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Le psalmiste,

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Le psalmiste

Psaume 107/2. Hymne d’action de grâces (suite et fin)

Imprimer Par Marc Leroy

23 Descendus en mer sur des navires,
ils faisaient négoce parmi les grandes eaux ;
24 ceux-là ont vu les œuvres de Yahvé,
ses merveilles parmi les abîmes.

25 Il dit et fit lever un vent de bourrasque
qui souleva les flots ;
26 montant aux cieux, descendant aux gouffres,
sous le mal leur âme fondait ;
27 tournoyant, titubant comme un ivrogne,
leur sagesse était toute engloutie.

28 Et ils criaient vers Yahvé dans la détresse,
de leur angoisse il les a délivrés.
29 Il ramena la bourrasque au silence
et les flots se turent.
30 Ils se réjouirent de les voir s’apaiser,
il les mena jusqu’au port de leur désir.

31 Qu’ils rendent grâce à Yahvé de son amour,
de ses merveilles pour les fils d’Adam !
32 Qu’ils l’exaltent dans l’assemblée du peuple,
au conseil des anciens qu’ils le louent !

33 Il changeait les fleuves en désert,
et les sources d’eau en soif,
34 un pays de fruits en saline,
à cause de la malice des habitants.

35 Mais il changea le désert en nappe d’eau,
une terre sèche en source d’eau ;
36 là il fit habiter les affamés,
et ils fondèrent une ville habitée.

37 Ils ensemencent des champs, plantent des vignes,
et font du fruit à récolter.
38 Il les bénit et ils croissent beaucoup,
il ne laisse pas diminuer leur bétail.

39 Ils étaient diminués, défaillants,
sous l’étreinte des maux et des peines ;
40 déversant le mépris sur les princes,
il les perdait en un chaos sans chemin.

41 Mais il relève le pauvre de sa misère,
il multiplie comme un troupeau les familles ;
42 les cœurs droits voient et se réjouissent,
tout ce qui ment a la bouche fermée.

43 Est-il un sage ? qu’il observe ces choses
et comprenne l’amour de Yahvé !

(Bible de Jérusalem)

Dans cette seconde partie du Psaume 107, nous trouvons la quatrième et dernière section décrivant une population expérimentant un grand danger, ici le péril en mer, puis une même expérience, d’un moins vers un plus, décrite à deux reprises aux vv. 33-38 et 39-42.

vv. 23-32 : le quatrième groupe de population correspond à ceux qui ont traversé la mer dans le but de commencer une nouvelle vie dans un pays lointain.
L’expression du v. 23 « descendus en mer sur des navires » renvoie à Is 42,10 « ceux qui vont sur la mer ». La mer, surtout pour des Israélites qui ne sont pas de grands marins, est un lieu de grand danger où la mort peut survenir à tout moment. Descendre en mer c’est un peu comme descendre dans le Shéol. L’expression, en effet, laisse entendre que l’on descend non seulement de Jérusalem, qui se trouve à 800 mètres d’altitude, vers la mer, mais aussi que l’on s’enfonce dans la mer comme l’on peut s’enfoncer à l’intérieur d’un puits. C’est la double descente de Jonas. Première descente, depuis les collines judéennes, vers le port de Joppé, en Jon 1,3 « il descendit à Joppé et trouva un vaisseau à destination de Tarsis » ; deuxième descente, après la tempête en mer, Jonas, depuis les entrailles du poisson, raconte ce qu’il a vécu, en Jon 2,7 « à la racine des montagnes [= le fond de la mer] j’étais descendu ».

Mais nous pouvons aussi y retrouver une allusion à l’Exode. Au v. 26, le peuple descend aux gouffres comme les chars de Pharaon et son armée qui tentèrent la traversée de la Mer Rouge (cf. Ex 15,5 : « Les abîmes les recouvrent, ils ont coulé au fond du gouffre comme une pierre. »).

