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Le psalmiste,

Responsable de la chronique : Michel Gourgues, o.p.
Le psalmiste

Psaume 61 : « Au rocher trop haut pour moi, veuille me conduire »

Imprimer Par Michel Gourgues, o.p.

Psaume 61 (60 dans la liturgie)

« Au rocher trop haut pour moi, veuille me conduire »

2 Écoute, ô Dieu, mes cris,
sois attentif à ma prière.
3 Du bout de la terre vers toi j’appelle,
le cœur me manque.
Au rocher trop haut pour moi,
veuille me conduire.
4 Car tu es pour moi un abri,
un bastion devant l’ennemi.
5 Qu’à jamais je loge sous ta tente
et m’abrite au couvert de tes ailes !
6 Car toi, ô Dieu, tu écoutes mes vœux :
tu m’accordes le domaine de ceux qui craignent ton nom.
7 Aux jours du roi ajoute les jours ;
ses années : génération sur génération.
8 Qu’il trône à jamais devant la face de Dieu :
assigne Amour et Fidélité pour le garder.
9 Alors je jouerai sans fin pour ton nom,
accomplissant mes vœux jour après jour.

(Psautier de la Bible de Jérusalem)

Un psaume bref, dont la signification n’est pas toujours très claire.
Une chose du moins est sûre : ce psaume, à la différence d’autres, se présente d’un bout à l’autre comme une prière adressée à Dieu. Dans sa plus grande partie, aux versets 2 à 6 d’abord, puis en finale, au verset 9, il a le ton d’une prière personnelle en je-Tu, dans laquelle un croyant prie Dieu pour lui-même. Aux versets 7 et 8, le style change tout à coup et passe à la troisième personne. Non plus : fais ceci pour moi, mais : fais ceci pour le roi; non plus « devant ta face », mais « devant la face de Dieu ».

L’encadrement de la prière (versets 2-3 et 9)

Avant de formuler ses demandes, le priant commence par se situer devant Dieu (v. 2-3). Ainsi le supplie-t-il tout d’abord d’accueillir la prière qu’il s’apprête à formuler (v. 2). Ce préambule ressemble à celui d’autres psaumes. Pensons par exemple au début du psaume 5 : « Ma parole, écoute-la, Seigneur, discerne ma plainte, attentif à la voix de ma prière, ô mon roi et mon Dieu. » Voilà qu’au v. 3, l’adresse initiale se fait plus personnelle et laisse entrevoir quelque chose de l’expérience particulière à partir de laquelle le croyant lance son appel. Cet appel, précise-t-il, il l’adresse « du bout de la terre », plongé dans une situation difficile où son cœur défaille. L’expérience apparaît ainsi comme celle du déracinement, où un exilé se retrouve démuni face à ce qu’il a à vivre.

Une fois exprimée sa supplication et confiant d’être exaucé, le priant, à la fin du psaume (v. 9), fait part de sa résolution : il rendra grâce le reste de ses jours et il mettra à exécution les promesses qu’il a faites à Dieu.

« Toi, tu m’écoutes » (v. 3b-6)

Que demande-t-il exactement dans cette partie du psaume où il prie pour lui-même? Il faut lire entre les lignes et chercher à décoder les images qui se pressent tout au long de ces versets 3b-6.

Le plus clair, c’est qu’il attend de Dieu le secours et la sécurité. Ses images orientent toutes en ce sens : l’abri où l’on se réfugie; le bastion imprenable où l’on n’a rien à craindre (v. 4); la tente où l’on peut loger en sécurité; les ailes, comme celles de la mère protégeant ses oisillons (v. 5). Autant d’emprunts à une symbolique traditionnelle : « Lui te couvre de ses ailes, tu trouveras sous son pennage un refuge » (Ps 91,4); « A l’ombre de tes ailes je m’abrite tant que soit passé le fléau. » (Ps 57,2).

Et s’il fait ainsi appel à Dieu, c’est que ce croyant se sent dépourvu et impuissant à se sortir tout seul de la situation menaçante et périlleuse qu’il traverse. « Au rocher trop haut pour moi, veuille me conduire » (v. 3b) : n’est-ce pas ce qu’il exprime à travers cette image d’un objectif qu’il se sait incapable d’atteindre par lui-même? La mention de l’ennemi au verset suivant (v. 4) laisse entendre que l’insécurité et la détresse qu’il ressent découlent d’une adversité dont il ne saurait triompher par ses seuls moyens.

