Pendant qu’à Québec nous étions à l’heure du Red Bull Crashed Ice, à Angoulême, en Charente, on célébrait un festival presque aussi dangereux, celui des bandes dessinées. Il paraît qu’un ouvrage signé David Ratte et s’intitulant Le Voyage des Pères fait là-bas un malheur. L’auteur y aborde le point de vue des parents de Pierre, André, Jacques et Jean, quand ils constatent le départ impromptu de ceux sur qui ils comptaient pour la relève. Voilà que ce Jésus, un faiseur de miracle, brise leurs plans. Ils s’en plaignent, ils s’en inquiètent. Je ne sais pas jusqu’où va l’humour et la fantaisie de l’auteur, mais, bien avant que le sujet soit abordé ainsi, la démarche de Jésus m’a toujours intrigué. Pourquoi agit-il de la sorte? Jésus n’aurait-il pas pu faire tout le bien possible, produire tous les miracles qu’on attendait de lui, changer le monde, sans recruter des disciples pour en faire des apôtres? Pourquoi briser les familles? Pourquoi choisir un tel? Pour quoi faire?
Dieu agit, bien sûr, comme il veut. C’est son privilège. Si ses manières nous étonnent, c’est pour que nous puissions y réfléchir. N’est-ce pas à cause de nous que Jésus agit ainsi? À cause de ce que nous sommes, à cause de ce qu’il nous faut découvrir et vivre ensemble. Jésus, quand il entame son ministère après la mort de Jean-Baptiste, proclame à qui veut l’entendre : « Convertissez-vous. Le royaume de Dieu est proche. » Il nous met au défi de produire un mouvement intérieur, un changement personnel. Il veut que chacun ouvre en lui-même un chemin pour Dieu. Cet appel s’adresse à tout le monde. « Convertissez-vous ! » Il s’agit bien d’un vous, d’un collectif. Pour que l’appel porte en tout lieu, auprès de tous, ne faut-il pas nous y mettre à plusieurs, à portée de voix et de cœur, pour rejoindre tout le monde. C’est ainsi que le témoignage s’organise pour une œuvre générale de conversion. Et c’est ensemble que nous pouvons dessiner les traits d’une nouvelle famille, d’un nouveau peuple, trouver des chemins de fidélité, de convivialité pour changer le monde?
Quelques lignes du journal d’Etty Hillesum (une juive hollandaise emportée par les rafles de la Gestapo jusqu’à Auschwitz en 1943) rejoignent, il me semble, cette problématique de la solidarité dans la conversion et de l’importance primordiale d’une expérience personnelle de conversion. Etty, confrontée à la détresse de tous les siens en ces années de grande noirceur, cherche Dieu; et si elle le trouve au fond d’elle-même c’est avec l’instinct de le porter à d’autres. « Je vais t’aider, mon Dieu, à ne pas t’éteindre en moi… Une chose m’apparaît de plus en plus clairement : ce n’est pas toi qui peux nous aider, mais nous qui pouvons t’aider – et, ce faisant, nous nous aidons nous-mêmes. C’est tout ce qu’il nous est possible de sauver en cette époque, et c’est aussi la seule chose qui compte : un peu de toi en nous, mon Dieu. Peut-être pourrons-nous aussi contribuer à te mettre au jour dans les coeurs dévastés des autres. » (12 juillet 1942). « Je vous ferai pêcheurs d’hommes », avait dit Jésus à Pierre, André, Jacques et Jean. Chacun, chacune à la pêche au coeur de soi-même ! C’est là qu’il faut aller d’abord, jusqu’au fond de soi-même, et devenir ainsi des éveilleurs pour les autres… et ensemble bâtir un monde nouveau.
Jacques Marcotte, OP (Québec)