On fait référence ici à tous ces Judéens qui ont pris le bateau à Jaffa/Joppé dans l’espoir d’une vie meilleure, au loin, en Égypte, mais aussi à Chypre, en Grèce ou en Asie Mineure établissant ainsi des communautés de Diaspora.

Les œuvres de Yahvé, dont parle le v. 24, ne sont pas ici les merveilles de la Création, mais des actes de libération, « ses merveilles pour les fils d’Adam » comme le dit, aux vv. 8, 15, 21 et 31, le second refrain.

Très concrètement, les abîmes du v. 24 peuvent désigner les profondeurs de la mer après un naufrage. Dieu est venu nous rechercher alors que nous étions dans les profondeurs, au cœur de la mer. C’est l’expérience de Jonas (cf. Jon 2,4). Mais c’est aussi l’expérience que nous faisons quand tout va mal. Pour employer une image, nous disons que nous sommes comme submergés par des eaux en furie. C’est le cas, par exemple, de la dépression où l’on se laisse couler jusqu’au fond comme une pierre. Dans un cri vers Dieu, Ps 69,2-3 expriment admirablement bien ce sentiment universel d’impuissance : « Sauve-moi, ô Dieu, car les eaux me sont entrées jusqu’à l’âme. J’enfonce dans la bourbe du gouffre, et rien qui tienne ; je suis entré dans l’abîme des eaux et le flot me submerge. ».

L’expression « montant aux cieux » du v. 26 veut rendre compte de l’expérience de ceux qui se trouvent à bord d’un bateau qui, au cours d’une terrible tempête, est soulevé si haut par les vagues que l’on a l’impression que l’on touche le ciel.
Si les merveilles de Yahvé sont des actes de libération plus que de création, cela ne l’empêche pas d’employer cette Création à bon escient. Ainsi peut-il faire lever « un vent de bourrasque » (cf. v. 25). Malgré la tempête, les marins sont sur le pont et continuent leur travail comme ils le peuvent donnant l’impression qu’ils sont ivres car ils titubent. Face à une vibrante tempête, toute leur compétence de marins est comme engloutie avec l’effondrement de leur moral (cf. v. 26).

L’expression « il [Yahvé] les mena jusqu’au port de leur désir » au v. 30 renvoie bien sûr à cette action de Yahvé qui a fait arrêter la tempête pour que le navire rentre au port en toute assurance comme si Yahvé était finalement le pilote du navire, mais cela renvoie aussi à la sortie d’Égypte et à l’Exode, dans la mesure où Yahvé mène son peuple jusqu’à Jérusalem, jusqu’à la Terre promise, qui est le « port de leur désir » (cf. Ex 13,21 : « Yahvé marchait avec eux, le jour dans une colonne de nuée pour leur indiquer la route, et la nuit dans une colonne de feu pour les éclairer, afin qu’ils puissent marcher de jour et de nuit. ») .

Les deux dernières sections du Psaume 107, vv. 33-38 et 39-42, qui parlent de la même expérience d’un moins vers un plus, abandonnent complètement le schéma suivi par les quatre premières sections, même si elles continuent de parler d’une population qui connaît la détresse et qui fait l’expérience d’être sauvée par Dieu.
Ces deux dernières sections commencent par décrire le danger (le désert ; la soif ; la fatigue ; la peine), puis l’action divine pour éliminer ce danger (l’arrivée d’eau ; le pauvre relevé de sa misère) et se terminent par des bénédictions. Les vv. 33-42 peuvent se rapporter à la situation du peuple après l’Exil au moment de la restauration.

vv. 33-38 : l’expression « il changeait les fleuves en désert », du v. 33, renvoie très explicitement à Is 50,2 « par ma menace je dessèche la mer, je change les fleuves en désert. Les poissons s’y corrompent faute d’eau, ils meurent de soif. ». Dieu est le maître de la nature qu’il a créée, si cela n’est pas la tempête qu’il envoie (cf. v. 25), c’est la sécheresse qu’il peut susciter à tout moment car il est tout-puissant (cf. vv. 33-34).

