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Le psalmiste,

Responsable de la chronique : Michel Gourgues, o.p.
Le psalmiste

Psaume 46(45) Dieu est notre forteresse

Imprimer Par Hervé Tremblay, o.p.

1 Du chef de chœur; des fils de Coré; al-alamôth; chant.
2 Dieu est pour nous refuge et force
secours dans la détresse, toujours offert.
3 Nous serons sans crainte si la terre est secouée,
si les montagnes s’effondrent au creux de la mer;
4 ses flots peuvent mugir et s’enfler,
les montagnes, trembler dans la tempête :
[Il est avec nous, le Seigneur de l’univers;
citadelle pour nous, le Dieu de Jacob!]
5 Le fleuve, ses bras réjouissent la ville de Dieu,
la plus sainte des demeures du Très-Haut.
6 Dieu s’y tient : elle est inébranlable;
quand renaît le matin, Dieu la secourt.
7 Des peuples mugissent, des règnes s’effondrent;
quand sa voix retentit, la terre se défait.
8 Il est avec nous, le Seigneur de l’univers;
citadelle pour nous, le Dieu de Jacob!
9 Venez et voyez les actes du Seigneur,
comme il couvre de ruines la terre.
10 Il détruit la guerre jusqu’au bout du monde,
il casse les arcs, brise les lances, incendie les chars :
11 « Arrêtez! Sachez que je suis Dieu.
Je domine les nations, je domine la terre. »
12 Il est avec nous, le Seigneur de l’univers;
citadelle pour nous, le Dieu de Jacob!

Le Ps 46 célèbre la victoire de Dieu sur la nature et les nations hostiles. Le maître de la création et de l’histoire y apporte l’ordre et la paix, d’où la confiance des fidèles en lui. À partir de là, tout le texte se développe en contraste : alors que la terre se détériore, que les montagnes sont secouées, que grondent les flots de la mer (v. 3-4), Jérusalem, elle, érigée sur la montagne de Sion, ne bouge pas, pleinement confiante et tranquille car Dieu habite en elle (v. 5-6). Il faut aussi noter le motif des eaux : d’un côté, les eaux emprisonnées et chaotiques de la mer en furie (v. 3b-4), de l’autre, l’eau libre, calme et vivifiante du fleuve qui traverse la ville (v. 5). Ce psaume célèbre donc la présence divine au temple qui protège la ville; c’est sur un fond de cataclysme universel que se détache la solidité de Sion.

Le Ps 46 est habituellement classé parmi le genre littéraire « cantiques de Sion » puisque Jérusalem en est le centre (cf. Ps 46; 48; 76; 84; 87; 122). Les cantiques de Sion exaltent Jérusalem et son temple en tant que capitale de la dynastie de David et centre religieux. La présence du Tout-Puissant garantit la stabilité et la sécurité de la ville qui devient un refuge invincible, d’où la confiance absolue du peuple dans les situations les plus dramatiques. On sait que la ville a aussi une valeur symbolique maternelle. Les murailles sont comme un ventre chaud qui protège, la colline est comme le giron maternel où l’on trouve paix, sécurité, nourriture, chaleur et tendresse. Aussi, les cantiques de Sion élaborent-ils une sorte de mystique féminine qui idéalise la cité future de tous les peuples. C’est de l’eschatologie où la liturgie célèbre dans l’aujourd’hui du culte l’épanouissement de demain.

La structure du poème n’est pas difficile à identifier puisque le refrain des v. 8 et 12 délimite trois strophes d’égale longueur, d’autant plus que ce refrain est suivi à chaque fois, ainsi qu’à la fin du v. 4, de l’énigmatique mot hébreu sèlah que l’on traduit par « pause ». Cela signifie que, dans la transmission manuscrite, le refrain a probablement été oublié après le v. 4; c’est pourquoi il est restitué dans la plupart des traductions. Le psalmiste développe son thème en trois strophes : 1- Dieu est le refuge de son peuple en cas de catastrophe naturelle. Dieu sera avec Israël même si un cataclysme devait bouleverser la terre et la mer (v. 2-4). 2- Dieu est le refuge de son peuple en cas de guerre. Dieu est avec Jérusalem quand des nations s’insurgent contre elle (v. 5-8). 3- Dieu est le refuge de son peuple à la fois en cas de catastrophe naturelle et de guerre; il est celui qui instaure la paix universelle (v. 9-12). Les liens entre ces strophes sont soulignés par la répétition de certains mots. « Terre » apparaît dans toutes les strophes (v. 3.7.9.10.11), assurant ainsi, avec le refrain, l’unité du morceau. Les deux premières strophes sont unies par la répétition des mots « aide » (v. 2 et 6), « trembler, chanceler » (v. 3.6.7), « mugir » (v. 4.7). La deuxième et la troisième strophe sont unies par la répétition des mots « nations » (v. 7 et 11).

