et la royauté de l’homme vassal.

Citations dans le Nouveau Testament

Ce psaume faisait partie des écritures messianiques de l’Église primitive, surtout à cause du v.5 qui parle du Fils de l’homme couronné de gloire et d’honneur.

• Ps 8,3 est cité en Mt 21,16. Lors de son entrée messianique à Jérusalem, Jésus est acclamé par les foules, dans laquelle il y a des enfants (Mt 21,15). Devant l’indignation des grands prêtres et des scribes, Jésus cite ce verset du Ps 8 dans sa version grecque.

• Ps 8,5-7 (selon le grec) est cité en Hb 2,6-8 au sujet du monde à venir soumis non pas à des anges mais à Jésus Christ. La dernière partie (Ps 8,7) est aussi cité dans un contexte semblable en 1 Co 15,27 et Ep 1,22.

Dans la liturgie

Dans la Liturgie des Heures, on prie ce psaume les 2e et 4e samedis à l’office du matin. Dans la liturgie eucharistique, pour la fête de la Trinité de l’année C en réponse à Pr 8,22-31 ; le jeudi dans l’octave de Pâques, en réponse à Ac 3,11-26 ; le 1er mardi du temps ordinaire, en réponse à He 2,5-12 ; le 5e mardi, en réponse à Gn 1,20–2,4a ; le 28e samedi, en réponse à Ep 1,15-23. La liturgie appliquait aussi ce psaume à la fête des Saints Innocents, le 28 décembre (cf. Mt 2,13-18), qui, avant de pouvoir parler, ont chanté la louange du Seigneur.

Relecture contemporaine

On pense tout de suite à l’aspect écologique. À l’heure où on prend conscience des limites et des manques de l’administration royale de l’homme vis-à-vis de l’univers créé, le Ps 8 prend un relief nouveau. Mis sous les pieds d’un gérant trop souvent malhonnête, exploiteur et gaspilleur, l’environnement donne des signes d’essoufflement et de ruine. L’homme est invité à redécouvrir que son leadership est un don et un appel.

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