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Parole et vie,

Responsable de la chronique : Dominique Charles, o.p.
Parole et vie

25e Dimanche du temps ordinaire. Année A.

Imprimer Par Daniel Cadrin

Une bonté extravagante

Jésus disait cette parabole : « Le Royaume des cieux est comparable au maître d’un domaine qui sortit au petit jour afin d’embaucher des ouvriers pour sa vigne. Il se mit d’accord avec eux sur un salaire d’une pièce d’argent pour la journée, et il les envoya à sa vigne.
Sorti vers neuf heures, il en vit d’autres qui étaient là, sur la place, sans travail. Il leur dit : ‘Allez, vous aussi, à ma vigne, et je vous donnerai ce qui est juste.’ Ils y allèrent. Il sortit de nouveau vers midi, puis vers trois heures, et fit de même. Vers cinq heures, il sortit encore, en trouva d’autres qui étaient là et leur dit : ‘Pourquoi êtes-vous restés là, toute la journée, sans rien faire ?’ Ils lui répondirent : ‘Parce que personne ne nous a embauchés.’ Il leur dit : ‘Allez, vous aussi, à ma vigne.’
Le soir venu, le maître de la vigne dit à son intendant : ‘Appelle les ouvriers et distribue le salaire, en commençant par les derniers pour finir par les premiers.’ Ceux qui n’avaient commencé qu’à cinq heures s’avancèrent et reçurent chacun une pièce d’argent. Quand vint le tour des premiers, ils pensaient recevoir davantage, mais ils reçurent, eux aussi, chacun une pièce d’argent. En la recevant, ils récriminaient contre le maître du domaine : ‘Ces derniers venus n’ont fait qu’une heure, et tu les traites comme nous, qui avons enduré le poids du jour et de la chaleur !’ Mais le maître répondit à l’un d’entre eux : ‘Mon ami, je ne te fais aucun tort. N’as-tu pas été d’accord avec moi pour une pièce d’argent ? Prends ce qui te revient, et va-t’en. Je veux donner à ce dernier autant qu’à toi : n’ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mon bien ? Vas-tu regarder avec un oeil mauvais parce que moi, je suis bon ?’ Ainsi les derniers seront premiers, et les premiers seront derniers. »

Commentaire :

Imaginez un employeur qui embaucherait des jeunes, qui aurait même souci de ceux que personne n’em­ploie, et qui, ne tenant pas compte de l’ancienneté, leur donnerait le même salaire qu’aux anciens. Il y aurait alors plaintes contre ce patron, cris à l’injustice, avec lois en main, et critiques de ces jeunes qui se croient égaux! Pourtant, Jésus utilise une image semblable pour faire saisir quelque chose du Royaume et de Dieu. La parabole reste une comparaison, volontairement provocante, et évidemment elle ne porte pas sur les relations de travail. Mais elle cherche à faire comprendre à des gens sûrs d’eux-mêmes, de leurs droits et privilèges, que peut-être il y a d’autres façons de se situer par rapport aux autres et aux biens acquis; que Dieu est différent des images que nous nous en faisons, à partir de nos propres fonctionnements, enfermés dans la logique des lois et des droits, prisonniers de ce qui existe déjà et ne peut être touché.

La parabole met en scène des éléments bien typiques de la Palestine du premier siècle: l’importance du travail de la vigne; la situation de nombreux travailleurs journaliers en quête d’emploi, vivant dans la précarité; le salaire minimum pour l’époque, un denier. Sur ce fond de scène normal se greffent des éléments plus détonants, surtout les attitudes du maître. Prenant l’initiative, il sort cinq fois pour embau­cher: on comprendrait deux ou trois fois à la limite, mais embaucher à la fin de la journée? Cela dit la valeur de la vigne et l’urgence du travail à accomplir. Il se préoccupe non seule­ment de ceux qui ont travaillé toute la journée et reçoivent le salaire convenu, respectant ainsi le contrat, mais aussi de ceux qui sont sans emploi et dont personne ne se soucie: «Allez, vous aussi, à ma vigne.» Son extravagance apparaît encore plus dans le salaire remis: le même pour tout le monde! Il explique son motif: il le fait par bonté. On com­prend les murmures des premiers ouvriers: leur mérite plus grand n’est pas pris en compte, sans compter qu’ils ne con­trôlent plus la situation, elle ne se déroule pas selon le scénario prévisible. Et le maître ira plus loin en les invitant à s’interroger sur leur réaction: quelle part y joue l’envie?

Cette parabole, à travers son imagerie et sa dynamique, nous parle de la pratique et de la prédication de Jésus. Il s’est approché des pécheurs, publicains et marginaux, et les a invités à accueillir activement le pardon. Il a annoncé avec urgence la venue du Royaume et a appelé à y travailler, aujourd’hui. Il a rencontré l’hostilité des pharisiens et d’autres, choqués de son ouverture envers les malades, les pécheurs, les femmes, les enfants. Plus tard, cette approche de Jésus sera appliquée dans les premières communautés pour briser une autre frontière, celle entre juifs et païens: les païens, arrivés en dernier lieu dans l’alliance nouvelle, ont autant de place que les premiers.

Ce qui est en jeu finalement dans la parabole de Matthieu, et dans l’approche de Jésus, c’est l’image de Dieu et de son rap­port à nous. À une logique religieuse qui fonctionne sur la base du mérite acquis et de la performance individuelle, qui produit nécessairement l’envie et la compétition, qui enferme Dieu dans un contrat strict et lui dicte ce qu’il peut et doit faire, Jésus oppo­se une logique toute autre: celle de la grâce miséricordieuse, qui ne calcule pas, qui appelle tous sans exception et leur donne place sur la base commune de la réponse à l’appel, qui n’enferme pas Dieu dans un rôle de maintien des statuts et lui laisse l’initiative, qui ouvre ainsi une espérance là où tout semblait bloqué. Justes ou pécheurs, juifs ou païens, chrétiens de longue date ou nou­veaux disciples, tous sont invités à marcher sur le chemin de la foi et à partager, autour de la table du Royaume, le festin de la frater­nité. La parabole des deux fils en Luc, dite de l’enfant prodigue, reprend le même enjeu, autour d’un fils aîné et d’un cadet, avec la même confrontation de deux logiques.

Peut-être pouvons-nous reconnaître notre propre frustration dans celle des ouvriers de la première heure, ou notre propre situa­tion dans celle des ouvriers de la onzième heure, venus à la foi sur le tard et incertains de notre place. Ou encore l’attitude du maître peut nous questionner, comme communauté chrétienne, sur notre ouverture et notre initiative. Quelle place faisons-nous à ceux qui cherchent un sens à leur vie et sont laissés sur leur faim, sans embauche? Regardons-nous ces gens avec méfiance, avec la peur qu’ils viennent nous prendre quelque chose qui n’est qu’à nous? Oserons-nous aller plusieurs fois sur la place pour les appeler à tra­vailler à la vigne, eux aussi? Quel regard portons-nous sur ceux que nous considérons incorrects, socialement, moralement ou ecclésialement, et qui s’approchent de la foi en Jésus? Les jugeons-nous au mérite à partir de nos propres droits et certitudes, envieux qu’ils soient aimés et pardonnés autant que nous? La parabole de Matthieu, en tout cas, nous invite à regarder autrement, dans la lumière surprenante et éclairante de la bonté de Dieu.

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