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Joseph Blenkinsopp, Paul de Tarse : Une vie dans le Christ

Imprimer Par Pierre Gendron

PaulQue sait-on de saint Paul? Dans le cadre de l’année saint Paul, dont on célèbre le bimillénaire de la naissance, la biographie de Joseph Blenkinsopp apporte de solides éléments de réponse à cette question (l’auteur est un universitaire américain, un spécialiste en études bibliques qui a déjà publié une Histoire de la prophétie en Israël). Mais avant de présenter cet ouvrage, et d’en recommander la lecture, il est bon de rappeler ce que disait Christian Bobin dans Le Très-Bas, au début, à propos de saint François d’Assise: « On sait de lui peu de choses et c’est tant mieux. Ce qu’on sait de quelqu’un empêche de le connaître. Ce qu’on en dit, en croyant savoir ce qu’on dit, rend difficile de le voir. »

La raison pour laquelle Joseph Blenkinsopp s’intéresse à la vie de Paul de Tarse, ce grand porteur de la Bonne Nouvelle auprès des nations païennes, est de montrer ce qu’est « une vie dans le Christ ». Suivant l’auteur, entrer dans la vie de Paul représente une sorte de marche à suivre pour découvrir la foi agissante. Comme il le dit: « La vie chrétienne n’a pas comme point de départ quelque idée théorique, ou autre, mais une expérience, l’expérience du Seigneur crucifié, maintenant ressuscité, vivant, et qui nous est présent en communauté. » De ce point de vue, c’est la conversion de Paul qui est l’expérience fondamentale de sa vie. Cela étant, l’ouvrage commence quand même par résumer le plus fidèlement possible les données extérieures de la vie de saint Paul, en le considérant successivement comme citoyen romain, issu d’une famille d’un certain rang social et jouissant d’une certaine immunité sur le plan juridique, comme Grec par la langue et la culture, et comme Juif pratiquant, formé par le célèbre Gamaliel à Jérusalem.

Le commentaire détaillé de certains passages du texte des Actes des Apôtres fait ressortir à quel point la rencontre du Christ a marqué un tournant dans la vie de Paul. L’auteur pose ensuite la question centrale du livre: Qu’a signifié le Christ pour Paul? Comme il l’explique: « Quiconque veut comprendre Paul, y compris l’historien non engagé qui reconnaît l’immense influence exercée par lui sur l’histoire des dix-neuf derniers siècles, doit commencer par se poser cette question. À plus forte raison le chrétien pour qui la foi de Paul répond à une réalité. Et il doit se poser cette question […] dans le calme et l’objectivité. » Dans ce but, l’auteur définit ce qui est en jeu dans cette interrogation au moyen de quatre propositions : 1. Le Christ ressuscité est le sommet de l’histoire du salut; 2. Le Christ ressuscité est Dieu venant à nous; 3. Le christianisme n’est pas tant une religion, qu’une Personne et un Événement; 4. C’est dans l’Église que Dieu vient à nous dans le Christ.

Il a fallu, entre autres, « les dures réalités de l’expérience, et en particulier, la lutte avec les éléments judaïques extrémistes de la primitive Église, pour que les premiers chrétiens commencent à réaliser quelle était leur véritable identité, et leur singularité ». Surtout, il convient de le souligner, « Paul ne reçut aucune révélation privée de vérités cachées, […] mais il fut mis en rapport avec la communauté chrétienne de Damas, qui le guérit, l’instruisit et le baptisa. […] L’appel de Dieu, même lorsqu’il s’adresse à une personne singulière, a toujours en vue la communauté. […] Et le plan de Dieu, le Mystère [du salut], ne s’accomplit que par l’intermédiaire d’une communauté. Les individus isolés ne peuvent pas opposer une résistance efficace à la force de pesanteur du péché qui est dans le monde, même lorsqu’ils servent Dieu selon leurs propres lumières. En outre, et ceci est la réponse décisive [à la question de savoir pourquoi l’Église devrait réclamer de façon absolue l’attention du croyant], l’Église est POUR le monde. C’est par elle que Dieu façonne la destinée de l’humanité et de toute la création qui dépend de l’humanité » (cf. Éph. 3, 9-10).

