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Parole et vie,

Responsable de la chronique : Dominique Charles, o.p.
Parole et vie

Dimanche des Rameaux. Année C.

Imprimer Par Daniel Cadrin

Le Christ Jésus, lui qui était dans la condition de Dieu, n’a pas jugé bon de revendiquer son droit d’être traité à l’égal de Dieu ; mis au contraire, il se dépouilla lui-même en prenant la condition de serviteur. Devenu semblable aux hommes et reconnu comme un homme à son comportement, il s’est abaissé lui-même en devenant obéissant jusqu’à mourir, et à mourir sur une croix. C’est pourquoi Dieu l’a élevé au-dessus de tout ; il lui a conféré le Nom qui surpasse tous les noms, afin qu’au Nom de Jésus, aux cieux, sur terre et dans l’abîme, tout être vivant tombe à genoux, et que toute langue proclame : « Jésus Christ est le Seigneur », pour la gloire de Dieu le Père.

COMMENTAIRE

Le récit de la Passion, proclamé chaque année en la fête des Rameaux, rappelle aux chrétiens qu’au cœur de leur foi se trouve un scandale, une folie, celle de la croix. La figure centrale de ce récit, révélant le mystère même du Dieu vivant, n’est pas un chef politique puissant, un athlète victorieux, ou une star spectaculaire, mais un homme qui meurt crucifié. Dans l’évangile, ce paradoxe est montré par l’entrée d’un Messie sur un âne, puis dans le drame d’un procès où l’on voit un juste condamné par une coalition de forces et abandonné par ses proches.

Dans les écrits des premiers chrétiens, on trouve aussi d’autres façons d’exprimer ce qui est au cœur de la foi. Ainsi, cet hymne en Philippiens, où Paul, en une synthèse admirable et provocante, condense l’essentiel du credo chrétien : non seulement l’incarnation et la pâque, évoqués par le dépouillement, la croix et l’élévation, mais le bouleversement que cela opère dans l’image de Dieu. À travers une condition humaine vécue dans le don, jusqu’au bout, c’est la condition divine qui est révélée. Le serviteur dépouillé, qui donne sa vie sur la croix, c’est lui qui est Christ et Seigneur. Le visage de ce serviteur, par l’extrémité de son décentrement, donne accès au visage du Dieu vivant.

Nos images de Dieu sont multiples, mais souvent elles réfèrent spontanément à des figures de puissance et de force, ou d’indifférence et d’éloignement. Ici, au contraire, il est question de faiblesse et de service. Il n’est pas étonnant que ce renversement de perspectives, depuis ses origines, soit difficilement accueilli et adopté. Il appelle en même temps à un retournement de soi, à un dépassement de notre religiosité plus ou moins naturelle. Il n’est saisissable qu’au prix d’une conversion, toujours à reprendre, tout au long d’un itinéraire spirituel incessant. Par moments, nous en entrevoyons la bouleversante nouveauté, qui nous émeut et nous fascine; mais elle nous effraie aussi, car elle met en cause nos systèmes de sens et de valeurs. En annonçant, comme bonne nouvelle, la révélation de Dieu en Jésus le serviteur, elle nous invite à entrer dans son expérience de décentrement.

Cet hymne en Philippiens s’inscrit à la suite d’un appel de Paul à l’amour mutuel, à la réciprocité dans l’affection et le service. Il vient motiver et fonder cet appel de façon radicale. La condition humaine vécue dans un engagement pour les autres n’est pas seulement de l’ordre des bons sentiments ou d’un volontarisme aveugle. Il s’agit d’une vie nouvelle qui met en œuvre un dynamisme spirituel inédit. L’humain et le divin se rencontrent et font alliance, s’éclairent l’un l’autre dans la figure de Jésus serviteur et dans une vie à sa suite, marquée par la compassion et la fidélité aimante.

Même si cette ouverture sur une toute autre perception de l’humain et du divin n’est pas notre pain quotidien, il peut suffire d’avoir été ébloui une fois pour croire que le monde est autre que nous ne le voyons et qu’autrui n’est pas un objet à utiliser. Derrière la banalité ou la violence de nos quotidiens, se cache un mystère qui nous échappe et nous fait vivre; il se livre à nous dans des figures fragiles et dépouillées, offertes à notre regard, s’il sait s’ouvrir. Des personnes, des rencontres, des gestes nous en donnent parfois des signes qui nous questionnent et nous réjouissent, nous faisant entendre un autre chant que la répétition des clichés ou les incantations des publicités : un témoin de bonté qui reste fidèle jusqu’au bout, un enfant qui s’étonne de la beauté ou du malheur, un geste discret qui relève notre confiance, une parole qui encourage notre liberté, une œuvre qui éveille notre quête. Signes faibles, hors du circuit des spectacles, mais donnant à voir la puissance d’un amour, ou signes déconcertants, faisant découvrir les chemins d’une sagesse.

Si Dieu n’est pas le tout-puissant qui domine, ni la grande machine à énergie qui ronronne en nous, qui donc est-il? Les vieux écrits de Luc et de Paul nous invitent à nous remettre en travail d’enfantement, pour donner naissance à un autre visage de la condition humaine. Dans le drame d’un juste condamné, dans la figure d’une divinité qui se vide et d’une humanité qui se fait service, des repères nous sont offerts, lueurs intermittentes mais qui guident plus qu’une lumière envahissante. Au cœur de la foi chrétienne se trouve le mystère d’un passage, d’un dépouillement qui mène à la gloire, mystère pascal dont le mouvement se poursuit jusqu’en nous. Un larron en croix et un centurion au pied de la croix reconnaissent le Juste en cet homme dépouillé de tout. L’hymne de Philippiens redit leur foi et la nôtre, dans toute sa bouleversante nouveauté.

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