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Responsable de la chronique : Jacques Marcotte, o.p.
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Mourir dans la dignité : Blanc, noir ? Et si c’était gris?

Imprimer Par Jacques Marcotte, o.p.

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Au Québec, il a été beaucoup question ces derniers temps du mourir dans la dignité. Un projet de loi intitulé : loi concernant les soins de fin de vie, a été déposé le 12 juin 2013 à l’Assemblée nationale. Ce projet a suscité et suscite encore maintes réactions, tant au niveau des émotions qu’au niveau de la pensée, sur le sujet délicat dont il est question. C’est à se demander si les idées bien arrêtées de plusieurs n’auront pas pour conséquence de freiner l’écoute et d’empêcher le dialogue entre les tenants du pour et les tenants du contre. Rappelons qu’au Québec, tout ce qui a trait au domaine de la santé relève du gouvernement provincial et que le Code civil encadre tout ce qui a trait au consentement des soins. Par contre, l’euthanasie et le suicide assisté sont considérés comme étant des actes criminels et relèvent de la juridiction du gouvernement fédéral. Comme il appartient au provincial d’assurer l’application du droit au criminel, on imagine sans peine l’imbroglio que soulève le projet de loi.

L’initiative de ce projet est pourtant le fruit d’une longue réflexion qui s’est faite sur plusieurs années; elle a été appuyée par nos élus en commission parlementaire, en réponse à une situation problématique et floue pour tout le monde, et tout spécialement pour le corps médical qui se trouve de plus en plus confronté avec ce genre de situation où le malade, pour une raison ou pour une autre, demande l’aide médicale à mourir.

Étant donné l’enjeu de cette législation annoncée, il nous semble important et sage de prendre un temps de réflexion avant de réagir définitivement. Il est normal qu’il y ait chez nous des réactions vives tellement le sujet est vital et nous touche de près, mais il serait dommage de tuer le projet dans l’œuf par une levée de boucliers intempestive sans même que nous ayons pris la peine de bien connaître en quoi consiste réellement le projet.

Tout d’abord, il nous faut clarifier la signification des termes utilisés pour être certains que nous parlons la même langue et favorisions du même coup le dialogue. Nous éviterons alors la confusion et les malentendus, en sachant la signification exacte des termes utilisés et en faisant bien la différence entre : refus ou arrêt de traitement, sédation intermittente ou continue, soins palliatifs, euthanasie et suicide assisté. Parce que ces mots ont une densité, une résonnance émotive et affective, il faut nous garder de les manipuler et de les brandir à mauvais escient, sans même en connaître le sens et sans avoir bien compris l’intention de la législation projetée. Les mots « euthanasie et suicide assisté » en particulier sont des mots tabous qu’il nous faut utiliser avec prudence. Si nous prenons un temps d’arrêt nécessaire et une certaine distance, nous verrons que la frontière du sens est subtile et parfois bien mince dans bien des cas et qu’elle mérite attention et réflexion.

Il nous semble qu’il faut absolument nous départir des idées préconçues, à savoir que ceux et celles qui présentent le projet ou qui l’appuient ont des intentions malveillantes et outrancièrement libérales, ouvrant la voie à tous les abus possibles. Il est certain que si c’était le cas, il y aurait de quoi nous inquiéter et nous enlever même toute confiance dans notre système de soins. Quoi qu’il en soit, le dialogue est nécessaire pour rendre le débat possible. Nous cantonner dans une position rigide est en quelque sorte une façon d’éviter le débat, de nier qu’il y ait un problème et de nous réfugier dans la peur du changement.

Nous sommes à une époque où tout évolue très vite et où nous nous devons de tenir compte des progrès scientifiques et techniques, de même que de la compréhension plus approfondie de certaines maladies et des douleurs inhérentes à celles-ci. Ceci nous met dans une situation nouvelle et nous interpelle au niveau de l’éthique, car toutes ces découvertes créent de nouvelles problématiques que nous n’avions pas prévues et auxquelles nous ne sommes pas préparés. Le sujet a beau être complexe, il touche tout le monde et ne concerne pas seulement les professionnels. Tous et chacun nous avons la possibilité de nous exprimer sur la question et nous devrions prendre part au débat.

Quoi qu’il en soit, nous allons devoir appliquer la loi qui sera éventuellement votée et adoptée à l’automne. Nous avons donc tout intérêt à la bonifier pour qu’elle nous ressemble et nous convienne, et pour que dans les faits elle soit applicable et confortable. Chaque parti doit écouter l’autre et se préparer à devoir faire certains compromis en se rappelant que chaque situation de fin de vie est particulière et unique, d’où l’importance de mettre des balises claires pour aider les malades, les intervenants et les aidants, et les guider dans leurs prises de décisions.

En tant que Chrétiens, nous pouvons sans crainte aborder le sujet. Nous avons voix au chapitre! L’important est de nous laisser guider par les valeurs profondes de l’Évangile. En nous référant à la personne même de Jésus-Christ, nous n’en deviendrons que plus humains. Nous ferons confiance à l’Esprit qui nous est donné et nous lui permettrons d’agir. Rappelons-nous que l’Esprit agit librement, même chez ceux qui se disent non-croyants. Nous avons tous besoin de lui pour nous y retrouver avec la lucidité, la liberté et le courage nécessaires. Rappelons-nous que, dans la plupart de nos enjeux de société, il n’y a pas que du tout blanc ou du tout noir; il arrive souvent qu’avec le dialogue mené de bonne foi on en vienne à y trouver beaucoup de gris.

Jacques Marcotte, OP
Avec la collaboration d’Anne Saulnier
Québec, QC

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