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Cinéma d'aujourd'hui,

Responsable de la chronique : Gilles Leblanc
Cinéma d'aujourd'hui

Soleil de plomb, de Dalibor Matanic ; Midnight Special, de Jeff Nichols

Imprimer Par Patrick Bittar

Soleil de plomb, de Dalibor Matanic

Au delà de l’Histoire

Un jeune couple d’amoureux folâtre au bord d’un lac paradisiaque de la campagne yougoslave, sous un soleil radieux. Jelena et Ivan ont prévu de partir tenter leur chance à Zagreb le lendemain. Mais pendant qu’ils s’ébattent, des troupes prennent position dans les bourgades environnantes, et des barrages de miliciens armés s’installent sur les routes qui relient les villages serbes et croates. Nous sommes en 1991, et c’est le début du premier – le plus tendu, le plus tragique – des trois volets de Soleil de plomb. Chaque volet raconte une histoire d’amour contrariée entre une Serbe et un Croate, dans cette même région de Dalmatie, en été, à dix ans d’intervalle : en 1991, juste avant les premiers combats qui vont faire imploser le pays ; en 2001, juste après les derniers conflits en Macédoine ; et en 2011, quand la région est (re)devenue une destination touristique prisée. Jelena et Ivan, Natasa et Ante, Marija et Luka sont à chaque fois interprétés (avec justesse) par les mêmes acteurs, Tihana Lazovic et Goran Markovic.

Ce choix formel du réalisateur Dalibor Matanic est vraiment bien exploité. D’une histoire à l’autre, les deux comédiens conservent forcément leur âge et leur tempérament, mais ils sont aussi chargés du vécu de leurs personnages précédents, à la fois du fait d’une rémanence automatique chez le spectateur, et d’une subtile résonnance scénaristique d’éléments des récits.

C’est surtout le contexte qui change en vingt ans : dans la première histoire, les tourtereaux vivent dans un rapport direct avec la nature, et leur naïveté va se briser avec la fracture ethnique de leurs communautés ; dans la dernière histoire, s’ajoute une perturbation d’un autre ordre : l’intrusion d’un mode de vie urbain hédoniste, à base de techno-coke-sexe et bains de minuit.

Les scènes qui débutent chaque segment, en assurant la transition, sont particulièrement réussies. En 2001 par exemple, une succession de plans sur les ruines criblées de maisons campagnardes en dit long sur l’effroyable décennie qui a précédé. Chacun des courts-métrages dure environ quarante minutes, et Dalibor Matanic prend son temps (parfois un peu trop) pour montrer l’apprivoisement amoureux en dépit des ressentiments communautaires et personnels. Il sait ménager des respirations en offrant des plans sur des objets de l’intimité des familles ou sur les paysages, depuis les intérieurs modestes, dans la lumière dorée de l’été.

Malgré ses qualités et son prix à Cannes l’année dernière dans la section « Un certain regard », Soleil de plomb risque de passer inaperçu face à … Batman V Superman.

Midnight Special, de Jeff Nichols

Fausse route

Deux hommes armés en cavale au Texas dans une Chevrolet. A l’arrière : un garçon de huit ans, portant des lunettes de natation bleues. Il s’appelle Alton et c’est lui l’objet de la traque.

Quand vient la nuit, Alton retire ses lunettes pour lire une BD, tandis que Lucas, le conducteur, met des lunettes infrarouge et roule à toute allure, phares éteints. A ses côtés, son ami d’enfance Roy, le père d’Alton, les guide vers un lieu énigmatique. Ils sont pourchassés par les sbires d’une secte et les agents du gouvernement (la totale : police / armée / FBI / NSA) : les premiers voient en Alton un messie salvateur, les seconds une arme dangereuse. Il faut dire que des sortes de rayons laser sortent inopinément des yeux de l’enfant, que son cerveau capte les ondes radio et qu’il fait tomber les satellites lorsqu’ils deviennent un peu trop fouineurs…

Dans Midnight Special comme dans ses deux films précédents – Take Shelter et Mud -, Jeff Nichols sait installer le mystère et ne l’éclaircir que progressivement, au fil des évènements. On retrouve également la figure paternelle (Michael Shannon, acteur fétiche de Nichols), isolée, marginale, en fuite, seule contre tous, contre la logique et le sens commun ; sa composante prophétique est ici transférée au fils, prescient malgré lui d’un événement imminent à portée universelle.

Mais cette fois, ça ne tient pas la route : Midnight Special démarre comme un film de poursuites tendance thriller millénariste, emprunte la voie du fantastique, bifurque vers le drame psychologique (l’histoire de parents contraints de faire une confiance aveugle à leur enfant) et aboutit au film de science-fiction. Aucune de ces pistes n’est vraiment exploitée et le scénario laisse de nombreuses portes entrebâillées.

Les petites touches de néo-spiritualisme n’arrangent rien : le « réconfort » que procure un face-à-face avec l’enfant au regard laser, la lumière de l’au-delà, forcément intense, les aliens qui nous « surveillent ». Et la séquence finale de révélation fugace de « l’autre monde » témoigne d’un imaginaire pauvre et publicitaire, aussi décevant que celui qui gâchait la fin de A Tree of Life, de Terrence Malick. Quant aux personnages, ils ne sont pas attachants, et on ne croit pas à la famille composée par le gamin (glacial), Michael Shannon (toujours aussi marmoréen) et Kirsten Dunst (ennuyeuse comme dans les films de Sofia Coppola).

Patrick Bittar, Paris
réalisateur de films


[1] Voir la chronique in choisir n° 642, juin 2013.

[2] Avec comme source d’inspiration déclarée, Rencontres du 3e type (1977), de Steven Spielberg.

[3] Le titre fait probablement référence à une chanson folk née dans les années 20 dans une prison du Sud et à son refrain : « Let the midnight special shine her light on me. »


Cette chronique est présentée en collaboration avec la revue Choisir, une revue culturelle ouverte et d’inspiration chrétienne de la Suisse Romande.

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