Le thème de tout le psaume est donc une solide foi en Dieu. Cette confession s’élève dès la première strophe (v. 1-3) au-dessus de la nature en furie lors de la formation et de la dissolution du monde, comme dans la deuxième strophe (v. 4-7), lors des tumultes de l’histoire au-dessus des nations qui assaillent les murailles de Jérusalem comme les vagues de la mer. Dans la troisième strophe (v. 8-11), c’est Dieu qui s’élève au-dessus du champ de bataille couvert de ruines et de cadavres afin d’établir son règne de paix. On a donc la triade caractéristique des représentations cultuelles : création, histoire, eschatologie qui donne à des événements particuliers une dimension cosmique et intemporelle. Le Dieu que l’on célèbre dans le poème est celui-là même qui a opéré en faveur de son peuple tant d’actes de salut dans le passé, gage d’autres actes de salut à l’avenir.

Commentons quelques versets. Au v. 1 le titre du psaume comporte des mots dont le sens est incertain. Al-alamôth est traduit littéralement par « pour les jeunes filles » ou « pour les secrets » dans les versions anciennes, mais on suppose qu’il devait s’agir d’un air connu. Nous dirions aujourd’hui : « Sur l’air de Au clair de la lune ».

Première strophe, le cataclysme cosmique (v. 2-4). Peu importe que la terre tremble, que les montagnes croulent dans la mer, ou que les eaux en furie mugissent, Israël reste sans crainte car le Seigneur a choisi Jérusalem pour y faire sa demeure. Dieu y est présenté en termes militaires : il est refuge, force, secours. Même si le monde change ou périt, même si ce qu’il y a de plus solide sur terre, les montagnes, s’écroulent, la foi en Dieu est plus forte. Selon la conception ancienne du monde, il faut le rappeler, la terre reposait sur des colonnes, les montagnes ayant leurs racines dans les eaux d’en bas (1 S 2,8; Jb 9,6; Ps 24,2; 75,4; 104,5; Pr 8,25). Lorsque la terre tremble, c’est que l’ordre et l’équilibre sont compromis, menaçant de faire retourner le cosmos au chaos primitif (Is 17,12; 24,19-20; 54,10; Ag 2,6-7). Dans la destruction d’un monde hostile, c’est déjà la victoire de Dieu qui pointe, victoire qu’on attend avec confiance. On reconnaît ici en filigrane les anciennes cosmogonies. Cette maîtrise absolue de Dieu sur les éléments chaotiques du cosmos s’entrevoit encore dans le titre donné à Dieu dans le refrain « YHWH Sabaot ». Malgré cette menace, Israël est confiant en son Dieu et n’éprouve aucune crainte.

