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Méditation chrétienne,

Responsable de la chronique : Nicolas Burle, o.p.
Méditation chrétienne

Proclamer sa foi : confiance et obéissance

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Pierre Claverie est né à Alger de parents nés en Algérie. Après des études universitaires en sciences, il entre dans l’ordre des Dominicains en 1958. Ordonné prêtre en 1965, il poursuit des études de philosophie et de théologie. De retour à Alger en 1967, il se consacre à l’étude de la langue et de la civilisation arabes de l’islam et exerce divers ministères. Il est ordonné évêque d’Oran en 1981. Le 1er août 1996, il est assassiné à l’Évêché d’Oran. Il était conscient de s’être donné à l’Algérie et au peuple algérien « avec lequel, disait-il, nous lie une alliance d’amitié que rien, même la mort, ne pourra briser». En cela il voulait être disciple du Christ, pour qui le choix du « plus grand amour » fut de « donner sa vie ».

« Après l’écoute de la Parole vient le moment de l’engagement »; nous sommes invités à proclamer notre foi. Mais qu’est la foi ?

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Après l’écoute de la Parole vient le moment de l’engagement, de la conversion qui ouvre la porte de l’offrande et de la Pâque de Jésus-Christ. Là encore prenons garde de ne proclamer une foi [que] du bout des lèvres et sans engagement profond; prenons garde aussi de ne répéter qu’une leçon apprise et débitée par des générations de chrétiens sans qu’ ils en retirent une conviction et l’abandon qui est la caractéristique de la foi.

La foi est notre réponse à l’appel de l’amour de Dieu. Elle est le mouvement par lequel tout notre être s’abandonne, se décrispe et se confie, à celui dans lequel on a éprouvé un amour plus fort que la mort. C’est ainsi que des hommes et des femmes se jettent hors de leurs sentiers battus pour suivre la voie de celui qui a ouvert devant eux la voie du Royaume. Prêts à abandonner leurs biens, à ne plus adorer leurs idoles, à ne plus chercher leur intérêt, ils se confient tout entiers à la Parole de Dieu. Abraham mais aussi Moïse et Pierre et, de manière plus modeste, chacun d’entre nous. Croire c’est donc d’abord l’élan de confiance qui nous porte à miser notre vie sur Dieu – et pour nous, sur Jésus-Christ. C’est ce que nous voyons dans l’Évangile : avant même de prononcer le nom de Dieu, avant de réciter un Credo orthodoxe, avant de reconnaître la divinité de Jésus, ceux qui le rencontrent éprouvent une telle confiance qu’ils se jettent vers lui, malgré leur handicap (aveugles), le respect humain (on les rabroue : Zachée), le jugement des autres (Marie la prostituée), les rebuffades même de Jésus (la Syro-Phénicienne). Ils sortent d’eux-mêmes, attirés par cette force qui émane de Jésus.

Et cette force est la force même de l’amour qui s’exprime elle aussi par une incommensurable confiance faite à l’homme par Dieu. Le Créateur suscite les meilleures ressources de sa créature en lui ouvrant le sillon où il pourra déverser le meilleur de lui-même. Nous sommes loin d’une conception pharisienne ou légaliste de la religion. Et Paul oppose avec raison l’attitude de l’homme qui cherche sa justice dans la Loi et celui qui cherche la justice de la foi. La Loi n’est pas mauvaise : elle aussi est un don de l’amour de Dieu pour aiguillonner l’homme et l’obliger, en reconnaissant son impuissance, à se dépasser et à s’abandonner à l’Auteur de la Loi. Malheureusement l’homme s’en sert comme d’une clôture et s’y enferme avec satisfaction. La foi est sortie de soi-même, abandon de soi à Dieu : elle constitue ce « pas hors de soi » qui conduit à Dieu, ce Dieu qui a ouvert les portes et frayé les voies par son amour prévenant.

La foi est donc une manière d’être. Et cette manière d’être, nous l’apprenons de Jésus-Christ. Elle va se préciser peu à peu dans l’expérience croyante au point de s’exprimer dans un Credo dont on vient de fêter l’élaboration à Nicée-Constantinople. Cette expression est importante, non parce qu’elle ajuste des théories ou des mots, mais parce qu’elle oriente la conduite des croyants : en disant le Credo nous devrions toujours essayer de comprendre le pourquoi des affirmations essentielles de la foi – car l’orthodoxie vient d’une orthopraxie et y conduit. L’Esprit de Dieu a inspiré aux disciples de Jésus d’agir de telle sorte qu’ils ont découvert qui était Dieu – et l’ayant contemplé, ils ont témoigné de cette connaissance dans la profession de foi.

