Si l’Église prétend – et cela est pleinement légitime -, à la suite des disciples, avoir trouvé en Jésus la voie, la vérité et la vie, elle ne peut garder pour elle cette découverte. Par ailleurs, elle sait que la vérité ne s’impose pas, qu’elle ne se décrète pas d’autorité, ni ne s’assène de manière hautaine. Elle sait que la vérité est quelque chose que les humains recherchent et que cette recherche, menée conformément à ce qu’est la personne humaine et à sa nature sociale, suppose réciprocité et mutualité et est conduite dans le dialogue, l’échange, l’exposé et la proposition de ses découvertes et l’écoute de ce que les autres pensent avoir trouvé. La recherche de la vérité, ne se fait pas dans le monologue, mais dans le dialogue, autre mot si cher au concile, mais réalité surtout qui structure une expérience chrétienne élémentaire, la liturgie. Loin d’adopter le mode de vie du ghetto, lieu où se rassemblent souvent les minorités pour se défendre et se protéger, l’Église accepte donc de vivre sur la place publique, exposée à tous les vents. C’est là son lieu : là où les questions sont débattues, là où les gens cherchent et s’instruisent, là où ils discutent, échangent, dialoguent. Le lieu de son témoignage sera les agoras modernes, les places publiques, les tribunes ouvertes. Ces lieux sont parfois inconfortables et n’offrent pas beaucoup de garantie de protection. Toutefois, la vie citoyenne impose cette conversation où nous ne sommes pas maîtres du jeu. Cette conversation, l’Église la poursuit naturellement à travers tous ces membres qui participent à la vie de la société, ce qui supposent des aptitudes au témoignage, dans la simplicité et la sérénité.
Participer aux débats de société est une chose, autre chose est d’habiter, même comme minoritaire, cette société. L’Église a toujours eu des institutions, des oeuvres de toute sorte. Cela aussi est langage, car elle peut, dès lors, à travers ces différentes oeuvres ou ces différents réseaux, offrir des formes alternatives de vivre et de penser par rapport aux modèles dominants. Cela peut se vérifier dans son réseau d’écoles, à condition qu’il soit réellement porteur d’un projet scolaire chrétien et, du coup, alternatif, et pas simplement une réplique – dans le privé – du projet scolaire proposé dans le public. Proposer des lieux et des milieux alternatifs où peuvent s’inventer d’autres manières de vivre, c’est là aussi une manière d’annoncer l’Évangile. L’Église peut alors s’avérer l’autre de la culture, un tiers qui interpelle cette culture et l’interroge. En offrant des signes avant-coureurs du Règne à venir, elle peut affirmer tangiblement et concrètement la dignité de la personne humaine et sa fin spirituelle. Elle n’a donc pas à se replier dans un ghetto, ni à revendiquer pour elle-même des privilèges, mais seulement réclamer la liberté accordée à tous les citoyens. Ce faisant, l’Église, par son action, peut offrir des forces et des lumières qui peuvent affermir une communauté humaine, une société, et l’aider à grandir et à se dépasser.
L’Église ne vit pas repliée dans un ghetto, ni non plus retranchée dans une forteresse, comme si elle avait à se protéger d’un monde hostile, des assauts de la culture, etc. Elle sait reconnaître tout ce qui est bon dans le dynamisme social actuel. Elle sait soutenir les initiatives, seconder les efforts communs, participer à la vie sociale. Loin d’être méfiante ou sur la défensive, elle sait joindre ses forces et ses énergies aux grands mouvements qui contribuent au développement de la personne et du monde.
L’Église a appris au concile que trois mots clés devaient inspirer sa relation au monde : le service de la personne, la profonde solidarité avec la société dans laquelle elle s’inscrit, fruit d’un amour et d’une sympathie véritables, et le dialogue avec ces gens dont les options sont si variées, les perspectives parfois si opposées aux siennes, les convictions souvent si contrastées.
(…) Au début des années 1960, le cardinal Roy, pressentant les passages ou les changements de monde auxquels son Église était conviée et guidé par son expérience conciliaire, avait résumé en une formule suggestive la conversion qu’il pensait devoir effectuer ou le projet qu’il se formulait à lui-même et qu’il proposait à son Église: «Je suis citoyen du Québec. » Être citoyen, c’est d’abord embrasser cette société avec respect, considération et amour. C’est s’y sentir chez soi, libre, accueilli, respecté. C’est aussi s’engager et participer à cette société qui l’honore du titre de citoyen : se mêler à ses recherches, partager ses rêves, etc. Bref, c’est communier à ses joies, à ses angoisses, à ses espérances et à ses souffrances. C’est le faire, à partir de notre lieu et de notre singularité qui contribue à l’ensemble et l’enrichit, mais aussi comme membres de plein droit de cette société, nous y sentant libres d’y apporter nos points de vue et accueillis dans notre différence.