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Cinéma d'aujourd'hui,

Responsable de la chronique : Gilles Leblanc
Cinéma d'aujourd'hui

Queen and Country, de John Boorman; Adieu au langage, de Jean-Luc Godard

Imprimer Par Patrick Bittar

Ce mois-ci, j’ai choisi d’aller voir les derniers films de deux figures du cinéma mondial : le Franco-suisse Jean-Luc Godard (84 ans) et l’Anglais John Boorman (81 ans). Quand « dernier » signifie aussi « ultime », il est difficile pour le chroniqueur d’éviter la diachronie. Disons simplement que Queen and Country est une œuvre autobiographique de Boorman, réalisateur de grands films comme Delivrance (1972) ou The General (1998).

Queen and Country, de John Boorman

En 1952, Bill Rohan a terminé sa scolarité (chez les Pères jésuites !). Il vit avec sa famille sur la petite île du Pharaon, à une heure de Londres : lieu magique, au bord de la Tamise, où sa mère est venue se réfugier en 1943, après que le Blitz (1) ait détruit leur foyer. On y accède par barque, sous de majestueux saules pleureurs. Les équipes des studios de cinéma de Shepperton viennent y tourner des scènes aquatiques.

Bill, qui doit deux années de service militaire à son pays, quitte cet Eden et se retrouve dans un camp d’entraînement pour soldats anglais en partance pour la Corée. Il sympathise immédiatement avec Percy, cinéphile comme lui. Nommés instructeurs, les deux copains sont supposés enseigner la dactylo aux recrues, sous la surveillance d’un sergent-major psychorigide. Le récit se focalise sur les rapports conflictuels des deux sous-officiers avec leurs supérieurs, leurs blagues avec les bidasses, leurs combines avec le planqué du régiment, leurs retrouvailles familiales pendant les permissions, et leurs flirts lors des sorties.

Durant un concert, Bill tombe amoureux d’une nuque. « Oublie l’impossible, prends ce qu’il y a à prendre », lui chuchote Percy en lorgnant deux infirmières qui minaudent. Mais Bill n’oublie pas l’impossible : poursuivant la nuque, il découvre une aristocrate de 24 ans, dépressive, qui vit une histoire malheureuse avec son tuteur à Oxford, où elle étudie la philosophie. « Je te sauverai », lui déclare le puceau. Mais elle dit préférer être enlevée, capturée, plutôt que céder à la gentillesse.

Bill/John épousera une infirmière… « et j’ai toujours songé à l’autre », confie aujourd’hui le réalisateur. Souvenirs d’amours … et de trahisons amicales et familiales. Comme le racontait en 1987 un autre film autobiographique, Hope and Glory, lorsque Bill/John avait 9 ans, sa mère eut une liaison alors que son père était au front : « La trahison est liée à ma culpabilité enfantine face à cette liaison. La taire ou la dire me faisait également traître. »

Queen and Country est un film tendre et léger, mais parfois un peu lâche au niveau du scénario et de la direction d’acteurs (Caleb Landry Jones, qui joue Percy, en fait trop en « chien fou »). Un film d’adieu en mode mineur.

Adieu au langage, de Jean-Luc Godard

L’art de la rupture

Adulé depuis un demi-siècle, God Art, le trublion de l’audiovisuel, m’a toujours paru enfermé dans une posture devenue imposture. J’ai pourtant été médusé par son Adieu au langage. Le vieux briscard s’amuse avec l’image et le son comme un gamin surdoué. De la 3D, il fait un usage inédit, le plus pertinent à ce jour. Comment ne pas souscrire à sa remarque malicieuse : « Regardez ce prix donné à Cannes, à moi et à Xavier Dolan (2) que je ne connais pas. Ils ont réuni un vieux metteur en scène qui fait un jeune film avec un jeune metteur en scène qui fait un film ancien. »

Adieu au langage a été tourné chez Godard à Rolle et au bord du lac Léman à Nyon, avec deux iPhones, deux techniciens, un banc sous un arbre, un chien, une forêt… Pour capter notre attention, l’adepte de la contradiction systématique manie avec art la rupture. Quelques mesures du deuxième mouvement de la 7e symphonie de Beethoven apportent parfois un souffle tragique au collage d’extraits de films, d’archives historiques, de bricolages théâtraux.

Deux couples alternent et se confondent au fil des scènes, mais on ne s’intéresse pas plus aux protagonistes que le cinéaste. C’est la poésie, la beauté et l’originalité des images et des sons (le langage ?) qui fascine. A quoi sert la fiction, si ce n’est à redire le monde ? Parfois, dans le texte confus composé d’un patchwork de citations (Darwin, Saint-Just, Beckett, Sartre, Badiou…), quelque chose résonne. « Commençons par le commencement. L’expérience intérieure est désormais interdite par la société en général et par le spectacle en particulier » (Sollers). « Adieu, adieu. Je ne veux pas vous quitter. Je ne peux pas vous reprendre. Je ne veux rien, rien. J’ai les genoux par terre et les reins brisés » (Musset à Georges Sand). « Vous me dégoûtez tous avec votre bonheur. La vie qu’il faut aimer coûte que coûte. Moi je suis là pour autre chose. Je suis là pour vous dire non et pour mourir » (Antigone, de Anouilh).

Pour Godard, si « le face-à-face invente le langage », sa disparition, avec les technologies numériques, anéantit la parole. Il évoque les analyses visionnaires de Jacques Ellul sur la société technicienne, sans citer cette déclaration de 1981 : « C’est avec l’appui de la révélation du Dieu biblique que l’homme peut retrouver une lucidité, un courage et une espérance qui lui permettent d’intervenir sur la technique. Sans cela, il ne peut que se laisser aller au désespoir. » Adieu au langage s’achève sur des aboiements, des vagissements … et un indistinct « Malbrough s’en va-t’en guerre. Ne sait quand reviendra ».

1. Bombardement du Royaume-Uni par la Luftwaffe en 1940-41.

2. 25 ans. Il a reçu le Prix du Jury à Cannes pour Mommy.

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Cette chronique est présentée en collaboration avec la revue Choisir, une revue culturelle ouverte et d’inspiration chrétienne de la Suisse Romande.

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