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Le psalmiste

Psaume 78 (77) Louange à Dieu : ses actes guident son peuple (1e partie)

Imprimer Par Christian Eeckhout

Le chant du témoin (v.1 – 51)

En présentant ce cantique – qui avec ses 72 versets est le plus long après le Psaume 119(118) et situé au beau milieu du Psautier biblique – nous désirons montrer qu’il appartient à la dynamique culturelle autant que cultuelle de l’humanité.

Ce cantique appartient à la série des Psaumes d’instruction ou encore appelés didactiques, qui accentuent en particulier l’enseignement de la Loi (tôrâ) et le souvenir des merveilles (nip-lāôt) de Dieu et son amour pour son peuple, avec les conséquences qu’entraînent de tels actes dans l’histoire. Son but est de nous donner non seulement à réfléchir, ici et maintenant, comme le fait une parabole – une comparaison bien appropriée – mais encore de nous amener à porter témoignage de ces merveilles en en faisant grand cas, de génération en génération.
Le psaume 78(77) est avant tout théologique, car il amène à « dire Dieu » à travers les actes qui Le révèlent dans l’histoire vécue. Ils sont si merveilleux qu’on ne peut les taire, ou qu’on doit s’en souvenir pour en glorifier l’auteur, en faire la louange et transmettre le récit pour l’avenir. Son thème de fond est le rôle de la mémoire. On discernera en réalité une libre relecture de l’histoire du passé israélite, laquelle nous est racontée dans une thématique religieuse et humaine, quant au contenu.

Le but de ce rappel des actes de Dieu est bien de garder mémoire de ces événements fondateurs, pour en éviter l’oubli qui aboutirait à une perte grave de la connaissance personnelle, intime de Dieu qui a fait une alliance plus que salutaire, salvatrice. Comme toute alliance, elle est comporte des droits et des devoirs réciproques. Dans l’Ancien Testament – dont ce cantique est une illustration parénétique de choix – « YHWH-Elohim » (v.4.21), le Seigneur (v.65), le Très-Haut (‘el-yôn, v.17.35.56), le saint d’Israël (v.41), a pris l’initiative d’un pacte de solidarité avec le peuple d’Israël : une alliance de ce type comprend des promesses divines, des exigences acceptées par les gens du peuple et un signe servant de document.

La place et la date du cantique

Dans le corpus canonique du psautier biblique, le Ps 78 fait partie d’un ensemble (Ps 72-83) attribué à Asaph, un des chantres du culte à Jérusalem, un contemporain du roi David.
D’un avis assez général parmi les exégètes avertis, ce cantique est considéré comme tardif, c’est-à-dire que sa composition écrite est située après le retour d’exil des déportés à Babylone, entre la fin du VIe et du IIIe siècle avant Jésus-Christ.

Sa structure et son style

Le cantique peut se lire en quatre parties : d’abord une introduction développée qui sert d’exorde, en forme d’avertissement (1-11). Ensuite deux parties midrashiques (comprises entre les versets 12 et 71), c’est-à-dire qui tendent à rechercher une signification en profondeur, au-delà du sens littéral fixé à partir d’un moment de l’histoire. La finale, assez brusque, forme une très brève conclusion (v.72).

L’étude structurelle et thématique indique un plan que l’auditeur peut suivre clairement :

• (v.1-11) une large introduction où le psalmiste appelle son peuple et les âges à venir à écouter ce qu’il sait de la puissance et de la gloire de Dieu pour que triomphe l’espérance et la fidélité à Dieu malgré l’oubli des exploits, le refus de la loi et le non-respect de l’alliance ;
• (v.12-13) une transition charnière avec les mots-clés de « ’abôt, pères »(v.8a.12a), « Égypte » et « la mer » ;
• (v.14-51) repérée par les mots-clés « Il les guidait / dans le désert » (v.14a.15a), nous avons une première longue partie qui comprend du point de vue déplacement géographique : l’exode d’Égypte vers l’établissement en terre de Canaan ; du point de vue thématique : la naissance du peuple choisi en tant que peuple « en transit » ; et du point de vue didactique : des représailles divines consécutives à une contestation après un bienfait prodigieux reçu ou vécu à travers des prodiges de l’eau et de nourriture ;
• (v.52-53) une charnière conclusive de la première partie avec l’expression « dans le désert Il les guidait » et introductive pour la seconde partie ;
• (v.54-71) repérée par les mots-clés « Il les fit venir vers / cette montagne » (v.54), la seconde partie plus courte comprend, du point de vue géographique : le choix de l’installation sur le promontoire d’Urushalim devenant « Il choisit / la montagne de Sion » (v.68) ; du point de vue thématique : la croissance du peuple israélite et sa sédentarisation ; avec la reprise de la même pédagogie didactique ;
• (v.72) une abrupte conclusion où Dieu est présent comme Celui qui « les guidait » à la fois conducteur, messie et « berger au cœur intègre. »

