Nous parlerons aujourd’hui du bien commun. «De quoi?», me dira-t-on avec étonnement, comme si j’abordais un sujet inconnu sur la planète! Le bien commun: l’expression est presque devenue un tabou, la réalité de moins en moins perçue.
Aujourd’hui, nous n’en avons que pour l’individu. La personne avant tout, ses droits, ses intérêts, ses besoins, ses attentes. Nous revendiquons à tout prix son autonomie. Nous voulons être autonomes. Le mot veut dire: «qui se donne à soi-même sa loi». Il y a du bon dans ce souci. La personne n’est pas une matière anonyme. Chacune est vivante, donc précieuse. Et ce n’est pas un droit superflu que d’exiger pour elle du respect, de la considération, de la dignité. Chaque personne est une histoire, une histoire unique, une histoire qui ne se pèse pas à l’aune de la valeur; elle se situe plutôt au-delà des valeurs.
Par ailleurs, la personne existe dans un ensemble. Elle lui apporte sa richesse. Elle l’agrandit par sa seule présence. Elle reçoit aussi de cet ensemble. Elle se définit, elle fabrique son identité en se situant dans le paysage commun. Je ne suis pas une île perdue dans le néant. Je m’inscris dans une communauté humaine. J’appartiens à cette communauté qui me donne une grande partie de mes caractéristiques personnelles. Je fabrique mon individualité, je me fais une personnalité dans une certaine mise en oeuvre de tout ce que je reçois de l’extérieur de moi-même.
Le bien commun est donc important. C’est l’ensemble de tout ce qui permet à une communauté humaine de développer harmonieusement les individus qui la composent. Des biens matériels comme un toit, du pain sur la table, un emploi rémunérateur, des vêtements… Des biens spirituels comme un patrimoine culturel, une pensée, une éthique, des idées, une quête spirituelle.
Dans la revue Relations, le philosophe Marc Chabot écrivait: «Le bien commun, c’est ce qui appartient à la communauté et qui pourrait se penser comme un équipement de base que l’on veut fournir à chaque individu pour qu’il se réalise en tant qu’humain, individu et citoyen.» (Décembre 1999, p. 310)
La nature est un bien commun. Nous en avons besoin pour vivre. Pas seulement biologiquement, mais aussi psychologiquement, spirituellement. Nous avons besoin de ce contact avec la terre, avec les arbres, avec le soleil. Chaque personne est une part de ce grand tout. Nous nous situons et nous comprenons dans la nature. Il revient aux gouvernants et aux grandes entreprises de respecter ce patrimoine. Mais chaque individu a sa part de responsabilité. Pour lui-même et pour les autres.
Marc Chabot voit l’esprit comme un bien commun. Il écrit: «Mais qui, dans une société capitaliste où priment le discours économique et le commerce de n’importe quoi, affirme la nécessité des biens spirituels? Qui se soucie de l’esprit comme bien commun? Il faut une armée d’hommes et de femmes pour fabriquer, vendre et consommer les biens matériels de la société. Il nous faudrait aussi une armée d’hommes et de femmes pour insister sur la nécessité de la pensée comme bien commun. C’est l’harmonie même du monde dans lequel nous vivons qui est en jeu.» (p. 311)
Et le philosophe québécois de citer Hannah Arendt: «Vivre ensemble dans le monde: c’est dire essentiellement qu’un monde d’objets se tient entre ceux qui l’ont en commun, comme une table située entre ceux qui s’assoient autour d’elle; le monde, comme tout entre-deux, relie et sépare en même temps les hommes.» (Conditions de l’homme moderne, Paris, Agora, 1988, p. 92)
C’est tout un univers qui nous relie les uns aux autres. C’est ce même univers qui nous distingue les uns des autres. Ce bien commun nous est donc essentiel. Sans lui nous serions anonymes. Bien plus, nous n’existerions pas.