Le v. 35 est très proche d’Is 35,7 « La terre brûlée deviendra un marécage, et le pays de la soif, des eaux jaillissantes ; dans les repaires où gîtaient les chacals on verra des enclos de roseaux et de papyrus. » et d’Is 41,18 « Sur les monts chauves je ferai jaillir des fleuves, et des sources au milieu des vallées. Je ferai du désert un marécage et de la terre aride des eaux jaillissantes. ».

Les références à la faim et à la ville habitée du v. 36 font irrémédiablement penser aux vv. 4-7 du psaume. L’expression « et ils fondèrent une ville habitée » pourrait renvoyer à tout le travail de reconstruction de Jérusalem, après l’Exil, au moment de la restauration.

Les prophètes parlent souvent dans leurs oracles, comme résultat de l’obéissance à l’Alliance par le peuple d’Israël, de construire des maisons et d’y habiter, de planter des vignes et de se rassasier de son fruit (cf. Is 65,21 : « Ils bâtiront des maisons et les habiteront, ils planteront des vignes et en mangeront les fruits. »). C’est parce que Dieu a fait passer d’un moins à un plus, c’est parce qu’il a changé une terre sèche en source d’eau (cf. v. 35), que le peuple d’Israël va pouvoir ensemencer des champs, planter des vignes et récolter des fruits (cf. v. 37). Au moment de la restauration, au retour de l’Exil, le peuple va pouvoir se nourrir des fruits du pays. Il est en train de « rejouer » la conquête par Josué de la Terre sainte avec des échos d’une fécondité paradisiaque. Dans l’expression « il les bénit et ils croissent beaucoup » du v. 38, il faut comprendre que Dieu bénit le peuple qui devient de plus en plus nombreux. Il y a là une référence explicite à Gn 1.

vv. 39-42 : Nous pouvons noter le jeu sur le verbe « diminuer » que nous trouvons au v. 38 dans « il ne laisse pas diminuer leur bétail » et au v. 39 dans « ils étaient diminués ».

Le v. 40 est une combinaison de Jb 12,21a et de Jb 12,24b. Nous y trouvons, une fois de plus, une forte affirmation de l’entière souveraineté divine. Le v. 34 parlait de « la malice des habitants ». Yahvé va punir les chefs de cette ville (cf. v. 40) car la plupart du temps la méchanceté d’une communauté est l’œuvre de ses leaders. Ils partagent le même destin que cette partie de la population qui errait au désert, dans les solitudes (cf. v. 4). Le départ des leaders, qui opprimaient les pauvres du peuple, est pour ces derniers une véritable libération.

Le v. 42 est très proche de Jb 5,16b ; 22,19a. Ayant en arrière-plan le livre de Job, les versets 40 et 42 réfléchissent sur les épreuves de la vie ordinaire. Ceux qui ont le cœur droit, c’est-à-dire ceux qui veulent vivre comme des justes, voient les actions du Seigneur à travers tout ce qui a été rappelé dans le psaume aux vv. 4-41 et ils se réjouissent de cela, non seulement pour leur propre intérêt, mais parce qu’ils voient qu’il existe un ordre moral dans le monde.

Le v. 43 est un épilogue sapiential qui ressemble au colophon d’Os 14,10. L’homme sage est celui qui médite sur l’amour miséricordieux de Yahvé.

Ce psaume 107 nous parle de la délivrance d’Israël. Une lecture spirituelle et chrétienne nous fait comprendre qu’il parle aussi de notre propre délivrance. Par la mort et la résurrection de Jésus, nous qui étions captifs de la mort et du péché, nous voici délivrés, Dieu va nous conduire jusqu’au port désiré qu’est la Vie éternelle.

Le psalmiste

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