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Parole et vie,

Responsable de la chronique : Dominique Charles, o.p.
Parole et vie

1er Dimanche du carême. Année A.

Imprimer Par François-Dominique Charles

Conduits par l’Esprit pour refaire le choix du Dieu Vivant

Jésus, après son baptême, fut conduit au désert par l’Esprit pour être tenté par le démon.
Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim.
Le tentateur s’approcha et lui dit : « Si tu es le Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains. »
Mais Jésus répondit : « Il est écrit : Ce n’est pas seulement de pain que l’homme doit vivre, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. »
Alors le démon l’emmène à la ville sainte, à Jérusalem, le place au sommet du Temple
et lui dit : « Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit : Il donnera pour toi des ordres à ses anges, et : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre. »
Jésus lui déclara : « Il est encore écrit : Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. »
Le démon l’emmène encore sur une très haute montagne et lui fait voir tous les royaumes du monde avec leur gloire.
Il lui dit : « Tout cela, je te le donnerai, si tu te prosternes pour m’adorer. »
Alors, Jésus lui dit : « Arrière, Satan ! car il est écrit : C’est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras, et c’est lui seul que tu adoreras. »
Alors le démon le quitte. Voici que des anges s’approchèrent de lui, et ils le servaient.

Comme autrefois où le peuple des Israélites entra au désert et y séjourna quarante ans sous la conduite de Moïse, nous entrons avec le Christ dans le long chemin du Carême (le mot « Carême » vient de « quarante »). Le désert fut pour le peuple de l’Exode un passage obligé pour sortir de l’esclavage d’Égypte. Ce fut un temps difficile, marqué par les épreuves et les tentations. Le peuple a « erré dans un désert sans routes » (Job 12,24) pour découvrir une Présence, pour être conduit vers une Rencontre : celle du Dieu qui se révèle en marchant avec les hommes, qui habite une tente au milieu du campement, qui nourrit et abreuve là où il n’y a aucune nourriture, aucune eau. L’itinéraire d’errance au désert était le passage obligé pour préparer le peuple à cette Rencontre.

Avant de conduire quelque part, la marche dans le désert conduisait donc vers Quelqu’un. La terre promise, c’était d’abord le Seigneur lui-même. Le peuple a dû errer pendant quarante années pour que se dissipent toutes les images des faux dieux qui habitaient ses rêves humains. Il fallait les nombreuses épreuves du désert pour que le peuple abandonne les veaux d’or, fondus à l’image de ses désirs, et pour qu’il soit prêt à rencontrer « Dieu », tout Autre et Différent. Il fallait tout ce temps pour que s’opère le grand passage de l’idolâtrie des images forgées et muettes à la rencontre du Dieu vivant qui parle, sans se laisser saisir ni réduire à une image. Pour nous, les chrétiens, seul le Christ est l’Icône véritable du Dieu invisible (Col 1,15 ; cf. Jn 1,18).

Le Carême consiste à refaire l’expérience du désert pour que nos rêves sur Dieu et sur nous-mêmes puissent s’estomper et laisser place à la Présence « réelle » du Seigneur dans nos êtres. Il nous faut renoncer aux nombreux dieux que nous nous sommes faits à notre image pour rencontrer Celui qui nous a faits à son image (Gn 1,26). Si nous acceptons d’aller au désert à la suite du Christ en nous laissant conduire par l’Esprit, il nous sera nécessaire de faire un grand ménage dans nos cœurs, pour entendre autre chose que nous-mêmes, pour découvrir autre chose que nos fantasmes, pour abandonner nos fausses images et nos idées toutes faites sur Dieu. Avec Jésus, empruntons cet itinéraire difficile de vérité, et forcément de lutte contre les mensonges que nous ne cessons de nous faire à nous-mêmes. Il a fallu quarante jours et quarante nuits de marche au désert pour que le grand Élie atteigne la montagne et reconnaisse la mystérieuse Présence divine dans le silence… (1Rois 19,12-13). La « posologie » de quarante jours n’est donc pas excessive pour nous.