L’atmosphère change dans la deuxième strophe (v. 5-7). Si, au v. 2, Dieu lui-même était la source de la protection, à partir du v. 5, c’est Jérusalem, parce que Dieu y habite. Le v. 5 continue le thème de l’eau, mais contrairement au v. 4 qui évoquait la puissance destructrice des eaux de la mer en furie, l’eau du fleuve qui arrose la ville a une valeur positive : elle répand la paix, la prospérité et la fertilité. Puisqu’il n’y a pas de véritable rivière traversant Jérusalem, il ne faut pas essayer d’identifier ce fleuve qui n’existe pas. Il s’agit d’une adaptation du langage mythique où le paradis originel était traversé d’une ou de plusieurs rivières, comme toutes les grandes villes anciennes (Ougarit, Assur, Ninive, Babylone). Ici, c’est la présence de Dieu au milieu de la ville qu’il a choisie qui équivaut à un mystérieux fossé dont les eaux profondes font d’elle un lieu imprenable (cf. Éz 47,1-12; Is 66,12). Le v. 6 parle du matin, l’heure des faveurs divines (Ps 5,4; 30,6; 90,14; Is 17,14; Lm 3,23). C’est l’heure du triomphe de Dieu sur la chaos primitif (Gn 1,2-5; Ps 18,8-16; Is 33,2; So 3,5), l’heure de la traversée de la mer (Ex 14,27), l’heure où l’ange frappa l’armée assyrienne (Is 37,36), l’heure du salut messianique (Ps 17,15; 49,15; 59,17; 143,8). Au v. 7, ce sont maintenant les puissances humaines qui menacent de faire s’écrouler la ville et de la faire retourner au chaos. Si les nations sont instables comme le chaos, Dieu parle dans le tonnerre ou l’éclair (Ps 29,3-9; 68,33; 76,9-10; 77,19; 81,8; 30,30; Jr 25,30-31), comme au commencement du monde, et les nations s’effondrent. En effet, le psalmiste emploie le même mot pour les nations qu’il avait fait pour les vagues « mugir ». De même que les vagues se brisent sur le roc, ainsi les nations se brisent-elles sur la puissance muraille de la ville. Ici, l’événement historique devient eschatologique. Plus que d’un adversaire politique, Dieu lutte contre les forces du chaos (Is 17,12-14; Jr 47,2). Ainsi, chaque victoire historique de Dieu devient une anticipation de la victoire finale sur des forces plus puissances. L’ordre du monde est donc gage de l’ordre de l’histoire; Dieu imposant sa maîtrise sur le chaos est gage de Dieu gardant les ennemis d’Israël loin de lui. Si la terre se maintien dans le calme et l’ordre, ce sera la même chose pour le peuple de Dieu devant les nations qui l’attaquent. C’est alors qu’arrive le refrain (v. 8) qui désigne Dieu par quatre expressions différentes : YHWH Sabaot, [Dieu] avec nous (cf. Is 7,14; 8,10), citadelle, Dieu de Jacob. L’expression YHWH Sabaot est ancienne et associée à la monarchie davidique de Jérusalem. Yahvé est le commandant de l’armée céleste et de l’armée d’Israël.

La dernière strophe du poème unit les deux thèmes : Dieu est un refuge contre les puissances naturelles et terrestres. Le v. 9 invite à venir voir les actions de Dieu, en ce sens que la foi n’est pas une adhésion intellectuelle à des données abstraites mais une expérience des interventions de Dieu dans l’histoire. Le fidèle est invité à constater que Dieu contrôle la nature et l’histoire. À la place d’une armée attaquant la ville, il y a des ruines et des cadavres. Le v. 10 mentionne les quatre actions que Dieu accomplit pour l’établissement de la paix : « il détruit la guerre », « casse les arcs, brise les lances » et « incendie les chars ». L’anéantissement des armes n’est que la première étape pour un renouveau de paix et de prospérité. Ici encore, on passe de l’histoire à l’eschatologie, d’une victoire particulière à la victoire finale. Au v. 11 Dieu lui-même prend la parole pour lancer un appel afin que l’on reconnaisse non seulement sa transcendance mais aussi sa domination sur les nations et sur la nature. Ses interventions en faveur de son peuple ont pour but de manifester sa souveraine maîtrise sur le monde. La terre et les nations, décrites quelques versets plus tôt comme menaçants l’existence de l’ordre, sont maintenant au service de la louange de Dieu.

Les parallèles vétérotestamentaires sont intéressants (cf. Is 2,2-4; 60; 65; Za 8), surtout le cantique de la mer Rouge en Ex 15 : Dieu protection (Ex 15,2); Dieu soumet les eaux chaotiques (Ex 15,4-5.8.10); Dieu assure sa demeure par sa victoire (Ex 15,17). La relecture néotestamentaire a développé le thème de la Jérusalem d’en haut (cf. Ga 4,26) ou de la Jérusalem nouvelle du livre de l’Apocalypse (Ap 21,2-3; 22,1-2). La relecture chrétienne est plutôt facile ici. Dans la Jérusalem idéalisée du psaume, on entrevoit l’Église, la communauté sauvée par Dieu, au milieu de laquelle il habite. C’est dans ce sens que le Ps 46 a inspiré la célèbre hymne de Martin Luther Ein feste Burg ist unser Gott (Notre Dieu est une solide forteresse).

Fr. Hervé Tremblay o.p.
Collège universitaire dominicain
Ottawa, ON

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