Benoît XVI est rentré à la maison après un voyage ensoleillé. Le temps s’annonçait maussade longtemps avant de partir. La conférence de Ratisbonne avait jeté un froid glacial sur les rapports entre chrétiens (ou occidentaux) et musulmans. Ce qui ne se voulait qu’une brise légère s’est transformé en orage – presque un tsunami – dans les rues des villes musulmanes. Déclarations et manifestations ont tenu la une des quotidiens sur plusieurs jours.
Les excuses de celui que beaucoup de chrétiens considèrent infaillible n’ont pas apaisé la tempête. Et les nuages se sont amoncelés jusqu’aux dernières heures qui ont précédé l’atterrissage en Turquie.
Avec l’avion papale, le soleil est descendu sur la Turquie au grand soulagement de la diplomatie vaticane et du reste de l’Église catholique. Les hautes autorités turques ne se sont pas contentées d’être polies. Elles ont été accueillantes. Les opposants farouches ont adouci leurs invectives.
De son côté, le pape ne s’est pas réfugié dans des sourires charmeurs et des propos lécheurs. Il a parlé en toute franchise. On a constaté la sincérité de l’homme. Certains ont probablement reconnu la sagesse chrétienne à son meilleur, quand la charité se déploie sans étouffer la vérité.
Le pape ne pouvait apporter avec lui rien de mieux que la charité de la vérité. Il aurait pu reprendre les mots du vieux philosophe Malebranche : «Tâchons que rien ne nous empêche de consulter l’un et l’autre notre maître commun, la Raison universelle; car c’est la Vérité intérieure qui doit présider à nos entretiens. C’est elle qui doit me dicter ce que je dois vous dire.» (Entretiens sur la Métaphysique, I, 1)
La charité de la vérité n’exclut pas cependant l’humilité. La vérité que Benoît XVI a manifestée n’a rien à voir avec la certitude triomphante de ceux qui se prennent pour des propriétaires de l’absolu. Le pape s’est présenté en homme qui cherche plutôt qu’en riche qui possède.
Il n’est pas de vérité recevable sans recherche, sans une part de doute, sans questionnement. La seule vérité acceptable se présente en forme d’interrogation. Elle est quête plus que possession. Elle garde en marche plutôt qu’elle n’assoit.
Rien n’est acquis une fois pour toute quand on pénètre dans le mystère humain. Derrière chaque porte du château intérieur se trouve une pièce à visiter. Chaque recoin cache son trésor. Chaque chambre a son secret.
Je sais, donc je doute. Je crois, donc je cherche. La tradition judéo-chrétienne a appris à marcher très jeune. Chez elle, la vérité est appel à prendre la route. Le premier croyant, Abraham, a dû deviner les premières lueurs de la lumière quand il a entendu : «Pars de ton pays, de ta famille et de la maison de ton père vers le pays que je te ferai voir.» (Genèse 12, 1)
L’itinéraire vers la vérité commence par un premier pas qui s’appelle rupture. La recherche de la vérité suppose un abandon, l’abandon des certitudes. Elle exige aussi une espérance, celle d’un ailleurs. De quoi sera fait cet ailleurs? Abraham ne le sait pas. Il l’espère et fait confiance au tracé de la route.
Voyager, c’est se déplacer. Chercher la vérité suppose des déplacements. Souvent bénéfiques, parfois bouleversants. Le voyage vers la vérité suppose le courage de marcher dans l’inconnu.
Tous, chrétiens et musulmans, les uns comme les autres, nous avons eu l’occasion dans la visite du pape d’apprendre à nous écouter mutuellement. Et peut-être de choisir de voyager ensemble jusqu’au plus intime du mystère humain.