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Comment devient-on croyant?

Imprimer Par Christoph Schönborn

Le Cardinal Christoph Schönborn est archevêque de Vienne. Il a acquis une envergure internationale pour son travail comme maître d’œuvre du « Catéchisme de l’Église Catholique ». Dans des entretiens, il répond ici à plusieurs questions d’actualité.

Barbara Stöckl : L’attirance pour les religions, l’envie de se relier à une origine, à quelque chose d’universel et éventuellement de sacré, ne peut pas être exclue du monde. Cependant, cette attirance ne se manifeste pas nécessairement dans une croyance en des dogmes religieux ; c’est plutôt une recherche personnelle : au travers dee randonnées en montagne, dans l’ésotérisme, dans les religions d’Extrême-Orient. Pourquoi l’homme a-t-il besoin de croire, et comment trouve-t-il la voie vers cette foi ? La foi ne relève-t-elle pas d’une question d’éducation ou de socialisation ?

Cardinal : La foi est quelque chose qui se transmet, c’est vrai. Nous le constatons presque toujours dans les témoignages de croyants. Je ne connais pas d’exceptions parmi les personnes qui m’ont dévoilé le récit de leur vie ou dont j’ai pu lire l’histoire. Il n’y a guère de croyants qui ne soient venus à croire autrement que par le biais d’une éducation chrétienne dans leur famille ou d’une rencontre avec d’autres chrétiens. Ce fut pour eux naturel et cela reste la force d’un foyer dans lequel la foi est vivante. Car lorsque l’on fait l’expérience de voir ses parents pratiquer leur foi, il se produit très tôt une identification, tout naturellement. Et quand cette foi n’est pas simulée, pas « affichée superficiellement », mais crédible, alors les enfants s’en imprègnent profondément. Telle est assurément la meilleur façon de transmettre la foi.

Voici un exemple que je n’oublierai jamais : j’ai remis à une jeune femme son habit de dominicaine. Je n’étais pas encore évêque, mais c’était dans mes attributions en tant que père dominicain de lui faire prendre l’habit, et donc de la faire entrer dans les ordres. Je lui a demandé dans la discussion de préparation : « Parlez-moi d’une expérience religieuse forte de votre jeunesse ou de votre enfance ».

Elle m’a raconté que ses parents étaient propriétaires d’une menuiserie – son père était menuisier. Je les connaissais, ils vivaient dans une petite ville de Vorarlberg, et un soir tard, lorsqu’elle était petite, elle était entrée sans frapper dans la chambre à coucher de ses parents et les avait trouvés tous les deux agenouillés devant le lit en train de prier. Elle me confia que cela l’avait marquée et qu’elle ne l’oubliera jamais – « mes parents prient ; pas devant nous, pas pour se montrer, mais ils prient ensemble devant Dieu ».

Au début de mes études, j’ai un peu étudié la psychologie et j’ai ensuite approfondi ce sujet. J’en suis venu à la conclusion que les relations dramatiques père-fils ou mère-fille qui parsèment la littérature (Kafka, Strindberg, etc.) et que Sigmund Freud a désignées par l’expression « complexe d’Œdipe » se modifient sensiblement si les enfants voient leurs parents exprimer ensemble leur foi. C’est sûr qu’il est au moins aussi important qu’ils le perçoivent aussi comme des personnes qui s’aiment. Mais lorsque de enfants voient leur parent prier, le danger disparaît aussitôt de voir l’autorité de ces derniers devenir surdimensionnée comme dans le complexe d’Œdipe. En effet, les enfants voient leurs parents comme une autorité qu’ils représentent, mais ils sont aussi en quelque sorte les enfants de Dieu, ce qui modère en même temps ce « pouvoir » dans le bon sens. S’ils s’agenouillent ensemble devant Dieu, l’écart entre l’autorité des parents et les enfants est en quelque sorte adouci par la « compensation » d’être ensemble devant Dieu et de se savoir porté par lui. Les personnes qui ont eu le bonheur de faire une telle expérience – je n’en fais pas partie – possèdent une base solide pour leur « socialisation religieuse ».

Barbara Stöckl : Le fait de dire que vous n’avez-vous-même pas reçu d’éducation religieuse prouve aussi qu’il existe d’autres chemins qui mènent à la foi.

Cardinal : Oui. Il existe également d’autres chemins. Mais ceux-là aussi se rapportent à des témoins, même si ce ne sont les parents. Pour moi, ce fut un prêtre en particulier, puis d’autres, mais aussi des parents plus éloignés. C’étaient des personnes chez qui j’avais pu percevoir, en tant qu’enfant puis adolescent, une foi profonde et convaincue, une foi qui n’était pas une « façade », qui n’était pas feinte, une foi vraie à l’intérieur comme à l’extérieur. Tout ce qui est simulé ou forcé n’apporte absolument rien à la socialisation religieuse.

En Autriche par exemple, beaucoup de personnes d’une certaine génération ont des difficultés du fait de l’éducation reçue à l’école religieuse : elle ont éprouvé le sentiment, à tort ou à raison, que ces autorités religieuses – sœurs, pères, prêtres – n’étaient pas crédibles. Il y avait trop d’autoritarisme et trop peu de vraie autorité.

Barbara Stöckl : Nombre d’entre eux y ont subi de terribles injustices. Beaucoup d’individus ayant fréquenté une école conventuelle ou une pension catholique en parlent comme d’une période comptant les pires de leur vie.

Cardinal : Que ces souvenirs correspondent à la réalité est une autre question. Souvent ils servent à justifier le fait que l’on ne prenne pas sa propre religion au sérieux, mais bien souvent j’ai vu des personnes traumatisées par une éducation religieuse ratée.

Barbara Stöckl : En quoi consiste une éducation religieuse ? Les images très naïves en font-elles partie ? Sont-elles importantes, appropriées ou dangereuses ?

Cardinal : Il est très important que l’on utilisé les bonnes images. Mais qu’elles sont ces bonnes images ? Je suis convaincu que la Bible nous offre un trésor incomparable d’images, de personnages, de symboles qui frappent les esprits. C’est une idée qui vit en moi depuis des années, mais j’ai trop peu de temps pour l’approfondir. Il y a probablement beaucoup de personnes savantes qui ont aussi examiné dans quelle mesure les esprits européens sont imprégnés de ces images fortes de la Bible.

L’histoire du bon Samaritain a marqué les esprits pendant des siècles. Des générations entières se sont identifiées à cette image et ont trouvé là leur motivation, pour ne pas passer à côté d’une personne en détresse, se comporter vraiment comme son prochain, ce prochain dont parle Jésus. Je crois que l’Europe est plus profondément imprégnée de grandes images bibliques que nous ne voulons bien l’admettre en général. On pourrait citer la parabole du fils perdu, la crèche de Bethleem, et surtout l’image du crucifié. Parmi ces grandes images, on a aussi les images de l’Ancien Testament, que nous, catholiques, connaissons malheureusement souvent moins bien que les chrétiens protestants, comme l’histoire de Joseph et de ses frères, de Joseph en Égypte, de David, du péché originel ou du paradis.

Christoph SCHÖNBORN, Qui a besoin de Dieu ? Conversations avec Barbara Stöckl, Éditions « Parole et Silence », 2008, pp. 22-26.

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