L’Évangile doit être porté au monde. De là vient le sens de la mission, si développé dans chez saint Paul. Mais cela suppose qu’on évite de confondre, comme cela est malheureusement arrivé au cours de l’histoire, évangélisation, civilisation et colonisation. On est plus proche de ce que Paul voulait quand on évoque une réalité actuelle comme la Mission de France. « Quand il présente la vie chrétienne, Paul met toujours l’accent sur la liberté absolue du chrétien vis-à-vis des servitudes du passé, aussi bien celles inhérentes à un système juridique dans le cas des anciens juifs, que les servitudes du péché et de la culpabilité ». Cela, on ne doit jamais l’oublier. Pourtant, le christianisme n’a pas été très bien reçu sur la place publique du temps de Paul, qui était un contemporain de Sénèque et des philosophes stoïciens. Son message, qui était scandale pour les Juifs, n’était que folie pour les Grecs, le lecteur le découvrira au fil des pages du livre, comme il découvrira ce que cela a signifié concrètement dans la vie de Paul.

L’auteur dit pourquoi il voulu donner à son livre un aspect concret : « Revivre la mission de l’Église d’Antioche et les voyages qui suivirent, nous jette au coeur de ce que veut dire être chrétien, beaucoup mieux qu’une bibliothèque d’ouvrages de théologie. Nous découvrons en outre que le but de toute cette action était de fonder des communautés d’hommes et de femmes consacrés, qui avaient donné leur engagement au Christ, qui vivaient de la vie nouvelle, les premiers d’une nouvelle humanité. » Concernant les lettres de Paul, il ne faut pas perdre de vue qu’elles furent composées et dictées à haute voix; et « ce qu’il importe de noter, c’est que lorsqu’il écrit, Paul a devant les yeux une communauté connue de lui, réunie en vue d’une célébration au cours de laquelle sa lettre sera lue. Il parle donc comme s’il était présent et présidait. […] Ceci explique aussi que nous ayons si souvent dans ses lettres des éléments liturgiques ». Autant d’éléments qui contribuent à donner un contenu à la notion d’Église comme idée universelle.

Toutefois, et paradoxalement, l’auteur remarque d’autre part qu’on a du mal à se représenter Paul lui-même comme prêtre: « Paul manifeste peu d’intérêt pour la liturgie au sens où on l’entend habituellement. Rien dans ses lettres n’évoque l’odeur de l’encens ou de la cire brûlée, et l’homme qui célèbre l’eucharistie sur un bateau en naufrage dans la tempête, et au milieu d’une horde de marins épouvantés, jugerait peut-être bien embarrassantes les rubriques compliquées de notre grand-messe solennelle. » Le fait que Paul soit originaire de Tarse a aussi son importance, si l’on veut tenir compte de toutes les influences qui ont fait la richesse de sa personnalité. Comme le souligne d’emblée le bibliste qu’est Joseph Blenkinsopp: « Lorsque nous abordons ses lettres après les Évangiles où dominent les métaphores et les expressions empruntées à la vie rurale, nous nous trouvons en présence d’une écriture tout à fait différente. Paul tire ses images de la ville. […] On peut donc aisément se représenter Tarse comme une ville cosmopolite et Paul familier, dès son plus jeune âge, de toutes les moeurs de gens qui arrivaient des quatre coins du monde. »

On sait peu de choses sur les dernières années de l’existence de cet homme exceptionnel qui fut au coeur du développement d’un mouvement universel d’évangélisation. À la fin, les longs voyages de Paul l’avaient conduit au centre du monde. Après son arrivée à Rome comme prisonnier, il semble avoir été autorisé à louer une maison et à y recevoir des visites. Cela aurait duré deux ans, et comme le récit des Actes des Apôtres se termine alors, on peut supposer qu’il fut remis en liberté. Selon la tradition, il aurait plus tard été finalement condamné et décapité en dehors de Rome. Le 29 juin, la liturgie catholique associe dans la solennité d’une même fête la mémoire des apôtres Pierre et Paul. Pour saint Augustin, « ces deux[-là] ne faisaient qu’un: bien qu’ils aient souffert à des jours différents, ils ne faisaient qu’un [dans le martyre]. Pierre a précédé, Paul a suivi » (Discours 295, 7, 8). Hommes certes très différents et appelés à remplir des missions différentes, mais figures complémentaires des premiers temps de l’Église; cofondateurs de l’Église une.

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