Les nombreuses merveilles opérées au cours de l’histoire sont rapportées dans un ordre qui ne tient pas compte de la logique, ni à fortiori de la chronologie, mais qui privilégie la stylistique, avec des récurrences permettant la mémorisation en contexte oriental ou sémitique de tradition orale.

Le style du psaume 78(77) est du type parabole – « maschal » en hébreu – avec de courtes comparaisons assez originales, colorées, qui à partir d’une narration concrète de choses connues des auditeurs, donnent une leçon morale sur la nécessité de la louange due au bienfaiteur en lieu et place de l’attitude révoltée et ou naïvement contestataire du bénéficiaire.

Présentation : Malgré les infidélités de l’homme, la sainteté de Dieu demeure.

Dès le début du psaume (v.1a) comme à sa fin (v.71b) le Psalmiste note « ‘am, le peuple » que Dieu mène comme un pasteur vigilant au long de son cheminement vers la sainteté : Il les guidait (v.14a.53a.72b) vers à travers le désert et la mer, puis au lieu saint de la montagne de Sion (v.68).

Dans les premiers versets du cantique l’avertissement au lecteur est le suivant : n’oublions jamais les œuvres de Dieu : sa bonté s’y montre nuit et jour pendant quarante ans de pérégrination et d’épreuve ! Que ce soit lors de la libération après les plaies d’Égypte ou dans le désert de Canaan, au nord de la mer rouge. Notre responsabilité est de transmettre aux enfants qui nous sont confiés, à chaque nouvelle génération, cette révélation d’un bon Dieu pour l’humanité.

Dans la première partie du cantique, le Psalmiste rappelle les bonnes et glorieuses actions de Dieu dans l’histoire de l’exode israélite hors du pays du Nil jusqu’au désert [sinaïtique] (v.15.52) et interpelle le croyant sur les fils d’Ephraïm (v.9) et leurs pères (v.8) en Égypte – localisée par Tsoan ou Tanis (au v.12.43) et encore par Cham (au v.51) – qui avaient oublié cet enseignement donné (tôrâ ; v.1a.5b) et ces merveilles (nip-lā’ôt ; v.1;10b-11) accomplies par le Seigneur.

En conséquence, il y a eu le rejet de la tribu dominante du centre du pays, au nord de Jérusalem, Ephraïm, parce qu’elle Lui « tourna le dos » dans l’oubli des merveilles vécues, c’est-à-dire trompa l’attente de Dieu d’une fidélité du peuple comparable à la Sienne.

Dans la première des deux parties qui suivent l’exorde d’avertissement, le Psalmiste fait d’ailleurs mention de deux prodiges d’eau (v.12-16.43-53), de la contestation dans le peuple (v.17-20.40-42), suivie des réactions de représailles divines (v.21-22.30-39) et les prodiges de nourriture accordée (v. 18.23-25.26-29), tel que « pain des forts » (v.25) et une nuée d’oiseaux (v.27). Ce thème de la survie alimentaire au désert par la nourriture solide s’ajoute à celui des « ruisseaux et fleuves » d’eau potable (v.15-16) et non potable (v.43-44).

Puisque Dieu vient en aide et agit avec générosité, le Psalmiste répond ensuite à la question de savoir pourquoi et comment Dieu vient-il à se fâcher, à punir son peuple encore nomade ?

– Pourquoi ?

