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Parole et vie,

Responsable de la chronique : Dominique Charles, o.p.
Parole et vie

4e dimanche du temps ordinaire. Année C

Imprimer Par Dominique Charles, o.p.

Jésus doit quitter Nazareth pour devenir le Sauveur du monde

Dans la synagogue de Nazareth, après la lecture du livre d’Isaïe, Jésus déclara : « Cette parole de l’Écriture que vous venez d’entendre, c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit. » Tous lui rendaient témoignage ; et ils s’étonnaient du message de grâce qui sortait de sa bouche. Ils se demandaient : « N’est-ce pas là le fils de Joseph ? » Mais il leur dit : « Sûrement vous allez me citer le dicton : ‘Médecin, guéris-toi toi-même. Nous avons appris tout ce qui s’est passé à Capharnaüm : fais donc de même ici dans ton pays ! ‘ » Puis il ajouta : « Amen, je vous le dis : aucun prophète n’est bien accueilli dans son pays. En toute vérité, je vous le déclare : Au temps du prophète Élie, lorsque la sécheresse et la famine ont sévi pendant trois ans et demi, il y avait beaucoup de veuves en Israël ; pourtant Élie n’a été envoyé vers aucune d’entre elles, mais bien à une veuve étrangère, de la ville de Sarepta, dans le pays de Sidon. Au temps du prophète Élisée, il y avait beaucoup de lépreux en Israël ; pourtant aucun d’eux n’a été purifié, mais bien Naaman, un Syrien. » A ces mots, dans la synagogue, tous devinrent furieux. Ils se levèrent, poussèrent Jésus hors de la ville, et le menèrent jusqu’à un escarpement de la colline où la ville est construite, pour le précipiter en bas. Mais lui, passant au milieu d’eux, allait son chemin.

COMMENTAIRE

Jésus est contesté dans son propre village. Son attitude et son ouverture d’esprit dérangent ! Les habitants de Nazareth qui le connaissent bien sont déçus. Ils s’attendaient à autre chose de sa part. Ils espéraient sans doute qu’il fasse beaucoup de guérisons… Et voilà qu’il ose dire qu’un prophète est toujours mal accueilli dans sa patrie. Ils se sentent mis en cause. Les regards d’admiration qui étaient tous tournés vers lui après sa lecture du rouleau d’Isaïe deviennent soudain hostiles. Pourquoi ? Il est normal que le prophète de Nazareth se réfère aux grands ancêtres du pays, Élie et Élisée. N’ont-ils pas parlé et agi dans la région au nom de Dieu ? La montagne du Carmel, toute proche de Nazareth, garde le souvenir d’Élie qui s’est affronté aux nombreux faux prophètes de Baal au temps d’Achab et de Jézabel… Tout le monde à Nazareth sait cela (cf. 1 R 18). En quoi Jésus dérange-t-il ?

C’est la première fois qu’il prend la parole en public dans le troisième évangile, même si Luc nous fait comprendre qu’il arrive de Capharnaüm où il s’est déjà fait remarquer. C’est sa toute première prédication dans laquelle il expose le but de sa mission. On dit volontiers que c’est sa prédication inaugurale ! Elle est donc très importante. Aux yeux de Luc, c’est une sorte de discours programme. Jésus choisit délibérément de s’inscrire dans la droite ligne des prophètes Élie et Élisée qui ont eu des relations avec des étrangers. Souvenez-vous de cette veuve libanaise de Sarepta qui nourrit Élie au temps de la famine (1 R 17) et de Naaman, le chef de l’armée syrienne qui vint vers Élisée pour être guéri de sa lèpre (2 R 5). Ainsi, Jésus fait comprendre très clairement que les étrangers accueilleront mieux son Évangile que les gens de sa patrie. C’est cela qui apparaît intolérable aux gens de Nazareth et les voilà prêts à le mettre à mort.

Cet épisode, très développé dans l’évangile de Luc, donne la clé de compréhension de la suite. D’abord, l’activité de Jésus va rencontrer beaucoup d’opposition parmi les Juifs de son temps, jusqu’au moment de la Passion où il sera condamné à mort et crucifié hors les murs de Jérusalem. C’est bien cela qui est annoncé quand les gens de Nazareth le poussent « hors de la ville » pour le précipiter en bas d’un escarpement. D’autre part, c’est la foi d’un centurion romain que Jésus admirera en disant : « pas même en Israël je n’ai trouvé une telle foi ! » (Lc 7,9) ; et il annoncera solennellement que « l’on viendra du levant et du couchant, du nord et du midi, prendre place au festin dans le Royaume de Dieu » (Lc 13,29) : l’Évangile sera donc mieux accueilli parmi les populations païennes qu’en Israël, comme cela apparaît dans les Actes des Apôtres.

Dans le récit de la prédication à Nazareth, il est donc tout autant question de la première mission de l’Église, racontée dans le livre des Actes des Apôtres, que de celle de Jésus. Luc a une phrase étonnante à la fin du passage : « Mais lui, passant au milieu d’eux, allait son chemin. » Il laisse entendre qu’on ne peut pas mettre la main sur Jésus et arrêter sa mission. Il est conduit par « la puissance de l’Esprit » (Lc 4,14). Il est certain, dans la perspective de Luc, que personne ne pourra saisir Jésus tant que lui-même ne se laissera pas saisir. Pour reprendre les mots du quatrième évangile, « son heure n’est pas encore venue » (Jn 2,4). Mais il est aussi probable que Luc veuille souligner ici la très grande liberté de Jésus qui lui permettra de s’approcher des personnes impures et des pécheurs pour les accueillir, de manger chez les publicains et les pécheurs… Personne ne pourra l’arrêter sur sa route : il a décidé d’aller à la rencontre de tous ceux qui l’accueilleront. Il ne se laissera pas arrêter par des critiques. Sa mission est commencée : en toute liberté, il avance sur le chemin qui le mènera à Jérusalem. Il n’a pas peur. Il sait désormais que ce chemin sera difficile.

Sa force devant ses opposants, c’est celle de l’amour qui désempare. L’hymne à la charité que Paul donne comme charte de vie aux chrétiens de Corinthe est certainement l’idéal de vie de l’apôtre et c’est aussi le nôtre. Mais c’est avant tout le secret de la grande liberté de Jésus. Devant l’opposition qu’il rencontre à Nazareth, il n’entre pas en conflit et ne répond pas à la violence par la violence ; il fera de même lors de son arrestation et lors de son procès : « l’amour prend patience », « il ne s’emporte pas », « il trouve sa joie dans ce qui est vrai, il supporte tout », « il endure tout. » La Passion qui est au bout du chemin de Jésus ne peut se comprendre que parce que l’homme qui passe au milieu des gens de son pays est animé par un amour immense pour eux et pour ceux de toute langue, peuple et nation (Ap 5,9) qu’il est venu sauver. Jésus doit quitter Nazareth pour devenir le « Sauveur du monde ».

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