Croire en Dieu Père, Fils et Esprit, n’est pas une simple spéculation intellectuelle de théologiens byzantins, vous le savez : confesser Dieu Un mais Un dans une triple relation d’amour, c’est considérer que toute vie est fondée sur une pareille relation de communion – c’est confesser que cette relation est créatrice. Ceux qui ont été saisis par Jésus, ce Jésus historique, avec son destin humble et tragique et sa puissance d’amour et de vie, ceux-là ont réalisé que cette vie avait une source. Saint Jean montre bien comment Jésus lui-même, tout en affirmant manifester Dieu (Qui m’a vu, a vu le Père), ne cesse de se référer à ce Père comme à sa source et à son achèvement. Il vient de lui, tout lui a été donné par lui et il a pour mission de tout conduire au Père. Nous pressentons qui est ce Père non en scrutant les images terrestres (N’appelez personne Père, vous n’avez qu’un seul Père) de la paternité, mais en regardant vivre son Fils. Son assurance, sa confiance, sa disponibilité, la gratuité de son amour universel, il les tient de l’amour de son Père : c’est là qu’il puise la force d’aimer et de se donner. Car ce Père-là n’est pas le tyran domestique qui ordonne, juge selon sa fantaisie toute-puissante : il est lui-même l’Amour, humble et créateur. Son projet est de communiquer à l’homme sa puissance de création et nous pouvons voir comment, en Jésus, ce projet s’accomplit sans briser la relation filiale (Toute-puissance ?)

Car croire au Fils c’est s’engager soi-même dans une relation filiale à la manière de Jésus. Cette relation est souvent caractérisée par l’obéissance : le mot est mauvais s’il évoque l’abdication de la volonté devant la Toute-Puissance arbitraire. Car il ne s’agit pas de cela : l’obéissance de Jésus se fonde sur la perception de l’Amour du Père, sur la confiance absolue en sa bonté : il veut le bien de sa création et il mettra tout en œuvre pour l’amener à son achèvement par la seule force de son amour et en réservant totalement la liberté de ceux auxquels il la confie. Cette confiance absolue permet à Jésus de s’abandonner même à la mort, car il est certain que, dans la mort même, Dieu portera la vie. À la manière de son Père, Jésus n’exercera aucune violence et sa puissance lui viendra de son extrême humilité et de son amour inconditionnel. Le suivre, c’est alors miser sa vie totalement sur la même puissance d’amour du Père et, dès lors, ne plus se replier sur soi-même : cette confiance pousse à la dépossession mais elle donne en même temps une grande liberté et un élan créateur. Liberté par rapport aux idoles et à la peur. Création parce que tout est à inventer et que Dieu ouvre sans cesse devant l’homme les chemins de l’amour.

Confesser l’Esprit créateur, unissant le Père et le Fils, donné aux hommes, c’est identiquement croire que le Fils et le Père nous font entrer dans cette relation de confiance et d’amour qui les unissent. La création tout entière est portée par ce Souffle qui « donne la Vie » : qui est la Vie même et qui habite ceux dont la vie se conforme à celle de Jésus. C’est lui qui fait sans cesse surgir la vie de toute mort et qui met toute chose en relation juste avec la source de la Vie : il est l’esprit de filiation et l’esprit de création et d’amour.

Notre confession de foi en ce Dieu trine ne s’achève pas là : elle se prolonge dans l’affirmation que l’Église des disciples du Christ est le lieu où s’accomplit le mystère de la création. Habités par l’Esprit, nous croyons que le baptême est le signe du passage de la mort à la vie, de la rupture à la réconciliation avec la source de la Vie, par notre abandon filial et la miséricorde de Dieu. Ceux qui ont accompli ce passage forment la communion des Saints (ou ont accès à la communion des Saints, i.e. l’Eucharistie), déjà en possession de la vie à venir. Car la résurrection et la vie sont à l’oeuvre dès maintenant en ceux qui aiment, comme le dit saint Jean, et qui, par là, sont passés de la mort à la vie.

Comme on le voit, chacun des articles de ce Credo engage une attitude concrète de notre part ou la suppose. On peut dire que, la première partie de la Messe qui va s’achever avec le Credo est comme une figure du baptême : le seuil du sacrifice qui va suivre. Commencée par la conversion (rappelez-vous l’ Asperges), elle se poursuit par l’écoute de l’Écriture et s’achève par la proclamation de la foi. Le passage se fait, de soi à Dieu par l’écoute de sa Parole d’amour : nous sommes alors disposés à partager le geste même de son Fils. Cette foi nous met dans l’attitude juste pour poursuivre l’action eucharistique.

Mais elle est aussi la source de notre comportement quotidien : nous avons reconnu l’amour et nous y avons cru, dit saint Jean. Cela signifie que nous misons notre vie sur l’amour tel que nous l’avons reconnu en Jésus-Christ. Nous croyons à la puissance de l’amour et à elle seule : cela signifie que nous rejetons tous les autres moyens de puissance – pouvoir et violence – et que nous mettons notre confiance dans le don de soi à en mourir. Cela signifie encore que la communion est au centre de nos vies et de la vie de toute la création : Dieu, qui est l’Être même, est relation et communion. Les êtres existent donc les uns par les autres, les uns pour les autres : chacun est indispensable au tout et à chacun des autres. Il n’y a pas de bienheureuse solitude : solitude et mort ne font qu’un.

Enfin, l’attitude de la foi est reprise par cet élément de notre vie religieuse qu’est l’obéissance. Plus qu’un vœu, c’est l’expression de notre foi en l’amour de Dieu. Pour être vécue en vérité, elle suppose donc que l’amour et la confiance lui soient intimement liés. Elle n’est pas obéissance aveugle à un pouvoir arbitraire mais elle s’inscrit dans la suite de Jésus-Christ et dans sa relation filiale avec le Père. Notre obéissance doit alors être rattachée à la volonté du Père, recherchée ensemble pour le bien de chacun et pour l’achèvement de la création, chacun à sa place et selon sa vocation propre.

 

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