Est-ce une seconde demande qu’il formule ensuite aux versets 5 et 6? Ou bien est-ce la même demande qui, à travers l’image de la tente et des ailes protectrices, prolonge celles de l’abri et de la tour inexpugnable? Ou bien faut-il entendre en un sens réaliste la mention de la tente de Yahvé et comprendre que ce croyant exprime maintenant son désir de retrouver le Temple de Jérusalem, le lieu par excellence où le Dieu qu’il invoque a établi sa demeure? Cela rejoindrait la demande formulée dans un autre psaume : « Envoie ta lumière et ta vérité, qu’elles soient mon guide et me ramènent vers ta sainte montagne, au lieu de ta demeure. » (Ps 43,3) De la part d’un exilé, une telle requête se comprendrait parfaitement : rentrer chez lui, délivré d’un milieu hostile, et pouvoir exprimer à nouveau, dans les lieux accoutumés, sa relation à Dieu.

« Et pense aussi au roi » (v. 7-8)

Et c’est alors que surgit tout à coup la prière en faveur du roi. À vrai dire, la chose n’est pas inhabituelle. D’autres psaumes, en finale, intercèdent aussi pour le roi : « Seigneur, sauve le roi, réponds-nous au jour de notre appel » (Ps 20,9).

D’individuelle qu’elle était, la perspective se fait donc collective. Si vraiment cette prière date du temps de l’exil, cela n’aurait rien d’étonnant. Ce ne sont pas seulement les croyants individuels mais le peuple dans son ensemble avec ses institutions et l’organisation de sa vie collective que l’expérience de l’exil met à dure épreuve. L’avenir de la monarchie en particulier se révèle alors incertain.

Telle qu’elle est formulée, l’invocation en faveur du roi paraît faire écho à la promesse transmise jadis à David par le prophète Nathan : « Ta maison et ta royauté subsisteront pour toujours devant toi; ton trône sera affermi à jamais » (2 Samuel 7,7-8). « Qu’il trône à jamais », demande le psaume, accorde-lui de régner « de génération en génération ». C’est donc moins pour tel ou tel roi en particulier qu’il prie, mais pour le maintien de la dynastie davidique elle-même. Au moment où ce maintien semble compromis et la royauté chancelante, le psalmiste, discrètement, rappelle à Dieu ses promesses d’autrefois. Ce sont les mêmes promesses à David auxquelles un autre psaume ne se lasse pas de faire clairement écho en des formules qui rejoignent celles de notre psaume : « À tout jamais j’ai fondé ta lignée, de génération en génération je te bâtis un trône » (Ps 89,4-5); et encore : « Sa lignée à jamais sera et son trône comme les jours des cieux. » (Ps 89.30) Pour assurer la protection, la stabilité et la perpétuité de l’institution royale, le psaume en appelle aux dispositions fondamentales du Dieu de l’alliance : l’Amour et la Vérité. Ce couple caractéristique, la hesed et la emet, il les représente ici personnifiées. « Assigne Amour et Vérité pour le garder. » Dans sa longue prière en faveur du roi, le psaume 89, de nouveau, ne fait pas autrement : « Justice et Droit sont l’appui de ton trône, Amour et Vérité marchent devant ta face » (v. 15); et encore : « Ma vérité et mon amour seront avec lui, par mon nom s’exaltera sa vigueur. (…) Il m’appellera : ‘Toi, mon père, mon Dieu et le rocher de mon salut!’ » (v. 25-27).

Espérer contre toute espérance

Bref, énigmatique et balbutiant, tout en sous-entendus, le psaume 61 nous laisse peut-être entrevoir ce que pouvait être, dans un temps d’épreuve et d’insécurité comme l’exil, la prière très simple de croyants ordinaires, suppliant Dieu de les tirer de leur propre détresse et de se souvenir des promesses qu’il avait faites à son peuple.

Notre psaume demeure confiant malgré tout. Plus tard sans doute, l’exil passé et la monarchie supprimée, d’autres auront l’impression que Dieu se fait sourd et qu’il a oublié ses promesses :

Mais toi, tu as rejeté et répudié,
tu t’es emporté contre ton oint,
tu as renié l’alliance de ton serviteur. (…)
Tu as ôté son sceptre de splendeur,
Renversé son trône jusqu’à terre. (…)
Où sont donc les prémices de ton amour, Seigneur? (Ps 89,39-40.45.50)

Au moment le plus inattendu, où tout semblera oublié, où la dynastie davidique sera disparue depuis des siècles, à l’aube des temps nouveaux, la promesse retentira de nouveau : « Il sera grand, il sera appelé Fils du Très-Haut. Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son père; il règnera sur la maison de Jacob à jamais et son règne n’aura pas de fin. » (Lc 1,33). Ce jour-là, des pauvres et des croyants ordinaires, comme l’auteur du psaume 61, sauront reconnaître l’accomplissement des promesses. Et, comme lui se promettait de le faire en terminant sa prière, ils magnifieront la fidélité de Dieu : « Il relève Israël, son serviteur, il se souvient de son amour, de la promesse faite à nos pères en faveur d’Abraham et de sa race à jamais. » (Lc 1,54-55)

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