Dans son livre, Les Psaumes redécouverts, De la structure au sens, 51-10, Bellarmin 1994, p.362), Marc Girard traite cette question théologique avec clarté. Il remarque justement que 1° dans les v.30-32 et 36-37, les Israélites pêchent contre Dieu, ils sont instables dans l’engagement, manquent de foi dans ce que Dieu dit par son alliance et fait par ses actions merveilleuses : « Bouche gavée jusqu’aux dents n’en a pas moins trahi sans cesse son divin bienfaiteur. »

2° dans les v. 33-35 et 38-39, on voit par les verbes employés « šwb, revenir (v.34b et 38d.39b) et zkr, se souvenir (v.35a.39a). Chaque fois que le peuple ‘revenait’ vers Dieu, celui-ci faisait ‘revenir’ sa colère, c’est-à-dire l’apaisait. Double mouvement, donc, inversé et complémentaire [homme  Dieu et Dieu  homme]. Ainsi l’auteur répond à son problème théologique. Pourquoi Dieu s’emporte-t-il et châtie-t-il ? Parce que, si le peuple ne croit pas aux miracles (v.32b), seuls des actes brutaux peuvent le secouer et l’amener à résipiscence (v.33-34) », ce qui signifie reconnaître sa faute avec la volonté de s’amender.

– Comment châtier ?

« En y mettant toute la modération voulue, et en temporisant (v.38) : si le peuple ne croit pas au sérieux de l’alliance (v.37b), seul l’exemple de l’irréversible fidélité divine pourra, à la longue, infléchir les cœurs endurcis. L’autre verbe [zkr] engendre lui aussi un rapport de complémentarité [double mouvement homme  Dieu et Dieu  homme]. La démarche humaine de conversion (cf.v.34) et la démarche divine de pardon (cf.v.38) se fondent toutes deux sur un ‘souvenir’ : l’homme se souvient d’un Dieu fort comme le roc (v.35a) ; Dieu, lui, se souvient de l’homme comme faible et mortel (v.39). »

Une antithèse qui unifie la section se profile entre, d’une part, le récit des merveilles de Dieu (YHWH, v.12-16) en faveur du peuple israélite sauvé des eaux (de la mer Rouge) pour un libre passage, et d’autre part les prodiges de Dieu contre le peuple égyptien frappé de fléaux ou englouti dans la mer (v.43-53).

Peut-on le comparer à d’autres Psaumes ?

Nous remarquons que le Ps 78(77) est assez proche du Ps 105(104) quant à l’exhortation à annoncer, proclamer et redire les actes glorieux du sauveur des fils d’Israël (cf. v.1-2.5 du Ps 105) et la nécessité de « garder les lois » (Ps 105,45). S’il rappelle également les merveilles de la nuée, de la manne et des cailles (Ps 105,39-40), il ne dit toutefois pas les reproches de l’abandon de l’alliance ou de la trahison de Dieu, mais se borne à un rappel descriptif des merveilles opérées pour la libération son peuple hors d’Égypte et au désert.

Le Ps 78(77) dans la liturgie catholique

Dans la liturgie quotidienne les fidèles prient ce psaume à l’office des lectures du vendredi (v. 1-16.17-31.32-42) et du samedi (43-51.52-61.62-72) de la quatrième semaine pendant l’Avent, le temps de la Nativité, ainsi que pendant le Carême et les cinquante jours du temps pascal.

Le Psaume 78(77) est lu en outre lors de la liturgie de la Parole en semaine, par trois fois au Temps ordinaire : les versets de l’introduction (v.3 à 8, sauf v.5) sont proposés le vendredi de la 1e semaine; les versets du premier retour sur le passé (v.17 à 29 sauf 20-21.26) le sont le mercredi de la 16e semaine; les versets du second retour sur le passé sont chantés le jeudi de la 19e semaine.

Un seul Dimanche, le 18e du Temps ordinaire, année B, propose les versets 3-4 de l’introduction, les 23-25 au sujet de la manne et du pain des forts, et des parties des versets 52 et 54 au sujet du petit bétail amené à paître sur la montagne.

La fête de la croix glorieuse – le 14 septembre – offre aux fidèles les versets de l’introduction (v. 3-4) et ceux du premier retour sur le passé où Dieu est « le rocher et le rédempteur » (v.35) de son peuple, miséricordieux et pardonnant (v.38) alors même que manque la fidélité à l’alliance de Dieu.

Le Ps 78 installe en qui le prie un présent, reprenant une tradition ainsi rendue à la vie et qui l’ouvre à un avenir meilleur. Cet avenir accompli en Jésus qui est le Christ sauveur car, crucifié, « il faisait l’expiation de la faute et ne détruisait pas » (v.38), car « il se souvenait qu’ils n’étaient que chair » (v.39).

Fr. Christian Eeckhout, o.p.

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