Le combat au désert n’est pas un combat contre un Satan extérieur à nous-mêmes mais une lutte corps à corps contre les illusions que nous nous faisons sur nous-mêmes, sur les autres et sur Dieu. Il s’agit plus d’un combat intérieur avec Dieu, à la manière de Jacob (Gn 32,25-28), que d’une lutte avec le diable qui venait déranger saint Antoine au désert ou le curé d’Ars dans son presbytère. Le Carême est un temps fort où nous avons à dépister en nous tout ce qui résiste à la Parole divine, tout ce qui obstrue les oreilles de nos cœurs : « Je vais te séduire, dit le Seigneur, je te conduirai au désert et je parlerai à ton cœur… Là tu répondras comme aux jours de ta jeunesse…» (Os 2,16-17). C’est au désert que Dieu se fait connaître car c’est là que son peuple a appris à écouter sa Parole. L’aventure du désert est donc bien celle de la rencontre de Dieu qui se propose et se révèle dans l’attente de notre réponse.

Le Carême est le temps du retour aux sources de nous-mêmes, le temps de nous tourner vers Celui dont la Parole nous a amenés à l’existence, le temps d’une conversion personnelle véritable, d’une mise à nu de ce que nous sommes. C’est l’Esprit qui conduit notre chemin du Carême. On ne choisit pas la route, elle nous est proposée par l’Esprit, comme pour Jésus au sortir des eaux du baptême. Le Carême vient chaque année nous rappeler que nos histoires personnelles ainsi que notre histoire collective en Église sont placées sous le signe du désert, entre une sortie déjà réalisée de l’esclavage du péché (le baptême) et une entrée dans la Terre Promise de la rencontre du Seigneur : « Ta face est ma seule patrie » écrivait sainte Thérèse de l’Enfant Jésus dans une poésie.

Est-ce que, pendant ces quarante jours, je vais me ressourcer à la Parole du Dieu vivant avec ce qu’elle implique de renoncement à mes désirs et à mes intérêts égoïstes ? Vais-je accepter le jeûne de mes désirs pour me nourrir de la Parole qui sort de la bouche de Dieu ? Vais-je entrer dans ce nécessaire itinéraire de décentrement de moi-même pour accueillir vraiment l’Autre et les autres ? Dans la Bible, la tentation est surtout à comprendre comme une mise à l’épreuve qui demande de combattre en soi-même pour que Dieu ait la première place, pour qu’autrui soit accueilli tel qu’il se présente et non tel que je le désire.

Au désert de la tentation, Jésus fait une absolue confiance en Dieu. Satan n’arrive pas à le déstabiliser et à le détourner du Père. Le chemin de Jésus est un chemin de fidélité à Dieu jusque dans les ténèbres profondes de la Croix. Lors de l’agonie à Gethsémani, la mise à l’épreuve culminera avec l’ultime tentation : « Père, que ta volonté soit faite et non la mienne ! »

Le diable dont il est question dans l’évangile n’est pas à l’extérieur de nous-mêmes. Il est le tentateur qui nous met à l’épreuve au-dedans. Dans le film de Pasolini, « L’évangile selon saint Matthieu », le diable apparaît comme une ombre : il est l’ombre de nous-mêmes. Il nous faut choisir de renoncer à nous-mêmes pour arriver à nous tourner vers le Dieu vivant. Le désert est le lieu où ce choix est rendu possible parce que chacun y est face à soi-même, dans le secret et l’intime de son être. Que ce Carême nous permette de refaire personnellement le choix de Dieu qui nécessite de renoncer à nous-mêmes : c’est bien ce que nous faisons au baptême. Alors, nous découvrirons que Dieu vient combattre avec nous pour nous faire vivre.

Entrons en Carême avec Jésus. Menons, avec la force de l’Esprit, le combat contre tant de faux besoins qui nous détournent du Dieu vivant. Trouvons des moments de prière, lisons la Bible, partageons ce que nous avons avec d’autres, renonçons à tout ce qui nous replie égoïstement sur nous-mêmes et soyons un peu plus attentifs à tous ceux qui nous entourent. C’est ainsi que nous gagnerons en nous-mêmes le grand combat contre Satan que Jésus a gagné pour nous. Avec lui, chaque jour, demandons avec insistance : « Père, que ton Règne vienne, que ta Volonté soit faite… délivre-nous du mal. »

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